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Ce que l’on sait sur la mort du journaliste Gilles Jacquier

Le journaliste français Gilles Jacquier et huit Syriens ont été tués par un tir d’obus à Homs, pendant une visite encadrée par les forces syriennes. Retour sur les circonstances du drame.

Gilles Jacquier faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de journalistes en visite dans cette place forte de la contestation au régime de Bachar el-Assad. Gilles Jacquier, était arrivé le 7 janvier à Damas, avec un cameraman, Christophe Kenck, et sa compagne, Caroline Poiron, photographe. La visite était encadrée par les autorités syriennes. Il faut rappeler que la Syrie limite strictement les déplacements des médias étrangers dans le pays. Avant cette visite, les rares témoignages sur les violences, étaient souvent ceux de journalistes entrés clandestinement dans le pays.

Homs échappe en partie au contrôle de Damas

Le groupe de journalistes est arrivé dans la ville de Homs, dans la matinée de mercredi. En novembre déjà, les combats faisaient rage dans cette ville, selon Manon Loizeau, journaliste d’Envoyé spécial, entrée clandestinement dans le pays via le Liban. Les autorités de Damas n’en contrôlent plus tous les quartiers: « Il y a des quartiers qui font penser à une ville fantôme: des rues vides, avec de temps en temps un checkpoint (…) Nous n’avons pas pu nous y rendre car ils ne sont plus sous le contrôle des autorités », raconte Jens Franssen, un journaliste de la radio-télévision publique flamande belge VRT, présent au moment de l’attaque fatale à Gilles Jacquier.

Une visite encadrée par les autorités syriennes

Cette fois, le régime de Bachar el-Assad a décidé d’organiser une visite encadrée. « Sous la conduite des services de sécurité, nous avons effectué une visite dans une partie de la ville. Il y a des quartiers où on peut circuler normalement et on voit des femmes et des enfants dans la rue », poursuit Jens Franssen.

Le groupe de journalistes est séparé en deux selon le témoignage, publié par le Figaro.fr, de Mohammed Ballout, journaliste de la BBC, présent dans le groupe. L’une des délégations, « escortée par le ministère de l’Information syrien », est composée « de journalistes des chaînes américaines CNN et CBS et de l’AFP », tandis que celle où se trouvait Gilles Jacquier, escortée par une religieuse libanaise favorable au régime syrien, Soeur Marie-Agnès, « comptait dans ses rangs Gilles Jacquier et un autre journaliste de France 2, cinq Belges, deux Suisses, deux Libanais et un journaliste syrien ».

« On nous avait promis une liberté de mouvement totale, raconte sur Europe 1 Jacques Duplessy, journaliste indépendant, correspondant de Ouest France, présent aux côtés de Gilles Jacquier lors du drame. Mais en fait, « c’était très, très encadré », ajoute-t-il.

Joseph Eid, photographe de l’AFP, lui aussi témoin, raconte que les journalistes avaient été conduits dans le quartier de Hadara, alaouite, la communauté religieuse du président Bachar al-Assad. Les accompagnateurs du groupe leur avaient indiqué que le quartier était sécurisé mais qu’ils devaient faire vite car les tirs d’obus commençaient dans l’après midi, vers 15h

Dans une manifestation pro-Assad

Les deux groupes de journalistes se retrouvent dans le quartier d’Akrama, devant une école au moment de l’attaque, selon Jacques Duplessy. « Nous sortions de ce quartier où la vie est normale, les magasins achalandés, et où nous avions pu discuter avec des habitants. Ensuite, nous avons été dirigés vers un autre quartier où, soi-disant, une école avait été bombardée », témoigne-t-il sur Ouest France.

Vers 15 heures, « devant l’hôpital de Zahira, un attroupement s’est formé de militants pro-Assad qui ont commencé à scander des slogans favorables au régime », explique Mohammed Ballout. « Nous leur avons posé quelques questions puis on a continué. Une centaine de mètres plus loin, il y a eu une première explosion d’une grenade », précise Jens Franssen.

Un premier tir sème la panique

« Soudain, une roquette RPG a frappé la foule. Huit activistes pro-Bachar ont été tués sur le coup ». « Les journalistes du groupe de Jacquier ont accouru pour voir ce qui se passait. À ce moment-là, un deuxième RPG a été tiré dans leur direction », décrit Mohammed Ballout.

Les journalistes tentent alors de se réfugier dans un petit immeuble. Spontanément pour les uns, encouragés par leurs accompagnateurs pour les autres, selon Jacques Duplessy.

« Tout le monde a commencé à courir et, avec quelques journalistes, nous avons couru vers un immeuble. Au moment où j’y rentrais, une deuxième grenade a explosé juste devant. Il y a eu ensuite quelques explosions, trois ou quatre au total, je pense », se souvient Jens Franssen. « Je suis entré dans un appartement, il y avait un collègue néerlandais qui avait l’air blessé ». Quelques minutes plus tard, nous sommes descendus. Dans la cage d’escalier, j’ai vu un collègue français de France 2 qui gisait sans vie ».

Le dernier tir fatal au journaliste

Il semble qu’après l’explosion des deux premiers obus, c’est au moment où les journalistes voulaient aller constater les dégâts que Gilles Jacquier, ainsi que les autres victimes, ont été touchés par un troisième tir -ou un quatrième selon les différents témoignages.

« On nous a dit d’aller nous réfugier dans une maison toute proche », explique Jacques Duplessy à Sud-Ouest, « Tout à coup, une explosion plus forte a été ressentie. On nous a alors dit de sortir de la maison pour notre sécurité. Je descendais, je me trouvais au niveau du premier étage, et plusieurs confrères étaient en train de sortir au rez-de-chaussée, dont Gilles Jacquier, lorsque l’obus ou la bombe a explosé », complète-t-il.

Joseph Eid résume la succession de ces événements. « Un premier obus est tombé sur un immeuble, alors que nous étions en train d’interviewer des manifestants pro-Assad qui nous ont suivis vers cet immeuble. (…) Nous sommes montés sur le toit. Entre-temps un second obus est tombé sur l’immeuble et en redescendant, j’ai vu des morts à terre et j’ai commencé à les photographier ». « Les autres journalistes sont descendus pour voir ce qui ce passait et ceux qui sortaient de l’immeuble ont reçu de plein fouet le troisième obus ».

Pour Christophe Kenck, qui n’était pas aux côté de Gilles Jacquier au moment des tirs, il y a eu quatre tirs, et c’est le quatrième qui a tué son ami. « Un premier mortier est tombé à 500 mètres de la manifestation. Ça a été la panique à bord. Après, il y a eu un deuxième coup de mortier qui est tombé sur une école, mais qui était vide. Et il y a eu un troisième coup de mortier », se souvient-il. « Et puis le quatrième coup de mortier est tombé sur un immeuble où Gilles Jacquier s’était réfugié ».

Quelle armes ont été utilisées?

Les doutes subsistent sur la nature du tir qui a causé la mort du journaliste. Les uns évoquent un tir de roquette RPG, un type d’arme légère souvent utilisé par les rebelles. D’autres ne précisent pas la nature du projectile. Sur un blog du Daily Telegraph, Michael Weiss cite un communiqué de la Commission générale de la Révolution syrienne (CGRS), un des groupes qui chapeautent la rebellion, selon laquelle les forces de sécurité ont tiré sur les journalistes avec des obus de BMP. Or le BMP est un véhicule d’artillerie soviétique utilisé par les forces armées syriennes, équipé d’un canon. L’identification des munitions qui ont visé le groupe de journalistes pourrait donc être un indice permettant d’identifier l’origine des tirs.

Soupçon de manipulation

D’où provenaient les tirs? La télévision officielle syrienne a aussitôt accusé « un groupe terroriste » d’avoir « tiré des obus sur des journalistes étrangers ». Depuis le début du conflit, Damas dit faire face non pas à un soulèvement populaire mais à une offensive terroriste, soutenue par l’étranger.

De son côté, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basée en Grande-Bretagne, mais aussi l’Union européenne, ont demandé l’ouverture d’une enquête pour déterminer l’origine des tirs.

« Je pense qu’on a été grandement manipulé », accuse, sur Europe 1, Jacques Duplessy: « Ce n’est pas du tout le fait du hasard, parce qu’après ces quatre obus, il n’y a eu plus rien, c’était terminé: pas d’attaque, pas de tir ». Le journaliste s’étonne aussi de la très grande réactivité des médias syriens qui se sont rapidement rendus sur place: « Il y avait la télévision syrienne partout, trois caméras. Ils ont tout filmé, en long, en large, en travers ».

Le site Mediapart (payant) cite des opposants, contactés à Homs, qui incirminent le régime, et rappelle que « Les observateurs de la mission dépêchée par la Ligue arabe ont également essuyé des tirs dans Homs, lors de leur précédente tournée dans la ville. Un observateur algérien, qui a démissionné, avait laissé entendre que le régime était prêt à tuer un observateur ou un étranger pour valider sa thèse de présence de groupes armés », analyse Mediapart.

Le directeur de l’Info de France Télévisions, Thierry Thuillier, est plus plus prudent: « Imaginer une manipulation me paraît, à ce stade-là, vraiment prématuré », a-t-il indiqué.

Levif.be avec L’Express.fr

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