Hollywood n’a pas peur du bide

Le Vif

Les blockbusters américains ont connu des fortunes diverses cet été. Sans que les majors s’en émeuvent, bons ou mauvais films, l’industrie du cinéma continue de tourner. Explications.

Echec pour Lone Ranger ou Pacific Rim, succès pour Insaisissables et Man of Steel, les blockbusters américains ont connu des fortunes diverses cet été. Sans que les majors s’en émeuvent. Explications.

Woody contre les robots. Et, surprise, c’est le premier qui gagne. Cet été, aux Etats-Unis, le nouveau (et beau) film du cinéaste new-yorkais, Blue Jasmine, fait un carton en salles quand les grosses machineries hollywoodiennes se ramassent à la pelle.
Toutes proportions gardées, évidemment, les recettes de ce Blue Jasmine devant à peine valoir le prix de trois boulons des bestioles de Pacific Rim ou du maquillage de Johnny Depp dans Lone Ranger, le plus gros bide de l’année. Mais, enfin, le fait est remarquable autant qu’il fait plaisir.

Il ne faut évidemment pas en tirer des conclusions hâtives: Woody Allen n’ira jamais concurrencer un James Cameron et les blockbusters ne vont pas disparaître. Pourtant, l’avertissement vaut son pesant de dollars, même si les majors sont peu enclines à l’autocritique.

Hollywood voit bien sûr la chose du côté du verre à moitié plein. Ce qui n’est d’ailleurs pas totalement absurde. Disney compense les pertes de Lone Ranger par le carton d’Iron Man 3, et Warner pleure à l’échec de Pacific Rim mais sourit aux excellents résultats-surprises de Conjuring: Les dossiers Warren, petit film d’horreur venu de nulle part.

Un jeu d’équilibre renforcé par la bonne tenue du marché

international, autrefois bouée de secours pour Hollywood, aujourd’hui enjeu essentiel d’une industrie qui a du mal à contenir son agacement, ou son impuissance, face à un public local de plus en plus volatile.

Les majors font le dos rond en pointant la bonne fréquentation globale de l’été et en accusant l’embouteillage des sorties. Mais elles jouent également aux trois petits singes: ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre. L’esprit de clan est toujours vivace, comme si accuser l’une d’entre elles, c’était accuser tout le monde et surtout soi-même.

Témoin, le producteur Jerry Bruckheimer, qui vient de piquer du nez avec Lone Ranger, déclarant lors d’une conférence de presse: « C’est un de ces films que les critiques ratent à leur sortie et pour lesquels, dans dix ans, ils se rendront compte qu’ils ont fait une erreur. » Sacré Jerry. Et si, dans dix ans, c’était le producteur qui se rendait compte de son erreur? Comme le lui a répondu le journaliste Alonso Duralde sur le site The Wrap: « Si les critiques pouvaient faire d’un film un succès, les frères Dardenne seraient courtisés par tous les studios de Hollywood. »

Au-delà de cette passe d’armes, il faut tout de même reconnaître qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Hollywood: les films coûtent trop cher (analyse objective) et sont souvent idiots (analyse subjective).

Au mois de juin, avant que ne débute la saison estivale, George Lucas et Steven Spielberg, cinéastes pourtant habitués à l’artillerie lourde, tiraient la sonnette d’alarme en critiquant le coût exorbitant des blockbusters. 130 millions de dollars de budget pour RIPD. Brigade fantôme, 180 pour Pacific Rim, 215 pour Lone Ranger.
Plus le coût effrayant du marketing, qui équivaut aux deux tiers du budget. Ça commence à chiffrer. Analyse pleine de bon sens de Fred Bernstein, ancien patron de Columbia cité dans l’hebdo professionnel Variety: « Il va falloir que les choses changent. Je ne crois pas que le public puisse continuer à adhérer au fait que les studios ne produisent que des choses extravagantes à 200 millions de dollars remplies d’effets spéciaux. »

Bernstein dénonce ici l’idée selon laquelle l’argent et la technologie suffiraient à rendre une histoire intéressante et un film attrayant. Mais le spectateur est-il prêt à se révolter devant le formatage?
On aimerait évidemment le croire et penser que le succès d’Iron Man 3 est dû à son autodérision réjouissante et celui d’Insaisissables à sa facture distrayante quand l’échec de Pacific Rim sanctionne un scénario bas de plafond et celui de Lone Ranger, une intrigue mal foutue qui n’en finit plus de finir.
Ce n’est malheureusement pas si simple. Artistiquement, les affiches changent peu finalement. Si Disney a renoncé à Lone Ranger 2, la suite d’Insaisissables vient d’être annoncée. Paradoxe d’une industrie qui tourne avant de réfléchir: un Lone Ranger 2 aurait pu se nourrir des critiques du premier volet et être réussi quand Insaisissables 2, toutes chevilles gonflées, risque d’être en roue libre.

Le gros problème, et la raison majeure de cette défaillance, c’est l’incapacité de Hollywood de réguler une économie qui joue la loi de la demande et la course à l’échalote. Tant que ça passe, ça continue. Il faudrait plusieurs étés calamiteux -les saisons des blockbusters 2014 et 2015 sont déjà bien remplies- pour que quelque chose bouge. C’est pas gagné, si on peut se permettre.
Pourtant, les studios savent qu’il faut faire moins. Moins de blockbusters, moins cher, moins de bruit, moins de pub. Mais les majors sont toutes en concurrence les unes avec les autres et aucune ne fera le premier pas. Elles ont beau faire corps devant les critiques, elles affichent un sourire de façade. Le sourire du Joker. Mais que fait Batman?

Par Eric Libiot et Denis Rossano

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