© Abdalla Al Omari

« Je me venge des politiques en les faisant entrer dans la peau de leurs victimes »

Le président américain Donald Trump en réfugié au regard fatigué, une natte sur le dos et une petite fille dans les bras. Le président russe Vladimir Poutine en train de mendier un peu de monnaie. Ce sont là deux tableaux de la collection « The Vulnerability Series » peinte à Bruxelles par le Syrien Abdalla Al Omari.

Aujourd’hui, Al Omari se dépêche de terminer de nouveaux portraits. « Le mois prochain, ils seront exposés à Hambourg au G20. C’est fantastique évidemment, car beaucoup de dirigeants que j’ai peints seront présents dans cette ville. »

Quel était votre état d’esprit quand vous avez peint ces portraits?

ABDALLA AL OMARI: J’étais en colère, du moins au début. Je voulais me venger des politiques en les faisant entrer dans la peau de leurs victimes.

Au début, je le faisais pour moi, c’était ma façon de gérer la guerre en Syrie et ma nouvelle vie de réfugié. Mais à mesure que le processus a évolué, la colère s’est évanouie.

Je vis et je travaille dans cet appartement. Quand on vit pendant des mois en compagnie d’Assad et de Poutine, dans cet état vulnérable et humain, on va automatiquement éprouver de l’empathie pour eux. Pas pour les vrais évidemment, mais pour les Poutine et Assad désarmés que j’ai créés. S’ils se réveillaient des mois d’affilée à côté de ces portraits, eux aussi ils développeraient de l’empathie pour leurs victimes.

Vous y croyez vraiment?

Certainement. Au fond, tous les gens sont pareils. Si Assad était confronté assez longtemps avec son reflet en réfugié, il n’attaquerait plus ses citoyens à coup d’armes chimiques.

Mais bon, je serais déjà content si ces portraits pouvaient ouvrir les esprits de gens ordinaires aux réfugiés. Qu’ils réalisent qu’ils ne sont pas des terroristes, mais qu’ils fuient le terrorisme.

François Hollande et Nicolas Sarkozy
François Hollande et Nicolas Sarkozy © Abdalla Al Omari

Il y a une vidéo de vos peintures qui est très partagée sur les réseaux sociaux. Atteignez-vous aussi les personnes critiques à l’égard de l’accueil des réfugiés ? Ou prêchez-vous pour les convaincus ?

À présent que les images font le buzz, je pense quand même qu’elles ont percé la bulle de la scène artistique. Je reçois beaucoup d’e-mails de gens qui disent qu’ils ne sont pas nécessairement d’accord avec le message qu’ils voient dans mon art, mais qui disent qu’ils apprécient ce que je fais.

Avez-vous parfois des réactions négatives?

Oui, même si ces critiques sont rarement fondées. « Qu’est-ce que vous faites ici, si loin de votre pays ? Pourquoi ne vous battez-vous pas pour votre liberté en Syrie » est une des plus courantes.

Il y a aussi des gens qui ne peuvent pas supporter que leur leader intouchable soit représenté de façon aussi vulnérable. Mon portrait de Recep Tayyip Erdogan a déclenché beaucoup de colère. « Erdogan aide beaucoup de réfugiés, Syrien ingrat », ce genre de phrases.

J’ai travaillé selon les règles de l’art de la propagande, même si généralement elle met en valeur les traits qui exaltent la personne dont on fait le portrait, alors que je mets l’accent sur leur vulnérabilité. Cela montre à quel point la façon dont on représente quelqu’un est déterminante pour l’image qu’on se fait de cette personne.

La vulnérabilité que dégagent les portraits, c’est le regard que pose la société sur les réfugiés. Pourtant, eux aussi étaient souvent des gens fiers qui avaient un job, une maison et de l’argent dans leur pays.

Le statut de réfugié a-t-il porté atteinte à votre fierté?

Non, je ne l’ai pas laissé faire, mais ce n’était pas évident. Je l’ai accepté comme une partie de mon identité ; comme une excroissance qui fait partie de mon corps. Dans le monde dans lequel nous vivons, je suis qualifié de réfugié.

Au début surtout, il faut un déclic. Ne pas trop réfléchir à ses préférences personnelles, mais accepter de recevoir. De recevoir des impressions, une nouvelle culture. Je me suis ouvert, je me suis fait des amis belges et j’ai construit une nouvelle vie à Bruxelles.

Évidemment, le fait que je suis sociable et que j’ai fait des études de littérature anglaise à Damas m’aide. Pour beaucoup d’autres, surtout les personnes plus âgées, il est beaucoup moins évident de construire une nouvelle vie.

Poutine
Poutine © Abdalla Al Omari

Vous vous êtes bien adapté. Nous buvons du pastis en plein après-midi pendant le ramadan et vous avez fumé une demi-cartouche de cigarettes.

(rires). En Syrie aussi, je trichais déjà. Enfant, j’avais hâte de jeûner, mais une fois que j’ai enfin pu le faire, j’en avais marre après une journée.

Je ne suis pas musulman pratiquant et à Damas, ce n’est pas si exceptionnel. Le fait que ce soit l’une des plus vieilles villes du monde est notamment dû à la flexibilité des Damascènes. La ville n’a jamais été totalement détruite, parce qu’à chaque invasion nous ouvrons simplement la porte. « Entre ! Tu n’es pas en train de nous envahir, tu es notre invité ! »

Vous allez également exposer une représentation de Theo Francken. Pourquoi ?

Bart De Wever et Léopold II aussi d’ailleurs, aux côtés de Trump, Poutine, Mao Zedong et d’autres. Ils sont installés dans un cinéma et fixent l’écran à travers leurs lunettes 3D. Ils sont tous élèves de la même école populiste. Ils essaient d’influencer le peuple, mais eux-mêmes sont endoctrinés par une certaine pensée. Ils sont à ce point coincés dans leurs idées qu’ils ne voient plus la perspective des autres.

Ne risquez-vous pas de creuser encore un peu plus profondément l’écart entre le citoyen et la politique en ridiculisant les politiciens ?

Pas du tout. J’essaie justement de rapprocher les dirigeants du citoyen en les rendant humains. Je veux les désarmer, leur montrer que s’ils sont si puissants, c’est parce que nous leur attribuons ce pouvoir. Nous devons réaliser qu’eux aussi ne sont que des humains.

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