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George Forrest  » Les attentes des Congolais sont énormes « 

A 70 ans, l’entrepreneur belge George Forrest a traversé toutes les tempêtes qui ont secoué le Congo et assistera, ce 30 juin, aux festivités du 50e anniversaire de l’indépendance.

Né au Katanga, fils d’un Néo-Zélandais et d’une Italienne arrivés dans la province minière en 1921, George Forrest a pris seul les commandes du groupe familial en 1986. Accusé d’avoir fait sa fortune alors que l’ancienne colonie belge sombrait dans la faillite, il s’est taillé un empire qui pèse lourd en RDC. Mines, génie civil, cimenteries, agroalimentaire et, depuis peu, banque et compagnie aérienne : le « dernier colon du Congo », comme certains l’appellent, a diversifié, ces derniers mois, les activités de son groupe, fragilisé par la crise, la concurrence chinoise et la remise en cause des contrats miniers. Rencontre avec un homme d’affaires influent et controversé, qui préfère la discrétion aux coups d’éclat, et parle d’une démocratie congolaise encore fragile.

Le Vif/L’Express : Bruxelles et Kinshasa ont tourné, l’an dernier, la page d’une crise des relations bilatérales. La Belgique est-elle encore écoutée au Congo ?

George Forrest : Il y a des hauts et des bas dans les relations belgo-congolaises. Mais la Belgique accepte de jouer le rôle d’un ambassadeur du Congo sur la scène internationale. Elle y fait passer des messages.

Albert II est l’invité d’honneur des célébrations du cinquantième anniversaire du Congo. Cela vous réjouit ?

Ce déplacement est important. Mais les attentes de la population congolaise sont énormes. Elle s’imagine que le roi débarque à Kinshasa avec plein d’argent à distribuer ! Il faut faire passer l’idée que la Belgique vient voir un peuple ami, un partenaire, indépendant depuis cinquante ans. Il faut qu’elle soit porteuse d’une nouvelle vision de ses relations avec le Congo. Elle doit faire comprendre qu’elle vient pour faire des opérations gagnant-gagnant. Pour le moment, son aide et ses investissements en RDC n’ont aucune visibilité !

La coopération avec le Congo a pourtant été relancée, avec un programme qui prévoit la réhabilitation de pistes rurales, des aides dans l’agriculture, l’enseignement, la santé…

La Belgique dépense 300 millions d’euros par an au Congo, mais qu’en voit-on sur le terrain ? Les Congolais eux-mêmes se disent surpris par l’ampleur de ce montant. Il faut cesser de pratiquer le saupoudrage, de financer des ONG qui, pour certaines, se contentent de faire planter quelques champs de tomates ici ou là.

Quelle alternative ?

La Belgique devrait prendre en charge quelques grands travaux de réhabilitation. Le chemin de fer Matadi-Kinshasa, par exemple. En 2007, la coopération belge avait financé, à raison de 3 millions d’euros, la reconstruction du pont de Nyemba, au Katanga, détruit par les crues en 1997. Voilà un projet peu coûteux et qui a eu un impact formidable. Le train qui reliait Kalemie, sur les bords du lac Tanganyika, à Kindu et Lubumbashi a pu à nouveau passer, ce qui permet de désenclaver la région. Pourquoi ne lancerait-on pas des projets publics-privés au Congo ? Tout le monde s’y retrouverait.

On vous appelle tour à tour « le patriarche », « le dernier colon du Congo », « le vice-roi du Katanga », le « Congolais blanc ». Ces surnoms vous flattent ou vous énervent ?

J’aime bien le « Congolais blanc ». Il n’y a pas de raison de m’appeler « vice-roi du Katanga ». Je suis le plus grand opérateur privé du Congo, mais il y a un monde entre le secteur économique et la sphère politique en RDC.

Les liens entre ces deux milieux sont pourtant parfois étroits en RDC.

Mais les fonctions de patron d’entreprise et de politicien sont différentes !

Où étiez-vous le 30 juin 1960, jour de l’indépendance du Congo ?

Au Katanga. J’allais avoir 20 ans. J’ai eu une belle jeunesse dans ce merveilleux pays, agréable à vivre et très riche. La population congolaise était heureuse de fêter l’indépendance. Confiants, nous n’imaginions pas les drames qui allaient survenir quelques jours plus tard. Mais, même après l’effondrement du pays, nous n’avons jamais envisagé de le quitter.

Comment vous et votre famille avez-vous vécu la sécession katangaise, proclamée le 11 juillet 1960 ?

Au début, la sécession a redonné de la stabilitéà la province minière, puis il y a eu les interventions militaires. Mais je n’ai pas de nostalgie vis-à-vis de la sécession katangaise. Je suis attaché à l’unité du pays.

Vous avez été naturalisé belge en 1995. Mais vous arborez toujours les drapeaux congolais et français, épinglés sur le revers de votre veste. Finalement, êtes-vous congolais, belge ou français ?

Je me sens surtout congolais. Mais je suis aussi consul de France honoraire. Et je représente des intérêts économiques belges. Je suis même, aujourd’hui, le seul Belge qui investit beaucoup au Congo. Curieusement, depuis que j’ai acquis la nationalité belge, j’ai été beaucoup attaqué en Belgique !

Des ONG belges vous ont, en effet, accusé de participer au pillage des ressources minières du Congo et un rapport congolais vous a cité parmi les bénéficiaires de contrats léonins. Avez-vous gardé une amertume de cette époque ?

Tout le monde se rend compte, aujourd’hui, que ces attaques étaient malveillantes, injustes. Contrairement à ce que certaines ONG ont voulu faire croire, je ne suis pas un prédateur. Notre groupe assure un développement économique au Congo. Parmi les opérateurs, il y a des investisseurs, qui créent de l’emploi, et des spéculateurs. Nous faisons partie de la première catégorie.

Le secteur minier produit peu de rentrées dans les caisses de l’Etat congolais, alimentées pour moitié par les donateurs étrangers. N’est-ce pas choquant ?

Nos sociétés minières ont été les premières à publier des données financières précises. Nous faisons partie des opérateurs qui alimentent les caisses de l’Etat. Le grand drame du pays, c’est la persistance, dans le secteur minier, de l’activité informelle, non taxée. C’est aux autorités à mettre de l’ordre dans ces trafics.

Vous appelez régulièrement les sociétés belges à venir investir au Congo. Quelles qualités faut-il avoir pour faire des affaires en RDC ?

Il faut pouvoir prendre des risques, saisir les opportunités qui passent. Moi qui connais bien l’Afrique, je peux mieux calculer que d’autres jusqu’où aller dans le risque. Mais attention, la RDC n’est tout de même pas un casino.

Le Congo actuel est-il un pays fiable pour les investisseurs ?

Y faire des affaires est moins facile qu’autrefois. En cause, le manque de sécurité juridique pour les investissements. Les entreprises subissent des ingérences dans leur politique de gestion. Elles devraient pouvoir se développer sans entraves, à partir du moment où elles respectent la loi, bien sûr.

Ces obstacles n’existent-ils pas depuis longtemps ?

C’est pire aujourd’hui qu’hier. La « revisitation » des contrats miniers par les autorités congolaises a créé un malaise général et a fait fuir les capitaux étrangers. Quand les grands projets Tenke Fungurume et Katanga Mining seront réalisés, le secteur minier aura bénéficié, globalement, de 2 milliards de dollars d’investissements, alors que l’on citait naguère le chiffre de 5 milliards.

L’arrivée en force des Chinois au Congo a provoqué une remise à plat des contrats miniers. Vous considérez-vous comme la principale victime du deal entre Kinshasa et Pékin ?

Récemment, d’autres groupes ont beaucoup souffert. Mais nous avons été la première victime. Nous avons dû rétrocéder, en février 2008, deux permis situés près de Kolwezi. Nous avions pourtant obtenu toutes les autorisations, entérinées par un décret présidentiel. Et tout a été cassé par simple arrêté ministériel. Cela pose question.

N’avez-vous pas obtenu un dédommagement de 825 millions de dollars ?

On l’a négocié ! Les Chinois se sont rendu compte qu’ils risquaient de perdre la partie sur le plan juridique. Notre groupe a été contraint de donner son accord à la rétrocession, moyennant un dédommagement, mais qui n’a pas encore été attribué. Il ne le sera qu’en 2015, à moins que l’on découvre, d’ici à 2013, des gisements équivalents à ceux que nous avons dû rétrocéder.

Vous qui avez toujours fréquenté les allées du pouvoir, déjà sous Mobutu, quelles relations entretenez-vous avec le président actuel ?

Je le vois de temps en temps, mais nous n’avons pas de rencontres régulières.

Vous avez reconnu, dans un journal suisse, avoir financé le PPRD, la formation politique de Kabila, lors de la campagne électorale de 2006. Vous continuez à aider le parti présidentiel ?

J’ai financé la campagne électorale du PPRD en 2006, mais aussi celles d’autres partis congolais, qui avaient peu de moyens. C’était une façon de contribuer à l’essor de la démocratie, du multipartisme, d’encourager la diversité des opinions politiques trop longtemps bridées. Le financement des partis par le secteur privé est d’ailleurs autorisé en RDC.

La prochaine élection présidentielle en RDC est prévue à l’automne 2011, à moins que le mandat de Kabila soit prolongé de deux ans. Certains observateurs pronostiquent déjà une crise de la démocratie congolaise. Votre sentiment ?

La démocratie congolaise reste très fragile. Pour organiser les élections, il faut des moyens. Le pays ne les a pas. Je ne vois pas d’autre solution qu’une nouvelle intervention de la communauté internationale.

OLIVIER ROGEAU

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