Boutros Boutros-Ghali, à la tribune en 1994 © Reuters

Boutros-Ghali : « Le cancer, c’est le conflit israélo-palestinien »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

« Le conflit israélo-palestinien continuera à détruire les rapports entre le monde arabo-musulman et l’Occident », prévenait l’ancien secrétaire-général de l’ONU, décédé à 93 ans.

« Que veux-tu faire quand tu seras grand ? », lui demandaient ses proches quand il était enfant. « Politicien !, répondait-il. Comme mes oncles et mon grand-père. » L’ancien secrétaire général de l’ONU (de 1992 à 1996), Boutros Boutros-Ghali, décédé à 93 ans ce 16 février, appartenait à la grande bourgeoisie égyptienne, au service de l’Etat depuis des générations : un aïeul trésorier à la cour du khédive, le vice-roi d’Egypte, et un grand-père Premier ministre, Boutros pacha, accusé d’avoir vendu le Soudan aux Anglais en 1899, et assassiné par un nationaliste pour avoir ouvert les porte de son pays à l’Occident. Un lourd héritage de « traître congénital », comme le disait Boutros-Ghali lui-même, qui fut le bras droit de Sadate, avec qui il a fait le « chemin de Jérusalem ».

L’humiliation des palestiniens touche 200 millions d’Arabes et plus d’un milliard de musulmans.

Mince et sec aux yeux pétillants, Boutros-Ghali était un Arabe de religion chrétienne copte et un intellectuel francophile. Il a été l’un des principaux négociateurs des accords de paix signés en 1979 entre Israël et l’Egypte.

« Le conflit israélo-palestinien va continuer à polluer, à envenimer, à détruire les rapports entre le monde arabo-musulman et l’Occident, prédisait Boutros-Ghali en mars 2002, dans une interview au Vif/L’Express. Il était alors le premier patron de la francophonie. A l’époque, il nous confiait encore : « L’humiliation des palestiniens touche 200 millions d’Arabes et plus d’un milliard de musulmans. Une partie de l’opinion publique arabe compare Israël à un cancer dans le corps panarabe. Je voudrais corriger cette métaphore : le cancer n’est pas l’Etat hébreu, c’est le conflit arabo-israélien, avec ses métastases que son l’antisémitisme, le fondamentalisme, l’antiaméricanisme, le terrorisme… Métastases qui ont détruit les tours de World Trade Center à New York et qui cherchent à détruire les Nations unies. »

Avec pour résultat un paradoxe, relevait-il : 25.000 hommes mal équipés quand la guerre fait rage, 60.000 suréquipés lorsque le traité de paix est signé.

Le bilan de son quinquennat à la tête de l’ONU est mitigé : il a aligné quelques succès, de la paix au Salvador, au Mozambique et au Cambodge au gel du budget et aux réductions d’effectifs aux Nations unies. Mais son mandat a aussi été marqué par les échecs de la force onusienne en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Parmi ces revers, le seul qu’il a admis est celui de la Bosnie, où les Casques bleus n’ont pas empêché des tragédies comme celle de Srebrenica. Encore jugeait-il que la faute en incombe aux Etats membres, qui ont mis deux ans pour décider d’envoyer en Bosnie un nombre insuffisant de soldats sous équipés. Avec pour résultat un paradoxe, relevait-il : 25.000 hommes mal équipés quand la guerre fait rage, 60.000 suréquipés lorsque le traité de paix est signé.

En 1996, Washington s’oppose à sa réélection au poste de secrétaire général de l’ONU et mène une campagne contre lui. Si ce diplomate chevronné est devenu la bête noire des Etats-Unis, où il est alors la cible de mauvaises blagues et de violentes critiques, c’est parce qu’il symbolise tout ce qui suscite, outre-Atlantique, ambivalence, voire aversion : une culture cosmopolite, une conscience morale universelle et le projet d’une architecture des relations internationales authentiquement multilatérale.

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