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François Hollande : suicide, mode d’emploi

Parce qu’il a lui-même commis une erreur jugée irréparable, le président français est maintenant lâché par une partie de ses soutiens. C’est le début de la fin.

Jusque-là, tout allait mal. C’est alors que le pire est arrivé. Le président, qui avait montré, il y a fort longtemps, un certain savoir-faire meurtrier en matière de campagne électorale, s’apprêtait à lancer l’offensive contre la droite en tentant de rassembler une partie de son camp. Et voilà que le coup de grâce est donné par celui qu’on attendait le moins : le tueur est devenu son propre bourreau.

Il y avait un plan. Après un discours sur la gauche au pouvoir, le 3 mai, et un autre sur la démocratie face au terrorisme, le 8 septembre, François Hollande accorde une interview à L’Obs, le 13 octobre, jour du premier débat de la primaire de la droite. Sont bientôt prévues une intervention vouée à Mitterrand, le 26 octobre – puisque, dans cette phase, il s’agit de  » parler à la gauche  » – et une autre allocution, envisagée pour le 2 novembre.  » C’est le jour des morts, tous les articles commenceront avec cela !  » avait objecté un socialiste. Oui, mais c’est également la veille du deuxième débat de la droite. Subtile stratégie… Or, quelqu’un est bien placé pour savoir que  » rien ne se passe jamais comme prévu  » : Fran- çois Hollande, qui en a fait l’une de ses règles de vie. Il ne va pas être déçu.

Au dîner des responsables socialistes autour de lui, le 11 octobre, pas une fois le maître des lieux n’évoque le livre à paraître des deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça… Tout juste échange-t-on sur les propos de François Hollande sur Marianne et la femme voilée. Encore une sortie de route isolée du chef de l’Etat, pas de quoi couper l’appétit, juste une question d’habitude. A table, on s’amuse de voir que le discours d’Emmanuel Macron au Mans, qui se déroule en même temps, est jugé interminable par la presse – elle le compare à une allocution de Fidel Castro. L’ambiance est détendue : on commente le but de Paul Pogba lors du Pays-Bas – France de la veille, un sacré boulet de canon.

Le ciel s’abat sur la tête des convives au petit jour, le lendemain.  » On s’est pris la porte en pleine poire « , avoue l’un d’eux. L’appel des parlementaires pour soutenir la candidature Hollande, qui devait être lancé le jeudi 13 octobre, est immédiatement annulé. 672 pages de confidences ; la parole d’un président sans filtre, la vérité d’un homme débarrassé de la sacralité de la fonction. Hollande comme si vous partagiez la même salle de bains. Bruno Le Roux est effondré :  » Tu te rends compte qu’il a vu plus souvent ces deux journalistes que moi, alors que je dirige le groupe majoritaire à l’Assemblée ?  » lâche-t-il devant un camarade, tout aussi sidéré que lui. Lequel confie :  » Je viens de comprendre qu’en réalité, je ne connais pas François Hollande. Non seulement la fonction ne l’a pas changé, mais elle a révélé un comportement que même le premier cercle de ses proches ne soupçonnait pas.  »

« Comment peut-on voter pour un type qui a aussi peu le sens de l’Etat ? »

Jean-Yves le Drian, ministre français de la Défense, est défait : le chef de l’Etat a discuté avec ses interlocuteurs de sujets qui relevaient du secret défense. Claude Bartolone, lui, est fou de rage. Un ami qui écoute RMC vient de l’appeler :  » A la radio, ils disent que tu aurais demandé à Hollande de faire pression sur la justice dans une affaire te concernant, et qu’il aurait refusé !  » Le président de l’Assemblée nationale est ulcéré.  » C’est indigne, répond-il à son camarade. Quand j’ai appris que j’étais sous la menace d’une mise en examen pour une histoire d’emploi fictif, j’ai appelé François et je lui ai dit que je ne pouvais pas être tête de liste aux régionales. Devant témoins ! Il a tout fait pour que j’y aille et m’a dit : « Mais non, ne t’inquiète pas, dans quelques jours on n’en parlera plus ».  » Un autre élu :  » Un président qui laisse des journalistes enregistrer sa conversation avec un chef d’Etat étranger, on n’a jamais, jamais vu ça. A ce stade, ça relève du symbole : comment peut-on voter pour un type qui a aussi peu le sens de l’Etat ?  »

Dès le mercredi, l’Elysée multiplie les tweets pour relayer l’entretien accordé à L’Obs, qui ne paraît que le lendemain – dérisoire tentative d’éteindre l’incendie en allumant un contre-feu. Mais les pompiers manquent à l’appel. Au mieux, on entend surtout le silence de tous ceux qui ont déserté, sinon, résonne partout la litanie des reproches. Rares sont les grognards qui font bloc. Au premier rang, Julien Dray, le tacticien et l’ami ; l’infatigable Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, qui s’emploie à dissimuler à quel point il est atterré par la simultanéité de la publication de l’interview et de la parution du livre – lui, méfiant comme toujours, a refusé de recevoir les deux journalistes du Monde. Ou encore Ségolène Royal, qui dispense ses conseils par téléphone, depuis le Vatican, où elle assiste à la canonisation de deux religieux français auprès du pape François. Il paraît que le miracle est une question de foi. On réfléchit à l’opportunité de lancer une riposte coordonnée et massive en faisant monter aux avant-postes une nouvelle génération d’élus…

La gauche est un tel champ de ruines qu’un débris peut encore se rêver cathédrale

Les plus déterminés ne sont pas ceux qui doutent le moins. Au sein de la Belle alliance populaire, concept inventé par le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, pour élargir les soutiens à Hollande au-delà du PS, les anciens syndicalistes forment le groupe le plus militant. Ou plutôt formaient : ceux qui ont prévu de participer au meeting de soutien au président sortant, le 16 novembre, se posent désormais des questions, à la fois sur leur engagement et sur leur présence à cette manifestation.

Entre eux, les Hollandais historiques tentent aussi de résoudre un mystère : qui a introduit le loup dans la bergerie ? Pourquoi ce livre, pourquoi ces journalistes ?  » Le président ne leur avait jamais parlé avant 2011, relève l’un d’eux. Ils arrivent donc en pleine campagne. Qui a convaincu Hollande ? François est le dernier à faire n’importe quoi. Quelqu’un avait donc ce niveau d’influence pour lui certifier qu’on pouvait faire confiance à des gens qu’il ne connaissait pas…  »

La gauche est un tel champ de ruines qu’un débris peut encore se rêver cathédrale. François Hollande est lucide, mais tente de se rassurer. Si le candidat s’appelle Manuel Valls, il faudra faire sans Martine Aubry, et beaucoup d’autres. Emmanuel Macron ? Ce serait sans Anne Hidalgo, et beaucoup d’autres. Arnaud Montebourg ? Ce serait sans Manuel Valls, et beaucoup d’autres. Mais le candidat peut-il vraiment s’appeler Hollande ?

S’il n’en reste plus qu’un à soutenir sa candidature, c’est bien lui : Jean-Luc Mélenchon ! Qui l’eût cru ? Dans le Journal du Dimanche, il juge la candidature du président sortant  » nécessaire pour la démocratie « . Une raison moins avouable, décryptée par un proche, anime le leader du Parti de gauche :  » Jean-Luc pense pouvoir battre Hollande. Si ce dernier renonce et qu’il est remplacé par Manuel Valls, le débat se déporte sur l’identité et la sécurité. Un terrain où Mélenchon est moins à l’aise que sur la redistribution et les nouveaux droits sociaux.  » Autre conséquence : une défection du président entraînera mécaniquement une candidature d’Emmanuel Macron. Or le trentenaire, bien que positionné plus à droite, mord sur tous les électorats et séduit des déçus, y compris au sein de l’aile gauche.

« Maintenant, il est nu et ce n’est plus le roi »

Dès le lancement de son mouvement, En marche !, le 6 avril, l’ex-ministre de l’Economie est persuadé que François Hollande ne pourra pas se représenter. La tornade Davet-Lhomme valide son analyse et conforte ceux qui, au sein de son équipe, plaident pour une déclaration de candidature précoce. Certains suggèrent de le faire trois semaines avant le premier tour de la primaire de la droite (20 novembre), vers la fin d’octobre : des électeurs pourraient être dissuadés de voter Juppé pour se reporter sur Macron. La primaire désignerait Nicolas Sarkozy, le meilleur adversaire pour lui. Dans un entretien accordé, le 14 octobre, à la chaîne Bloomberg, l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée brouille les pistes, affirmant que  » la question sera tranchée aux alentours de décembre ou de janvier « .

Ces derniers jours, plusieurs députés ont appelé le quasi-candidat – même François Hollande pense désormais qu’il va se présenter. Quand va-t-il se dévoiler ? Ils sont tellement déboussolés qu’ils contactent aussi les équipes de Montebourg et de Valls, pour savoir ce que vont faire l’un et l’autre. Le chef de l’Etat n’est plus protégé par sa légitimité institutionnelle.  » Maintenant, il est nu et ce n’est plus le roi « , commente un élu.

Le président ne maîtrise plus son ancien collaborateur. Parviendra-t-il au moins à s’entendre avec son Premier ministre ? Entre Hollande et Valls, c’est l’heure de vérité. Les deux hommes se voient en tête-à-tête, le dimanche 16 octobre. Dans la foulée, le chef du gouvernement demande à ses troupes de ne pas envenimer la situation par des déclarations intempestives. Le moment est grave : il sait qu’une fenêtre de tir, inespérée, vient de s’ouvrir pour lui. Il compte bien pousser son avantage mezzo voce. En montrant qu’il est, lui, le Premier ministre, le meilleur garant des institutions – un rôle dévolu normalement au chef de l’Etat. Puisqu’il a beaucoup clivé, il doit adopter un positionnement rassembleur. Fini, les envolées intransigeantes en matière de laïcité. Place à des discours sur la nation, sur le patriotisme – il doit en tenir un à Tours, ce 22 octobre, dans le cadre des universités décentralisées du PS. Il s’agit d’incarner le pays et de prendre de la hauteur.  » Pas besoin de lancer des pétitions, note un proche. Les appels du pied arrivent tout seuls. Beaucoup de socialistes sont effrayés à l’idée que la primaire soit gagnée par Montebourg si le président se représente.  »

François Hollande et Nicolas Sarkozy rêvaient de se retrouver face à face en 2017. Chacun vient de vivre sa séquence noire. Se remet-on de pareilles catastrophes quand les échéances approchent aussi vite ? Un responsable socialiste, un tantinet inquiet, a posé la question à l’actuel chef de l’Etat :  » D’autres livres sont-ils à suivre ?  »  » Pas à ma connaissance « , a répondu François Hollande.

Par Élise Karlin, Corinne Lhaïk, Éric Mandonnet et Marcelo Wesfreid.

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