Selma Benkhelifa

Chantage européen: aide humanitaire contre réfugiés

Selma Benkhelifa Avocate - Progress Lawyers Network

Un sommet européen doit réunir à Bruxelles cette semaine les plus hautes personnalités afghanes et européennes. Au programme : aide humanitaire et développement. Enfin selon le programme officiel.

Derrière cette façade humanitaire se cache une tout autre réalité. Statewatch a diffusé des documents secrets dont il ressort que la Commission européenne a donné un ultimatum à l’Afghanistan: reprendre 80 000 futurs demandeurs d’asile déboutés ou ne plus recevoir d’aide humanitaire.

L’Afghanistan est toujours extrêmement dangereux. Le pays est exsangue après 37 ans de guerre. Les Afghans sont le second plus grand groupe de réfugiés qui arrivent dans l’Union. Le conflit est toujours aussi sanglant, mais a disparu des médias et donc de l’opinion publique. Il est donc temps, selon la Commission, d’expulser massivement les Afghans.

L’Union montre tout le cynisme dont elle est capable.

L’Afghanistan – avec son million de déplacés internes – n’a pas les moyens de reprendre un grand nombre de réfugiés déboutés, ni de les nourrir ni de les protéger de la violence meurtrière des combats.Les returnees vivent dans des conditions inhumaines, surtout pour les femmes et les enfants. Ils survivent grâce à l’aide internationale qui est souvent détournée et est insuffisante pour couvrir les besoins essentiels. Même les ONG quittent le pays en raison de l’insécurité.

Le pays ne saura pas absorber 80 000 réfugiés expulsés supplémentaires.

Et l’hiver arrive…

Le nombre de victimes civiles n’a jamais été aussi élevé depuis l’intervention internationale en 2001. La pauvreté mine le pays où des centaines de milliers de personnes vivent dans des conditions abominables dans des camps de fortune aux alentours des grandes villes. Chaque hiver, des enfants y meurent de faim et de froid.

Et pourtant l’Union européenne met le couteau sous la gorge de l’Afghanistan. L’aide humanitaire dont dépend la moitié de la population afghane ne sera plus versée si le pays n’accepte pas de reprendre 80 000 (futurs) demandeurs d’asile déboutés.

La loterie de l’asile.

La procédure d’asile pour les Afghans est une loterie. Celui qui est cru reçoit le droit de séjour. Celui qu’on ne croit pas, restera sans-papiers. Parce qu’il ne retournera pas volontairement. Ce qui l’attend en Afghanistan c’est l’horreur et le désespoir. Le conflit dure depuis 37 ans et une fin est peu probable. Les seuls qui s’en sortent sont les criminels. Les autres – la majorité- peinent à se nourrir.

Chaque demandeur d’asile afghan a une histoire de vie traumatisante, tous ont eu un frère, une soeur, des parents tués par des talibans, des seigneurs de guerre ou simplement un voisin jaloux. En Afghanistan règne la loi du plus fort.

Pourtant être reconnu réfugié en tant qu’Afghan – et même en tant qu’Afghane – est loin d’être évident. Les preuves en provenance du pays le plus corrompu au monde ne sont jamais crédibles aux yeux des instances d’asile. La seule chance est de convaincre l’agent chargé de l’interview au Commissariat aux Réfugiés (CGRA). Il suffira qu’il ou elle ait eu une mauvaise journée ou ait reconnu trop de réfugiés au cours de la semaine pour que la demande soit rejetée. Une seconde demande n’a que très peu de chance et un recours auprès du Conseil du Contentieux des Étrangers est sans espoir.

La diaspora afghane est victime d’injustice, ce n’est pas nouveau. A plusieurs reprises déjà, les Afghans se sont révoltés, ont mené des actions, avec succès. On se souviendra des images poignantes des familles afghanes à l’Eglise du Béguinage et la violence policière dont elles ont été victimes. Par contre moins de gens savent que ces familles ont enfin obtenu des droits. La majorité a obtenu le statut de réfugié, la procédure s’est améliorée et la situation des femmes et des enfants a enfin été prise en compte. Le taux de reconnaissance a énormément augmenté. Les Afghans avaient un peu d’espoir.

Mais plus pour longtemps. Il faut vider Calais, calmer Viktor Orban, les Afghans payeront les frais de la politique de l’Union.

Que vont devenir les réfugiés expulsés?

Chacun sait que 80% du pays est inhabitable. Les combats ouverts entre les talibans, IS et les Américains (avec le soutien de l’Union) sont quotidiens. Les expulsés iront grossir les bidonvilles autour de Kaboul et Jalalabad, déjà surpeuplé par le million de réfugiés internes. Les autres pays de la région ne veulent plus non plus accueillir les réfugiés. Le Pakistan a renvoyé 100 000 afghans depuis juillet 2016.

Le retour de 80 000 réfugiés en provenance d’Europe va mettre une pression énorme sur ce pays déjà extrêmement instable. Les experts tirent la sonnette d’alarme: cette opération d’expulsion massive va conduire à une crise humanitaire sans précédent.

Ce n’est pas notre opinion, c’est ce qui ressort des documents de la Commission, qui fait preuve d’un cynisme rare. On peut y lire que le nombre de victimes civiles n’a jamais été aussi important, que la population vit dans la terreur des attentats à répétition, qu’il est impossible de reconstruire une existence après un retour, en raison de la situation économique désastreuse. Et après avoir admis tout ça, la Commission veut néanmoins forcer l’Afghanistan à réadmettre 80 000 réfugiés déboutés.

80,000 nouveaux réfugiés perturberont le pays de nouveau et augmenteront le chaos. Les experts sont unanimes. Et il ne faut pas être experts pour comprendre que plus de chaos et plus de déstabilisation ne mèneront qu’à une seule chose : encore plus de réfugiés.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire