Tchernobyl © Belga

Alerte aux Tchernobyl bis

Le Vif

Trente ans après la plus grande catastrophe nucléaire, la sûreté a beaucoup progressé, mais des risques sérieux persistent pour nombre de centrales. Et de nouvelles menaces se profilent. Etat des lieux.

Au moins 41 morts, des centaines de blessés… Le bilan des séismes qui ont frappé le sud-ouest du Japon, les 14 et 16 avril, est lourd, mais il aurait pu être pire. Que se serait-il passé si un tsunami avait frappé la centrale nucléaire de Sendai, à une centaine de kilomètres ? Difficile à dire. Cinq ans après l’accident de Fukushima, les experts sont devenus prudents. Le nucléaire a beau être une industrie de pointe, celle-ci n’en reste pas moins difficile à maîtriser. C’est son paradoxe. Puissante – on compte 440 réacteurs en fonctionnement dans le monde, et 65 en construction, selon l’Association mondiale du nucléaire -, elle n’en a pas moins des pieds d’argile. Les centrales vieillissent, l’argent manque pour les moderniser, et de nouvelles menaces émergent, comme le terrorisme.

Le 30e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, dans l’Union soviétique d’alors, est l’occasion de regarder le chemin parcouru depuis ce funeste 26 avril 1986 et la perte de contrôle du réacteur n° 4. L’industrie nucléaire est-elle aujourd’hui plus sûre qu’il y a trente ans ? Oui. D’importants progrès ont été faits en matière de sûreté. Dans le même temps, les projets nucléaires se sont multipliés – parfois au détriment du bon sens : est-il raisonnable d’envisager la construction d’une centrale nucléaire dans le désert jordanien, région aussi instable sur le plan géopolitique que sismique ? Notre carte (voir page 64) pointe une cinquantaine de sites nucléaires jugés « sensibles », soit parce qu’ils sont vétustes, soit parce qu’ils sont situés dans des zones propices aux catastrophes naturelles. Devrait-on, pour autant, les fermer ? La question est légitime – notamment pour les 11 réacteurs RBMK, de type « Tchernobyl », toujours en activité en Russie, malgré leurs graves défauts de conception.

Le risque de catastrophes naturelles

Centrale nucléaire de Metsamor, à une trentaine de kilomètres d’Erevan, en Arménie : ce réacteur est certainement le plus dangereux du monde. « Construit par les Russes dans les années 1970, il semble bien en deçà des standards minimaux de sûreté, explique Philippe Namy, un ancien cadre dirigeant de la société française Areva. Il n’a pas d’enceinte de confinement, alors qu’il est installé dans une zone sismique ! En cas de séisme entraînant la rupture d’un tuyau dans le circuit primaire, la vapeur s’échapperait dans l’atmosphère et formerait un nuage radioactif. C’est un risque majeur. » Coupé en 1988, à la suite du terrible tremblement de terre de Spitak, à près de 80 kilomètres, ce réacteur a été rebranché sept ans plus tard, au grand dam de la communauté internationale. « Soumis au blocus de la Turquie et de l’Azerbaïdjan, le gouvernement arménien n’avait guère d’autre solution, d’autant que cette centrale produit 40 % de l’électricité locale, estime un expert international en énergie. Le plus inquiétant, c’est qu’il a prolongé sa durée d’exploitation jusqu’en 2027. »

Qui l’en empêcherait ? Certainement pas l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui n’a aucun pouvoir de rétorsion sur ses Etats membres. Pas plus que l’Association mondiale des opérateurs nucléaires (Wano) : ses experts parcourent le monde pour visiter des centrales, puis ils donnent des recommandations aux opérateurs locaux, que ceux-ci sont libres de suivre… ou non. C’est l’un des principaux problèmes de cette industrie : il n’y a pas de « gendarme international de l’atome » capable d’obliger un Etat à renforcer la sûreté de ses installations.

On peut le regretter. Avec une telle instance, l’accident de Fukushima n’aurait sans doute pas eu lieu. De nombreux experts avaient en effet émis de sérieux doutes, avant la catastrophe, sur la capacité des centrales nipponnes de résister à un séisme majeur, et plus particulièrement un tsunami. « Les sismologues japonais ont sous-estimé les indices qui montrent que des événements d’une telle ampleur ont pu avoir lieu dans le passé, explique Serge Lallemand, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique en France. Ils n’ont même pas tenu compte d’un raz-de-marée qui, en 1896 et, plus récemment, en 1933, avait provoqué une vague de 30 mètres de hauteur… »

Difficile à appréhender, ce risque sismique pose surtout des problèmes aux vieilles centrales. « Pour déterminer, à coup sûr, le niveau d’aléas dans une zone sismique, il faudrait remonter plusieurs milliers d’années en arrière, ce qui est extrêmement difficile, commente Didier Bertil, ingénieur sismologue au Bureau français de recherches géologiques et minières (BRGM). Le niveau d’incertitude reste donc très élevé. Aujourd’hui, on en tient compte. Lorsqu’on bâtit une centrale, on prend une marge de sécurité importante, afin d’être sûr que le bâtiment résistera bien à un séisme. »

Le risque lié à la vétusté

« Grande vulnérabilité en cas d’incendie ou d’inondation », « risque de rupture des cuves », « sous-dimensionnement des moyens de refroidissement »… Les réacteurs russes RBMK n’ont pas bonne presse en Europe, comme le montrent ces verbatim d’une note de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) à Paris. 11 réacteurs de ce type – les mêmes qu’à Tchernobyl – sont encore en service sur le sol russe. « Même s’ils ont été améliorés, ils restent dangereux, car ils sont difficiles à maîtriser, notamment à faible puissance », explique un expert. Combien de temps doivent-ils encore rester en service, alors que l’on sait pertinemment qu’ils ne respectent pas les critères de sûreté ? Aux Etats-Unis, des interrogations de même nature hantent les initiés. Une centrale construite dans les années 1970, à quelques kilomètres d’une faille sismique, comme le site de Diablo Canyon, en Californie, peut-elle toujours être considérée comme fiable ? « Ces questions se posent dans la plupart des pays nucléarisés, commente Yannick Rousselet, de Greenpeace. Le parc britannique, par exemple, est en mauvais état. »

Le risque terroriste

Les centrales nucléaires sont-elles conçues pour résister à une attaque terroriste ? La réponse est non. Avant les attentats du 11 Septembre, personne n’aurait, il est vrai, imaginé qu’un kamikaze puisse se crasher aux commandes d’un avion de ligne…

Dans le classement des scénarios catastrophes, les chutes d’avion ou de drones ne sont toutefois pas les plus probables. « Il y a des moyens bien plus simples d’attaquer une centrale, estime Yannick Rousselet. Les piscines d’entreposage de combustibles sont mal protégées. Attaquer l’une d’elles à l’arme lourde pourrait entraîner la perte d’eau. Le combustible se mettrait à chauffer. S’il atteignait la fusion, ce serait dramatique. »

Une organisation américaine spécialisée dans l’analyse des risques nucléaires, Nuclear Threat Initiative (NTI), vient de publier un rapport édifiant sur la façon dont les exploitants nucléaires se prémunissent contre le « risque Daech ». Sa conclusion : la vigilance a baissé depuis deux ans, partout dans le monde, « notamment en ce qui concerne la surveillance du personnel ». Yannick Rousselet a, lui aussi, identifié cette menace : « Lors des travaux de maintenance, plus de 2 000 personnes travaillent dans une centrale, dit-il. Comment effectuer des « criblages » approfondis sur tant de personnel ? » Le risque : « Un complice pourrait très bien inoculer un virus informatique de l’intérieur, poursuit-il. Il y a sur certains postes de travail de simples prises USB pour faire des mises à jour… » Combien d’exploitants ont réellement conscience de cette menace ? Sur 47 pays étudiés par les experts de NTI, une vingtaine ne disposent d’aucun équipement qui permettrait de neutraliser une intrusion informatique ! « Je ne serais pas étonné qu’avant cinq ans, il y ait des tentatives d’utiliser Internet pour commettre des attentats, déclarait récemment Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme. Le Web rendrait possible la prise de contrôle d’un centre de gestion d’une centrale nucléaire. » Scénario de fiction ? L’hiver dernier, des hackers sont parvenus à prendre le contrôle d’une centrale électrique en Ukraine. En quelques minutes, plus de 600 000 personnes ont été privées d’électricité. Finalement, les très vieilles centrales nucléaires ne sont peut-être pas si dangereuses que ça. Construites avant l’invention d’Internet, elles, au moins, ne risquent pas d’être piratées.

Par CHARLES HAQUET

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