A Rome comme ailleurs, des milliers d'enseignants sont descendus dans la rue. © GIUSEPPE CICCIA/GETTY IMAGES © GIUSEPPE CICCIA/GETTY IMAGES

Italie : quand les enseignants doivent tout quitter pour travailler

Les enseignants précaires qui veulent être titularisés doivent accepter d’enseigner n’importe où. Et le plus souvent quitter le sud pour le nord, sans leur famille.

Pendant huit ans, elle a enchaîné les contrats à durée déterminée dans des écoles publiques siciliennes, à 100 km de chez elle. Aujourd’hui, c’est fini : Carmela, 43 ans, a enfin décroché une titularisation. Autrement dit, elle est  » nommée  » depuis le 1er septembre. Mais, pour obtenir ce graal, cette auxiliaire qui s’occupe d’élèves handicapés dans l’enseignement primaire classique a dû accepter de quitter sa Sicile pour partir enseigner à côté de Milan, à 1 400 km de sa maison, de ses amis, de sa famille, pendant trois ans.  » Je vais essayer de trouver un studio pas cher, explique- t-elle au Vif-L’Express. Je ne gagnerai pas plus à Milan, même si la vie y est plus onéreuse. Dans un premier temps, je logerai chez mon beau-frère « ,  » Milanais  » monté de Sicile voici plusieurs années. Carmela est mariée et mère de deux filles. Son mari, Salvatore, est infirmier à l’hôpital d’Enna ; ses deux filles sont étudiantes. Et tous les trois restent en Sicile. Carmela a pris l’avion pour Milan le 30 août. La prochaine fois qu’elle rentrera dans son village de Villarosa, ce sera pour les vacances de Noël…

C’est en septembre 2015 que Carmela a été informée de l’alternative qui lui était présentée par l’Etat italien : continuer à enfiler les contrats précaires ou choisir la titularisation. Afin de l’obtenir, elle a rempli un questionnaire sur Internet et indiqué où elle préférerait travailler. Milan était loin d’être sa priorité. Mais c’est un ordinateur qui a tranché. Et pour elle, comme pour environ 4 000 autres enseignants siciliens, la sentence est tombée, lourdement : ce sera le nord ou… rien. Car Carmela l’assure :  » Si je refusais mon affectation à Milan, j’étais licenciée.  » Finie la titularisation, mais aussi finies les vacations.

Une « loterie »

Stefania Giannini, ministre italienne de l'Education : les postes disponibles au nord, les candidats au sud.
Stefania Giannini, ministre italienne de l’Education : les postes disponibles au nord, les candidats au sud.© SILVIA LORE/GETTY IMAGES

Pour les syndicats d’enseignants italiens, ce système d’affectation est  » une loterie « . A leur appel, des milliers d’enseignants sont descendus dans les rues de Palerme (Sicile) à plusieurs reprises. Ce fut aussi le cas notamment à Bari, dans les Pouilles. Pour l’ensemble du pays, ce sont environ 70 000 enseignants qui sont concernés par cet  » exil forcé « , comme l’ont titré des médias italiens. Dans le quotidien La Repubblica, la ministre italienne de l’Education, Stefania Giannini, a contextualisé ce  » transfert « .  » C’est un fait historique : la plus grande partie des postes d’enseignant se trouvent dans le centre et le nord de l’Italie et la plus grande partie des candidats à ces postes sont dans le sud « , a-t-elle justifié. Les régions dépouillées d’une partie de leurs profs s’inquiètent déjà : et l’avenir de ces régions dans tout cela ?

La titularisation des enseignants fait partie d’un ensemble de mesures contenues dans la loi de réforme de l’enseignement italien du 13 juillet 2015, dite loi  » Buona Scuola  » (bonne école), rédigée par deux experts ainsi que par la ministre Stefania Giannini et le Premier ministre Matteo Renzi. L’épouse de ce dernier, Agnese Landini, était enseignante vacataire de latin et d’italien. L’histoire ne dit pas si Mme Renzi est partie enseigner loin des siens.

Par Johan Rinchart.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire