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Corée du Nord: « Pas de crise majeure »

La succession dynastique en cours à Pyongyang peut provoquer des surprises. Mais le pays est moins isolé qu’on le croit, explique Narushige Michishita, spécialiste au Japon des questions de sécurité dans la péninsule.

Narushige Michishita est professeur à l’institut national d’études politiques (GRIPS) de Tokyo et spécialiste des questions de sécurité dans la péninsule. Entretien.

Le décès de Kim Jong-il vous a-t-il surpris ?
Oui. D’après les informations officielles, il n’était pas hospitalisé et il s’agit bien d’une mort subite. Cela dit, Kim Jong-il avait souffert d’une attaque en 2008, un problème grave qui l’avait incité à engager le processus de succession en faveur de son troisième fils, Kim Jong-un. Son état de santé restait fragile.

Même si le processus de succession était engagé, Kim Jong-un n’a que 27 ou 28 ans. Il n’est associé à l’exercice du pouvoir que depuis un peu plus d’un an…

C’est vrai. Quand Kim Jong-il a succédé à Kim Il-sung en 1994, il occupait des positions importantes depuis vingt ans. C’est une différence notable. Kim Jong-un manque d’expérience, ce qui entraîne un risque d’instabilité. Dans le même temps, le nouveau leader semble pouvoir compter sur l’appui de l’armée, et notamment du chef d’état-major Ri yong-ho, ainsi que des cadres du Parti des travailleurs, dont la direction a été réformée en 2010 après des années sans le moindre changement. Les dirigeants ont intérêt au maintien du régime: si la dynastie des Kim s’effondrait, ils perdraient beaucoup. Et puis les autorités ont attendu deux jours pour annoncer officiellement le décès de Kim Jong-il. C’est peu. Cela montre peut-être que la succession est déjà bien amorcée.

Est-ce à dire que tout est déjà prévu ?

Non. À ce sujet, il ne faut pas oublier les problèmes rencontrés par Kim Jong-il. Choisi par son père en 1974 pour lui succéder, il a été la cible d’une fronde en 1976, menée par le vice-président du parti Kim Tong-gyu. Je ne serais pas surpris que Kim Jong-un rencontre des obstacles similaires. En plus, en 1994, Kim Jong-il était membre du Politburo et de la Commission militaire centrale. Kim Jong-un, lui, ne siège pas au Politburo. Je me demande quand il le pourra. C’est important pour conforter son pouvoir.

Kim Jong-un va-t-il, comme son père, observer un deuil de trois ans, conformément à une tradition héritée du confucianisme?

Difficile à dire. 2012 devait être une année de célébration du centenaire de la naissance de Kim Il-sung, le fondateur de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Au lieu des célébrations, on pourrait assister à une année de deuil. Les autorités chercheront sans doute à utiliser les anniversaires de Kim Jong-il, le 16 février, et de Kim Il-sung, le 15 avril, pour conforter le pouvoir de Kim Jong-un et lutter contre les risques d’instabilité.

Les dirigeants de Pyongyang pourraient-ils recourir à des provocations afin de consolider le pouvoir du nouveau leader?

Ce n’est pas exclu, mais je n’y crois guère, sauf en cas de nécessité absolue. La Corée du Nord pourrait créer une situation de tension internationale pour favoriser l’unité du pays. Cela dit, je ne crois pas qu’elle va mener un troisième essai nucléaire, après ceux de 2006 et de 2009, sauf peut-être pour des raisons techniques ou pour imposer une sorte de calendrier: « un essai tous les trois ans ».

En outre, le contexte est très différent de ce qu’il était en 1994, à la mort de Kim Il-sung. À l’époque, Kim Jong-il bénéficiait d’une position solide, mais la Corée du Nord était totalement isolée. L’Union soviétique s’était effondrée et avait cessé de lui venir en aide. La Chine, son alliée traditionnelle, sortait de la crise née du mouvement pro-démocratie de la Place Tien Anmen. À ce moment-là, les Américains ont envisagé d’attaquer la RPDC. Ils ont notamment déployé un groupe aéronaval près de la péninsule. Cela n’a pas empêché la conclusion d’un accord important sur le nucléaire en octobre 1994 avec les Etats-Unis. Par la suite, la Corée du Nord n’avait rien fait de menaçant jusqu’en 1998 et l’essai d’un missile intercontinental Taepodong.
Aujourd’hui, le coeur du pouvoir peut sembler faible et vulnérable. Mais la Chine continue de le soutenir et a présenté ses sincères condoléances pour le décès de Kim Jong-il. Pékin va sans doute chercher à maintenir la stabilité du régime tout en renforçant son influence. Dans le même temps, les négociations entre Pyongyang et Washington sur l’aide alimentaire et le nucléaire progressent. Nous sommes loin d’être dans une situation de crise majeure.

Propos recueillis par Philippe Mesmer

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