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France: la primaire de la droite, c’est « petits meurtres entre amis »

Après le premier débat télévisé de la primaire de la droite en vue de la présidentielle de 2017, le climat reste résolument tendu. Sept candidats s’affrontent. Ames sensibles, s’abstenir.

Alain Juppé a une histoire. Mieux : une histoire drôle – on ne se refait pas. Un fou se tape sur la tête.  » Pourquoi ?  » lui demande un ami.  » C’est tellement bon quand ça s’arrête !  » Tentons de décoder : le maire de Bordeaux et candidat à la primaire de la droite n’a pas davantage l’intention de promettre monts et merveilles que du sang et des larmes. Inutile d’être maso pour gagner.

Nicolas Sarkozy aussi a son histoire. Elle n’est pas censée être drôle, mais elle lui fait rudement plaisir. Lors d’une de ses séances de dédicaces pour ses livres – celle-ci fut organisée dans une galerie commerciale -, un garçon de 20 ans lui demande une signature pour sa copine. Si le jeune homme n’est pas particulièrement intéressé par les écrits de l’ancien chef de l’Etat, ce sont ses mots à elle qui comblent le candidat :  » Elle dit que vous êtes le seul qu’elle comprend à la télé.  »

François Fillon s’en voudrait de ne pas avoir également une histoire. Et celle-là ne le fait pas du tout rire. Amer de voir les projecteurs médiatiques le délaisser, il a compté le nombre de unes et de photos de Nicolas Sarkozy que Le Figaro a publiées ces derniers jours.

La primaire, ce serait donc une histoire de fous ? Un remix de Paroles, paroles, de Dalida ? Une course à l’échalote ? A l’arrivée, peut-être, sans doute, la désignation du futur président de la République française. Ce qui n’empêche pas de rigoler un peu.

Evidemment, en campagne, il s’agit surtout de cogner. Le fleuret moucheté, ça peut se tenter –  » Juppé a mis une application méticuleuse à ne pas être trop applaudi « , dit un filloniste après l’avoir entendu en meeting – mais l’efficacité n’est pas garantie. Le plus simple, pour rester convenable – on est dans un affrontement au sein d’un même camp – , est de s’en prendre à quelqu’un… qui ne se présente pas mais qui soutient un candidat. Les sarkozystes adorent ainsi parler de François Bayrou.  » C’est formidable, le citer en meeting est vraiment le truc qui marche le mieux, se réjouit François Baroin,  » premier ministrable  » de Sarkozy. Avant, il y avait Taubira, puis il y a eu Najat Vallaud-Belkacem, maintenant, c’est Bayrou ! Ovation garantie. Il a refusé l’union avec l’UMP, il n’a pas choisi entre Royal et Sarkozy en 2007 et il a fait élire Hollande en 2012.  »

 » Le tous contre Sarko, c’est de la nitroglycérine. Comment rassembler au lendemain de la victoire ?  »

Il faut avoir les moyens de mettre trois bandes au billard ; Jean-François Copé, en perdition dans les sondages, ne les a pas. Il a donc choisi le bazooka. Et, pour économiser ses munitions, il se concentre sur une seule cible, Nicolas Sarkozy, puisqu’il considère occuper le même créneau idéologique que l’ancien président, à savoir celui de la droite bonapartiste. Feu à volonté :  » grande imposture « ,  » mode de management dictatorial qui incite les gens à ne plus sortir aucune idée « …

L’affrontement direct entre les deux favoris est évidemment plus sournois. Quand c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui attaque, cela donne-t-il à Alain Juppé une seconde jeunesse ? A la mi-septembre, à Provins (au sud-est de Paris), l’ancien président déclare :  » Je n’accepte pas les accommodements prétendument raisonnables avec les extrémistes  » – reprenant une expression utilisée une fois par Juppé pour prôner des relations apaisées avec les  » musulmans modérés « .  » Il paraît qu’on n’apprend pas à mourir en tuant les autres « , est-il écrit dans les Mémoires d’outre-tombe. Cela tombe bien, le maire de Bordeaux relit Chateaubriand pendant cette campagne. Pour éviter de répondre à la provocation, il choisit de ne pas riposter publiquement ni de téléphoner à Nicolas Sarkozy –  » Ça ne sert à rien, il me racontera n’importera quoi et ne tiendra pas compte de mon appel « , confie-t-il. Piqué au vif, il musclera néanmoins son propos dans les jours suivants.

La présence d’un public généralement avide d’unité incite à un minimum de courtoisie. Quand Brice Hortefeux, premier des sarkozystes, tient une réunion publique à Arcachon (près de Bordeaux), lui appelle Alain Juppé pour l’en informer. Si tu veux le respect, ne sois pas vulgaire. Et si tu veux la paix, prépare la guerre. Pendant que l’ancien président se concentre sur le premier tour, et rien que le premier, ses amis anticipent le second.  » Le tous contre Sarko, dans une primaire, c’est de la nitroglycérine. Comment rassembler au lendemain de la victoire, comment recoller les morceaux si on axe la campagne du second tour sur ce thème ?  » prévient François Baroin.

Evidemment, en campagne, il s’agit surtout de cogner

Pour s’inviter dans le duo Sarkozy-Juppé, on pourrait imaginer que François Fillon concentre ses flèches sur le Bordelais, afin d’attirer une partie de son électorat.  » Tu dois avoir plus d’animalité « , lui suggère son ami Bruno Retailleau, président de la région Pays de la Loire. Devant un proche, François Fillon a évoqué leurs longues carrières parallèles pour relever :  » Avec Alain, on n’a jamais réussi à s’engueuler. Peut-être qu’au fond on est tous les deux bien élevés.  » Suivez son regard. Dans le document que France 3 lui consacre le 17 octobre, le député de Paris note :  » Je pense que les passions en politique ont toujours conduit à des excès, souvent à des révolutions, à la violence, toujours à faire souffrir des hommes et des femmes qui en sont victimes. Je sais que ce discours vous gêne, vous agace, mais c’est vous qui vous trompez et moi qui ai raison.  »

 » Si Sarkozy est renvoyé en correctionnelle, il va encore crier au complot ?  »

Savoir raison garder n’est plus de mise dès lors qu’il s’agit des affaires. Les grands fauves montrent alors qu’ils sont aussi des êtres sensibles, voire chatouilleux… L’enquête sur l’explosion des dépenses dans la dernière campagne présidentielle – pour la justice, il est désormais établi que les plafonds ont été dépassés de quelque 20 millions d’euros – prouve que le sujet des affaires garde toute son actualité. Nicolas Sarkozy, doublement mis en examen (pour financement illégal de la campagne de 2012, pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire des écoutes), et Alain Juppé (condamné à quatorze mois de prison avec sursis et à un an d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts dans le cadre de l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris) se tiennent par la barbichette – le premier qui parlera aura un coup de poing.  » Un mis en examen est présumé innocent, un condamné est certifié coupable « , rappelle un ami de l’ancien chef de l’Etat, afin qu’aucun des partisans du Bordelais ne s’aventure sur ce terrain. A ce jour, seuls François Fillon et Jean-François Copé ont mis les pieds dans le plat, pour ne cibler que l’ancien chef de l’Etat. Au cas où il n’aurait pas été compris, le second ajoute une deuxième couche en privé :  » Si Sarkozy est renvoyé en correctionnelle, il va encore crier au complot ? Et si un ministre, un jour, va en correctionnelle, il pourra rester au gouvernement ?  »  » C’est le principe du tourbillon pour les candidats en perdition : je suis aspiré par le fond, donc j’accélère et je m’enfonce encore plus « , cingle Brice Hortefeux. Détresse ? Certaines phrases laisseront des traces.

Au fur et à mesure que l’échéance approche, ce sont également les électeurs qui se crispent. L’un des enjeux de la campagne, au-delà des candidats, se situe bien là : dans quel état finira le peuple de droite ? Brice Hortefeux se veut rassurant :  » Pour la première fois, les personnes sont au second plan. Ce sont les idées et la ligne qui priment. Les divergences idéologiques sont plus faciles à surmonter que les querelles humaines.  » La France de Chatou, où Alain Juppé avait vanté les vertus du  » rassemblement « , à la fin d’août, dans une ambiance bon enfant, et la France de Châteaurenard, où Nicolas Sarkozy avait, sous les vivats de la foule, dénigré les élites, se retrouveront-elles facilement ? Un reportage n’a pas échappé à Alain Juppé : celui, diffusé sur RTL, où l’on entendait des militants Les Républicains indiquer que, entre Marine Le Pen et l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac, ils choisiraient la première. Dans les rues d’Hossegor, à la pointe sud-ouest de l’Hexagone, cet été, il a vu des inscriptions  » Juppé – Daesh « , qui n’émanaient a priori pas de la frange la plus modérée de l’électorat. C’est le problème des petits meurtres entre amis. Il arrive qu’ils laissent de grandes blessures dans les familles.

Polémique sur les électeurs

La dernière controverse en date de la primaire de la droite ne porte ni sur les programmes ni sur les candidats, mais sur… les électeurs. Les sarkozystes ne veulent pas que la gauche trouble la sincérité du scrutin – ils ne croient absolument pas que ce sera le cas, mais le martèlent chaque jour pour mobiliser le coeur de l’électorat de droite.

La rédaction d’une charte que signera chaque votant fut l’un des premiers sujets abordés par le comité d’organisation de la primaire. Le PS avait phosphoré en 2011, confié une mission à un historien grand connaisseur du parti, Alain Bergounioux, pour adopter une charte minimaliste, sans les sujets qui fâchent (l’Europe, par exemple ) : « Je me reconnais dans les valeurs de la gauche et de la République, dans le projet d’une société de liberté, d’égalité, de fraternité, de justice et de progrès solidaire. » Pas de quoi fouetter une rose. Au début de 2015, le président du comité, Thierry Solère, montre à ses collègues ce texte, ainsi que la charte des valeurs de l’UMP, plus étoffée. Le consensus se dégage vite : il faut rassembler tous ceux qui veulent tourner la page du quinquennat Hollande et, puisqu’on a failli appeler cette primaire celle de « l’alternance », le mot va être conservé.

« Aujourd’hui, la porosité des électorats est évidente, explique Solère. Si nous n’acceptons que ceux qui ont voté pour nous la dernière fois, par définition nous perdrons. » Il faudra signer cet engagement : « Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France. »

Par Éric Mandonnet.

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