© Reuters

Etats-Unis: John Edwards ou la chute du « Kennedy du XXe siècle »

Candidat aux primaires démocrates en 2007, l’ex-héros des sans-voix, accusé de détournement de fonds au profit de sa maîtresse, a été déclaré non coupable ce jeudi. Mais cette affaire qui a choqué l’Amérique lui offre une piteuse sortie…

Un soir de février 2006, à New York, au bar du Regency Hotel. Une femme blonde, avec un déhanchement torride, s’approche du candidat, qui boit un verre avec un collaborateur. « Mes copines me jurent que vous êtes John Edwards, glousse Rielle Hunter. J’leur dis que non ! Vous êtes bien trop mignon… »

Avec sa mine bronzée de gendre idéal, l’ancien prétendant à la vice-présidence de John Kerry en 2004, fût-il classé comme le « politicien le plus sexy au monde » par le magazine People, sait bien que le moindre écart peut anéantir son nouveau rêve de Maison-Blanche. Mais il craque. Père de famille exemplaire jusqu’alors, le boutefeu de l’aile gauche du Parti démocrate, ex-sénateur de Caroline du Nord, succombe à la tentation.
Il fait pis, même, dans les semaines qui suivent. Rival sérieux de Hillary Clinton et de Barack Obama aux primaires démocrates, il engage sa maîtresse dans son équipe de campagne et désigne comme sa chroniqueuse vidéo personnelle cette actrice occasionnelle, night-clubbeuse assez déjantée pour avoir inspiré un personnage de nympho cocaïnomane dans une série télévisée.
En guise d’épilogue à son délire passionnel, dont est née une enfant en février 2008, Edwards répondait devant une cour fédérale de Caroline du Nord, du possible détournement de un million de dollars de fonds de campagne. Le prix à payer, semble-t-il, pour acheter le silence de la belle et la soustraire aux paparazzis lors d’une fuite éperdue aux quatre coins du pays.

En début de semaine, malgré six jours de délibérations, les jurés hésitaient à se prononcer. Mais il a finalement été déclaré jeudi non coupable du chef d’accusation de détournement de fonds. Mais l’Amérique, elle, avait déjà rendu son verdict.

John Edwards, fils d’une postière et d’un ouvrier du textile, devenu avocat de renom, a longtemps été adulé comme le champion des sans-voix de Caroline du Nord. Il y a dix ans, certains voyaient en lui un « Kennedy du XXe siècle ».

Désormais, le magazine Time assimile l’ancien champion « de l’honneur et de l’intégrité » -l’un de ses slogans favoris- à une « viande putréfiée du système politique américain ».
Selon un récent sondage, il attire la compassion de trois Américains sur 100. Pas un de plus. « La vague populiste des dernières années a renforcé le pouvoir de l’opinion, plus impitoyable que jamais à l’égard des hommes politiques, reconnaît Hank Sheinkopf, consultant démocrate à New York. Certains Européens nous trouvent sans doute trop prudes, mais Edwards a dépassé les bornes. Ici, il est mal vu de tromper une épouse mourante. »

Une vidéo fulminante de rancoeur de sa femme

Des gynécologues, lors du procès, ont confirmé que la petite fille de Rielle Hunter n’avait pu être conçue qu’en juin 2007, deux mois après l’annonce à Elizabeth Edwards de la rechute et de l’issue sans doute fatale de son cancer. Cette brillante avocate, fille de pilote de l’US Air Force, se vantait d’avoir dégrossi ce « bouseux » à la gueule d’ange dès leur rencontre à la fac de droit, à l’université de Caroline du Nord.

Ensemble, ils avaient connu la gloire dans les prétoires, nourri une fortune de 40 millions de dollars des dommages et intérêts obtenus au cours de dizaines de procès d’anthologie. Tous deux avaient aussi connu l’indicible, en 1996: la mort de leur fils Wade, âgé de 16 ans, dans un accident de voiture. Le drame avait conduit Elizabeth, peu avant ses 50 ans, à offrir un frère et une soeur à leur grande fille, Cate.

John s’était engagé corps et âme dans la politique; homme de gauche, il avait remporté les sénatoriales de 1998 dans l’un des Etats les plus conservateurs d’Amérique. Mais Elizabeth, peu avant sa mort, en décembre 2010, a pris soin d’enregistrer une vidéo fulminante de rancoeur à l’encontre de son mari, livrée à de rares proches après son enterrement.

Tout compte fait, la conduite de John Edwards n’aura guère été plus fautive que celle d’autres hommes politiques, revenus en grâce auprès de l’opinion, tels que le républicain Newt Gingrich ou même Bill Clinton… Mais son cas reste particulier: « Gingrich ressemble à un boxeur de seconde zone, tandis que Clinton irradiait une telle sensualité qu’il semblait incorrigible, rappelle le psychologue Michael Schulman, dans Time. Edwards, lui, incarnait le Bien jusqu’à la béatification. Retirez le mythe, et il ne reste que le ressentiment. »

Pendant les primaires, en 2007, Edwards est le premier candidat démocrate à évoquer la pauvreté aux Etats-Unis depuis Robert Kennedy, en 1968. Il mise aussi sur l’image idyllique et méritante de sa famille.

Il raille en privé les « ploucs obèses » venus l’applaudir

En petit comité, cependant, le défenseur autoproclamé des petits, grisé par l’appui de la mouvance col bleu du parti aux dépens de Hillary Clinton et d’Obama, raille, à bord du jet privé mis à sa disposition, les « ploucs obèses » venus l’applaudir dans les champs de foire… Rielle, caméra en main, flatte son narcissisme jusqu’au délire.

Quand un conseiller courageux tente de convaincre le candidat de mettre un terme à sa liaison avec celle que tous les membres du staff appellent la « foldingue », il est viré sur-le-champ. Les meilleurs consultants fuient le navire discrètement, avant que les premiers scoops du National Enquirer, un tabloïd, en octobre et en décembre 2007, ne concluent le naufrage.

Edwards abandonne en janvier 2008, après avoir perdu la primaire dans son propre Etat, la Caroline du Nord. Mais il n’a pas encore touché le fond du déni. Convaincu qu’Obama, déjà favori, peut encore le nommer vice-président ou ministre de la Justice (Attorney General), il exige d’un assistant dévoué, le malheureux Andrew Young, père de trois enfants, qu’il endosse la paternité de sa propre fille et qu’il accompagne sa maîtresse dans une course folle, du Colorado à la Californie, dans l’espoir de la soustraire à la presse jusqu’au mois d’août, date de la décisive Convention démocrate de Denver…

Deux bailleurs de fonds, Fred Baron, un milliardaire texan décédé depuis lors, et Bunny Mellon, une riche héritière, aujourd’hui âgée de 101 ans et trop sénile pour témoigner au procès, auraient payé l’escapade sans le savoir. Des mois durant, chaque soir, le candidat joint les fugitifs au téléphone.

Rielle Hunter lui raconte, au bout du fil, ses planques de luxe, villas hollywoodiennes et palaces de rêve. Comme si Edwards voulait goûter, pour quelques instants encore, une part de son rêve américain.

Philippe Coste, L’Express

L’homme qui se rêvait président

1953: Naissance le 10 juin, à Seneca (Caroline du Sud).
1978: Devient avocat.
1999: Sénateur démocrate de Caroline du Nord.
2004: Candidat à la vice-présidence auprès de John Kerry.
2007: Candidat aux primaires pour la présidentielle de 2008.
2012: Le 23 avril, début de son procès pour détournement de fonds. Il risque trente ans de prison et une amende de un million et demi de dollars.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire