Caitlyn Jenner © Vanity Fair

Caitlyn Jenner, nouvelle lumière des transsexuels

Le Vif

Le coming out ultramédiatisé de Bruce Jenner, ancien champion olympique et star de la téléréalité, marque le commencement d’une lutte active en faveur des transgenres.

Sa foulée est ample. Ses muscles sont saillants. Sur son visage, les marques de la douleur. Bruce Jenner est en plein sprint final. Lorsqu’il passe la ligne, il lève les bras au ciel. Avec cette deuxième place au 1 500 mètres, il remporte la médaille d’or du décathlon. L’Américain bat même le record du monde. Il est l’un des grands héros de ces Jeux olympiques d’été, à Montréal. Nous sommes le 1er août 1976 et le natif de Mount Kisco, dans l’Etat de New York, entre dans l’histoire du sport et dans le panthéon des héros préférés des USA. Il a 26 ans.

Pendant toute sa jeunesse, Bruce a excellé dans le sport. Enfant et ado, il pratique le football américain, le basket-ball, le saut à la perche et quasiment toutes les disciplines de l’athlétisme et devient même champion junior des Etats-Unis de ski nautique. « Lorsqu’il terminait son cours de basket, il était déjà sur la piste d’athlétisme. Quand il finissait l’athlétisme, il était sur le terrain de foot », souriait son père William dans un documentaire de 1976. Un physique hors du commun et une volonté de fer le poussent vers le décathlon, la spécialité la plus difficile puisqu’elle rassemble dix disciplines en deux jours. Le jeune homme refuse d’ailleurs un emploi de skieur nautique dans un parc d’attraction, pour faire ses études dans l’Iowa, puis déménage à San José, en Californie pour s’entraîner pour les JO.

Jenner se qualifie pour les Jeux de Munich en 1972, où il termine dixième. Toute sa vie est vouée au rêve ultime : l’or olympique. Après Montréal, il est à l’apogée de sa gloire. Il est élu sportif de l’année par l’Associated Press. Le président Gerald Ford le reçoit à la Maison Blanche. Mais le décathlonien, qui a pris sa retraite sportive, se voit également sollicité par la publicité (une première à l’époque), la télévision et le cinéma. Il est même un temps pressenti pour devenir Superman au grand écran, mais le costume est finalement endossé par Christopher Reeve. Il se contente d’un rôle dans CHiPs, la série mythique mettant en scène les policiers motards de Los Angeles, et dans divers navets cinématographiques ou télévisuels.

Côté vie privée, c’est moins réussi. Après son premier divorce, il se remarie deux fois. Il est père à six reprises. Le 24 avril dernier, lors d’une interview dans le magazine d’information 20/20 diffusé sur ABC, Bruce fait son coming out. « Je suis une femme », déclare-t-il. Devant 17 millions de téléspectateurs. Cette émission spéciale de deux heures permet de comprendre le processus interne et profond d’une célébrité en plein changement d’identité. « Cela a commencé quand j’étais grand comme ça », raconte-t-il d’un geste de la main évoquant son enfance. L’ancienne star sportive dévoile sa lutte intérieure, ses épisodes de dépression, à cause d’un secret trop lourd à porter.

C’est dans les années 1980 que Bruce débute sa transition. Il est alors divorcé de sa deuxième épouse, Linda Thompson. Il entame un traitement aux hormones, qu’il interrompt après sa rencontre avec Kris Kardashian, qui deviendra sa troisième femme. « Elle était au courant puisqu’à l’époque je faisais un tour de poitrine de 90B et que je portais des vêtements féminins de temps en temps. Mais c’est bien plus que ça. » Cette relation le projette à nouveau sous les feux de l’actualité à partir de 2007, puisqu’il participe du coup à l’émission de téléréalité Keeping Up with the Kardashians, qui consacrera Kim, l’une des filles de Kris issues d’un précédent mariage, comme starlette mondiale. Lors de ces huit années en prime time, le physique et le comportement de Bruce Jenner change. « C’est moi qui avais la vraie histoire de cette émission. Et pourtant, je ne pouvais en parler à personne. » Jusqu’à ce qu’il décide de le dire à ses enfants. Puis au monde entier. Bruce n’est plus. Hello Caitlyn. C’est le 1er juin, dans le prestigieux magazine Vanity Fair, qu’elle s’est dévoilée sous sa nouvelle identité, en bustier de satin blanc.

La lutte commence

Les réactions sont plutôt positives. Et boostent la communauté transgenre. « Nous avons besoin de diverses représentations de personnes trans dans les médias pour représenter nos belles diversités », écrit une activiste sur son blog. « C’est pour ces transgenres que nous devons continuer de nous battre, pour qu’ils obtiennent un accès aux soins de santé, à l’emploi, au logement, à la sécurité des rues et aux écoles sûres », conclut-elle. Depuis que Jenner a osé, les transgenres du monde entier s’exposent sur les réseaux sociaux et partagent leur différence, fièrement. La transformation de Caitlyn a bel et bien aussi fait entendre la voix des associations trans, de plus en plus diffusée dans les médias.

Se dirige-t-on vers une lutte active en faveur des personnes transgenres ? Au même titre que la légalisation du mariage gay, désormais légal dans trente-sept Etats ? En Californie, un élu local, Tom Ammiano, est à l’initiative d’une loi autorisant les étudiants transgenres à choisir leur sport et leurs toilettes sur les campus. Depuis le 1er janvier 2014, un garçon trans peut donc aller aux WC chez les filles ou pratiquer la gymnastique rythmique. De même, une fille transgenre pourra faire du foot dans une équipe masculine elle le souhaite. « L’Etat de New York a suivi, mais c’est presque le seul. Cela prendra beaucoup de temps au niveau national. Aujourd’hui, la société américaine n’est pas tout à fait prête, mais la question du mariage gay pourra influencer dans le bon sens », espère Ammiano, l’homme politique américain le plus actif envers les droits des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et trans).

Le député local de San Francisco se réjouit du coming out médiatique de Caitlyn Jenner : « Je pense qu’elle peut utiliser sa voix pour faire progresser les choses. Cela peut faire prendre conscience du problème à beaucoup de personnes. » Le problème dont Tom Ammiano parle fait référence à l’extrême violence permanente envers ces personnes. Pour les six premier mois de 2015, il y a eu au moins huit meurtres reconnus de transgenres aux Etats-Unis, dont la plupart sont des femmes de couleur. Ces dernières doivent affronter le sexisme, le racisme et la transphobie à la fois. « Ainsi, oui, nous allons de l’avant, mais cela doit se produire beaucoup plus rapidement pour sauver des vies », s’inquiète Jay Irwin, professeur de sociologie à l’Université du Nebraska, engagé dans des recherches sur l’identité du genre.

La lutte est-elle en marche ? « Nous allons dans la bonne direction, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire », répond prudemment Tom Ammiano. « Aujourd’hui, le mouvement pour les droits des transsexuels est au même niveau que celui des homosexuels il y a approximativement trente ans », souligne Jay Irwin. Selon le sociologue, il est important que Caitlyn utilise sa notoriété pour faire passer un message, mais il croit fermement que c’est au tour de la communauté entière de se faire entendre, pour montrer les différences : « C’est la personne transgenre la plus visible en ce moment, mais cela ne signifie pas qu’elle est représentative. Elle a les ressources qui lui permettent d’obtenir les interventions médicales, en raison de son statut économique. Pour les autres, c’est financièrement impossible. »

Après la Une de Vanity Fair, la prochaine étape, pour Caitlyn, est une série documentaire sur sa transition. Objectif affiché : aider les jeunes transgenres à mieux vivre leur différence. La lutte existait déjà, dans l’ombre. Jenner a permis de la mettre en lumière.

Par Guillaume Serina et Quentin Dagbert/France USA Media, à Los Angeles.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire