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Affaire Bettencourt : La juge met en cause Sarkozy

Dans le livre «  Sarko m’a tuer » à paraître demain, deux journalistes donnent la parole à ceux qui ont subi la colère du président de la République. L’affaire Bettencourt y occupe une bonne place. La juge Isabelle Prévost-Desprez affirme notamment qu’un témoin a vu le chef de l’Etat récupérer des enveloppes d’argent liquide chez Liliane Bettencourt.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Martine Aubry a déclaré sur les ondes de BFM TV/RMC qu’elle voulait l’ouverture d’une enquête après les affirmations de la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui a instruit un volet de l’affaire Bettencourt, concernant de présumés versements d’espèces à Nicolas Sarkozy. De son côté, l’Elysée se défend. La mise en cause de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bettencourt a fait réagir l’entourage du chef de l’Etat. Interrogé par l’AFP ce mercredi matin, l’Elysée dénonce des accusations « infondées, mensongères et scandaleuses« .

« Les témoins avaient peur de parler sur PV de Sarkozy »

Il y a trois types de victimes du sarkozysme. Les politiques, comme Dominique de Villepin, Christine Boutin ou Patrick Devedjian – mais n’est-ce pas la jungle que le pouvoir ? Les serviteurs de l’Etat, tels ces préfets ou hauts fonctionnaires (Pierre de Bousquet de Florian, Jean Charbonniaud, Eric Delzant), ou encore ces policiers et gendarmes (Jean-Pierre Havrin, Jean-Hugues Matelly, Yannick Blanc, Dominique Rossi) sanctionnés ou mutés pour les besoins du clan, ou ces magistrats décrétés adversaires gênants (Renaud Van Ruymbeke, Isabelle Prévost-Desprez). Et puis des Français qui auraient pu ne jamais avoir maille à partir avec le président, comme cette journaliste people intéressée par Cécilia Sarkozy, la comptable de Liliane Bettencourt, tel humoriste radiophonique ou même ce grand banquier. Certains en rajoutent, se poussant du col au martyrologe, d’autres ont été fascinés et zélés avant d’être sacrifiés. Mais tous sont brisés… Extraits exclusifs de « Sarko m’a tuer« , un livre écrit par deux journaliste du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

Extraits exclusifs de « Sarko m’a tuer« 

Claire Thibout, ex-comptable de Liliane Bettencourt.

« Donc, je leur raconte que les Bettencourt donnaient de l’argent à des politiques. Evidemment, ils veulent savoir qui. Et là, je leur raconte, notamment, comment de Maistre m’a demandé de l’argent… Et je détaille l’épisode Woerth-de Maistre, qui m’avait choquée, surtout parce qu’à l’époque Dédé, comme on surnommait André Bettencourt dans la maison, était malade et que Liliane n’avait plus toute sa tête. J’explique que de Maistre m’a demandé de retirer 150 000 euros destinés à Eric Woerth pour le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Là, j’ai vu que les policiers étaient satisfaits : « Ah, vous allez être délivrée d’un poids maintenant. » Et ils sont repartis. Là, je me suis dit que cette histoire prenait quand même des proportions considérables, avec l’évocation du nom de Sarkozy et de sa campagne électorale. »

[Après plusieurs auditions éprouvantes, Claire Thibout part se mettre au vert.]

[…] Les cousins de la comptable résident à Fourques, un patelin minuscule, dans le Gard. « J’étais épuisée et à bout de nerfs. J’ai débranché mon portable et j’ai été me coucher », se remémore Claire Thibout. Ses ennuis ne font pourtant que débuter.

Le lendemain matin, mercredi 7 juillet, vers 11 heures, elle se décide à rallumer son téléphone. Elle trouve un message de son avocat lui disant qu’elle doit rentrer à Paris, que la police la cherche d’urgence. Puis un gendarme sonne et lui enjoint de contacter la brigade financière [BF]. Inquiète, elle appelle, mais le policier de la BF dont le gendarme lui a donné le numéro est parti déjeuner. Elle décide donc de prendre la direction de la gare d’Avignon, afin de prendre un train pour Paris. A peine montée en voiture, son portable sonne : « Ne partez surtout pas, restez là où vous êtes, on vous donnera la marche à suivre », lui intime un policier. Retour vers Fourques, donc. « Et là, je découvre, ahurie, deux cars de CRS et plusieurs estafettes de gendarmerie devant la maison de mes cousins ! »

[…] Finalement, au bout de plusieurs heures d’une attente angoissée, Claire Thibout est informée par téléphone qu’une équipe de la BF va descendre de Paris tout spécialement. Ils débarquent à 19 heures. « Ils m’ont fait peur, ils étaient quatre hommes et une femme et ont surgi par la cuisine plutôt que par l’entrée principale. Ils ont dit à mes cousins de « dégager », puis m’ont lancé : « Vous savez pourquoi on vient. »

[…] Les policiers voulaient me faire dire que Mediapart était un journal de voyous. Alors je leur ai répondu que je n’avais pas formulé ma réponse aussi précisément que ça, que j’avais dit qu’il y avait des politiques qui venaient à la maison, parmi lesquels Sarkozy, et que je me doutais qu’ils devaient recevoir de l’argent. Concernant Sarkozy, je me souviens d’avoir précisé que je n’avais pas de preuve, mais qu’il pouvait avoir touché de l’argent. »

[…] « Et puis, glisse Claire Thibout encore émue, à un moment, comme je me sentais vraiment très mal, j’ai lâché sur un point précis, celui du financement éventuel de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, que les propos figurant dans l’article de Mediapart relevaient de la « romance ». C’est cette expression qui sera ensuite utilisée pour tenter de décrédibiliser mon témoignage. »

[…] « La conversation est revenue sur Sarkozy. Là, dans ce commissariat sinistre, face à plusieurs policiers déterminés, je me suis rendu compte de ce qui se passait. Je mesurais les conséquences de l’interview. Je me suis dit, s’agissant du passage sur Sarkozy : « Je ne peux pas assumer ça. » Donc, je me suis contentée de dire qu’il « pouvait avoir touché », car, comme je l’ai toujours dit, je n’avais jamais été témoin direct d’une remise d’espèces à un politique. Mais les policiers n’étaient pas contents, ils voulaient que je leur dise que tout était faux. Ils subissaient eux-mêmes une incroyable pression. A chaque feuillet tapé, l’un des quatre policiers faxait le PV à sa hiérarchie et au parquet de Nanterre, qui rappelait pour faire changer tel ou tel mot. » […]

[Claire Thibout rentre à Paris.]

« C’est à ce moment-là que j’ai enfin remis la main sur mon carnet de 2007, que j’avais égaré chez moi. » Une découverte très précieuse, car ce calepin donnait du crédit au récit de la comptable sur le point le plus sensible : la remise à Patrice de Maistre des fonds destinés à Eric Woerth. « Et là, soulagement, car les dates correspondaient, se remémore Claire Thibout. Les mentions confirmaient le rendez-vous et la remise de l’argent à de Maistre via Liliane et, le lendemain, l’existence d’un rendez-vous entre de Maistre et Woerth. Je n’avais pas écrit « Woerth » sur mon carnet mais « trésorier ». […] Et là, incroyable, voilà que les policiers essaient de me faire dire que le « trésorier » que je mentionnais dans mon carnet devait être Arnaud Benoît, le trésorier de… Clymène ! »

[…] « Courroye [NDLR : procureur de Nanterre] ? Il était totalement de parti pris, il n’avait qu’un seul objectif : me faire revenir sur mes propos, lâche-t-elle dans un haussement d’épaules. Parce que, par la force des choses, j’avais été amenée à parler de financements politiques et à mettre en cause le président de la République, j’étais devenue en quelque sorte l’ennemi public n° 1, et tout ça pour avoir dit la vérité. » Et le chef de l’Etat, qui s’est occupé personnellement de son cas ? « Quand j’ai entendu Nicolas Sarkozy faire allusion à moi à la télévision, j’ai ressenti un vertige. Je me suis dit : « Je suis au coeur d’une affaire d’Etat, moi ! » […] J’ai commencé à avoir des angoisses terribles. »

Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 15e chambre du tribunal de grande instance de Nanterre, chargée puis dessaisie de l’affaire Bettencourt.

« Ce qui m’a frappée dans le supplément d’information que j’ai conduit, c’est la peur des témoins, confie Isabelle Prévost-Desprez. Ils étaient effrayés de la violence avec laquelle Claire Thibout avait été déstabilisée, ils ne voulaient pas connaître son sort. […] Les témoins me demandaient avec crainte : « Dites, on ne va pas voir l’autre ? » L’autre, c’était Courroye. Donc, les témoins avaient peur de parler sur PV à propos de Nicolas Sarkozy », confie la juge.

[…] Sans la moindre hésitation, la magistrate lâche alors une bombe. Evoquant ces fameux témoins, situés dans l’entourage de Liliane Bettencourt, elle affirme : « L’un d’eux, hors procès-verbal, m’a dit qu’il avait vu des remises d’espèces à Sarko. » La magistrate va plus loin : « Je suis certaine que Metzner [NDLR : avocat de la fille de Liliane Bettencourt] aurait fait citer l’infirmière de Liliane Bettencourt, qui a confié à ma greffière, après son audition par moi : « J’ai vu des remises d’espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais pas le dire sur procès-verbal. » Bref, ce procès représentait pour l’Elysée un risque majeur, il y avait 90 % de chances pour que ce soit déflagratoire. Il fallait me faire dessaisir, par tous les moyens. Il était impératif de me débarquer. »

Des semaines durant, Isabelle Prévost-Desprez sent peser sur ses épaules une pression terrible. Elle a le sentiment d’être épiée, traquée jusque dans sa vie intime. Paranoïa ? Pas si sûr. « J’ai été l’objet de surveillances, c’est une évidence, mais je n’en ai rien à faire, je peux tout assumer dans ma vie, même si ça m’ennuie de savoir que certains utilisent des éléments de ma vie privée pour tenter de m’affaiblir. J’étais persuadée d’être sur écoutes. Des écoutes illégales, à mon avis. Cela a toujours été clair pour moi, je ne me pose même plus la question », assène-t-elle.

Dominique Rossi, coordinateurde la sécurité en Corse, démis de ses fonctions après l' »invasion » de la pelouse de la maisonde Christian Clavier, le 30 août 2008.

« L’arbitraire me concernant est évident : j’ai été sanctionné alors que je n’ai pas commis la moindre faute. Nicolas Sarkozy a réagi à mon égard intuitu personae », dit-il, avant d’ajouter, caustique : « Si j’ai bien compris, ma grande faute est de ne pas avoir su que le jardin de la villa de Christian Clavier devait être protégé au même titre que la pelouse de l’Elysée ! » Cette affaire a brisé sa carrière.

[…] « On peut me reprocher de ne pas avoir fait évacuer les manifestants par la force, mais le maître des lieux, alors sur son bateau, ne l’a pas réclamé. Au contraire, il a demandé à son personnel de servir à boire aux manifestants. Mais surtout, si j’avais fait donner la force publique, cela aurait immanquablement dégénéré. […] Le maintien de l’ordre, c’est aussi savoir ne pas intervenir. »

[…] Nicolas Sarkozy est mis au courant des déboires de son ami Clavier. Il tempête. Exige une tête. Celle de Rossi s’impose. « Le lundi 1er septembre, je ne m’inquiète de rien, se souvient l’ex-contrôleur général. Jusqu’à 14 heures, lorsque je reçois un coup de fil du directeur du cabinet de Michèle Alliot-Marie, la ministre de l’Intérieur. Là, Michel Delpuech m’annonce que je suis relevé de mes fonctions, comme ça. Apparemment, cela ne l’amusait pas. Je n’ai pas réagi, j’ai juste pris acte. […] C’est vraiment l’Elysée qui a envenimé les choses. Clavier, à mon sens, a été victime de l’affaire comme moi, car son image a été affectée sur ce coup. Il n’a rien gagné dans l’opération. »

[…] « Que pouvais-je faire ? Je n’allais pas « challenger » le chef de l’Etat. Alors je suis parti en retraite anticipée. On rentre au bercail et après, au diable ! Il y a une violence chez Nicolas Sarkozy, et la haute administration le vit mal. »

Jacques Dupuydauby, sulfureux homme d’affaires, a connu en Afrique de beaux succès et des déboires, à cause, selon lui, de l’inimitié de Nicolas Sarkozy, qui remonterait à un déjeuner entre les deux hommes, en 1983, quand le futur président n’était encore que le jeune maire de Neuilly. Récit de la rencontre.

« […] Et là, il a commencé à me décrire, avec un aplomb invraisemblable pour un type de son âge, ce qu’il pensait que serait son parcours politique. Il m’a dit qu’une fois élu député il serait secrétaire d’Etat, puis ministre. Ensuite, bien sûr, il viserait Matignon. Et enfin, pourquoi pas, l’Elysée ! Je n’en revenais pas, j’étais soufflé. […] Il m’a dit : « Vous le savez, pour une carrière politique d’envergure, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. » Il a enchaîné par cette phrase que je n’oublierai jamais : « Il y a deux catégories de personnes : celles qui vont m’aider, qui seront mes amies, et celles qui ne vont pas m’aider, qui seront mes ennemies. » Il a poursuivi : « J’ai un cabinet d’avocats. Prenez-moi comme avocat-conseil et tous les mois je vous enverrai une facture. » Je lui ai répondu : « Mais notre société a déjà des avocats, vous ferez quoi ? » Il a souri et m’a lancé : « Allons, vous comprenez bien ce que je veux dire, non ? » Bien sûr que j’avais compris. Il voulait une convention d’honoraires pour des prestations fictives. »

D’un geste du bras, Jacques Dupuydauby mime Nicolas Sarkozy : « Il a sorti un papier de sa poche : il avait préparé un projet de contrat ! J’ai été stupide, j’aurais dû le garder. Mais j’ai été tellement choqué que je ne l’ai pas pris. Il y avait un montant mensuel inscrit dessus, c’était très élevé. […] Je lui ai dit que je ne mangeais pas de ce pain-là, que quand je payais des avocats, c’était pour qu’ils travaillent. Il l’a très mal pris, le repas s’est fini là-dessus. Avant de partir, il m’a lâché : « Je m’en souviendrai. » Il a tenu parole, effectivement, il s’en est souvenu ! Ce déjeuner m’a coûté cher, il m’a même pourri la vie ! »

Patrick Devedjian, président du conseil général des Hauts-de-Seine.

« Nicolas sait tout ce qui se passe dans les Hauts-de-Seine par l’intermédiaire de son fils, il lui raconte sa version des faits, généralement influencée par les Balkany, donc biaisée. » Jusqu’aux autorités administratives, qui sont sommées de veiller à ce que les amis du président ne manquent de rien. Très vite, le préfet Pierre de Bousquet de Florian, suspect aux yeux de Sarkozy depuis l’affaire Clearstream, est débarqué, dix-huit mois après son arrivée à Nanterre. Au profit d’un sarkozyste pur et dur. « Quand le nouveau préfet est arrivé, révèle Devedjian, il a été convoqué chez Sarko, qui lui a donné sa feuille de route en ces termes : « 1) Il faut veiller aux intérêts de mon fils. 2) Beaucoup de gens dans les Hauts-de-Seine vont dire qu’ils sont copains avec moi, mais je n’ai qu’un ami dans ce département, c’est Balkany. » »

L’express.fr

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