Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont bouleversé la vision du monde quant à la sécurité aérienne. © Belga

« Hijacking » aérien: histoire d’un phénomène en déclin

Stagiaire Le Vif

Le détournement, mardi 29 mars, de l’Airbus A-320 de l’Egypte vers Chypre a rappelé que, depuis 9/11 et malgré les progrès sécuritaires, le « hijacking » représente toujours un risque pour l’aviation civile. Qu’il soit criminel, politique ou personnel, retour sur un phénomène qui a changé la face du monde.

Le détournement d’appareils fait tristement partie de la longue histoire de l’aviation civile. Le tout premier « hijacking » (ou « skyjaking », c’est selon) eu lieu le 21 février 1931 au Pérou, peu de temps après que les vols longs courriers ne soient devenu monnaie courante. Mais à l’époque, la plupart de ces « pirates de l’air » agissaient souvent pour trouver refuge dans un pays étranger ou dérober les plus aisés, plutôt que pour perpétrer des meurtres de masse ou attirer l’attention du monde sur une cause radicale.

Le détournement pour motifs terroristes n’est apparu que plus tard pour connaître une sinistre apogée lors des attentats du 11 septembre 2001. Devenus moins fréquents depuis une quinzaine d’années, les « hijackings » ont refait surface dans l’actualité récente avec le drame de la Germanwings et l’arrestation hier du soi-disant pirate égyptien soupçonné d’avoir détourné un avion vers Chypre.

Si les motifs de l’homme arrêté mardi restent flous, le sauvetage sain et sauf de l’avion et de ses passagers a été accueilli comme une surprise de la part de bon nombre d’observateurs, sans doute conditionnés à l’issue malheureuse qu’ont connue de récents vols commerciaux.

Du mur de fer à 9/11

La préservation de la vie humaine et matérielle n’était pas forcément la norme durant la Guerre froide, où les « hijackings » étaient souvent des tentatives désespérées pour échapper à l’emprise du rideau de fer. En 1953, par exemple, Mira Slovak, un pilote de ligne tchécoslovaque, détourna le DC-3 qu’il pilotait avec 25 passagers à son bord pour atterrir en Allemagne, où il demanda l’asile politique. Son évasion rocambolesque en inspira de nombreuses autres durant les années 60 jusqu’au début des années 70.

L’un des cas de détournement les plus célèbres est l’affaire d’un homme dont l’identité demeure toujours inconnue aujourd’hui : D.B Cooper. En 1971, il embarque à Portland, dans l’état d’Oregon, pour un vol en direction de Seattle (Washington) durant lequel il prend l’équipage et les passagers en otage, menaçant de faire exploser l’appareil avec la bombe qu’il transporte. Arrivé à destination, Cooper accepte de libérer les otages contre une rançon de 200.000 dollars et plusieurs parachutes, avant d’obliger l’avion à redécoller. Une fois hors de vue, il saute dans le vide en emportant son magot. Plus de 40 ans après, l’affaire reste non-résolue.

Au milieu des années 70, pas moins de 150 avions ont été détournés rien qu’aux Etats-Unis, et de plus en plus de groupes radicaux du Moyen-Orient ont opté pour le « skyjacking » comme un moyen d’attirer l’attention médiatique sur leur cause. En 1968, un groupe de pirates détourne vers Alger un vol de la compagnie El Al entre Tel-Aviv et Rome, avant de maintenir en otage l’équipage et les 22 passagers pendant un mois.

En 1970, des groupes terroristes palestiniens détournent cinq avions – quatre à destination de New-York, un pour Londres – pour demander la libération d’activistes emprisonnés en Israël. Trois appareils sont obligés d’atterrir sur la piste désaffectée de Dawson, une ancienne base de la British Air Force au coeur de la Jordanie. Le quatrième est détourné vers l’Egypte alors que l’équipage du cinquième appareil parvient à maitriser les assaillants pour atterrir en catastrophe à Londres.

« Cette tentative de détournement terroriste fut la première à réellement capter l’attention médiatique, témoigne Norman Shanks, consultant et ancien responsable de la sécurité à l’aéroport de Heathrow (Londres), pour le New-York Times. Ils n’avaient pas l’intention à l’époque de tuer des gens, c’était une manière pour eux d’avoir de la publicité. » Cet événement marqua un tournant, selon M. Shanks, pour la communauté aérienne internationale qui commença à prendre des mesures coordonnées pour éviter d’autres tentatives de « hijacking ». Il faudra toutefois attendre la fin de la décennie pour que l’Organisation internationale de l’aviation civile, une branche des Nations Unies, obtienne qu’avant l’embarquement tous les passagers soient soumis au détecteur de métaux et les bagages passés sous rayon X.

L’objectif initial de ces deux avancées était d’empêcher les gens d’embarquer avec des armes métalliques comme un pistolet, un couteau ou une grenade, « mais qui n’étaient pas suffisamment perfectionnées pour détecter des explosifs, contrairement à ce que l’on pensait à l’époque », raconte Norman Shanks.

New-York : le point de non-retour

Ce n’est qu’en 1988, suite à l’attentat à la bombe perpétré dans le ciel d’Ecosse contre le vol 103 de la Pan American, que des systèmes de vérification par écran furent introduits dans les aéroports.

Si ces mesures ont permis de réduire drastiquement le nombre de détournements, le risque zéro n’a jamais existé. A ses débuts, la vérification par écran de sécurité n’a été d’application que pour les vols internationaux et non ceux à l’intérieur du pays. Une négligence que les terroristes d’Al-Qaïda allaient pouvoir exploiter lors des attentats du 11 septembre 2001, en parvenant à introduire des cutters à l’intérieur des avions qu’ils comptaient détourner. L’outil, bien que tranchant et en métal, n’était pas à l’époque considéré comme arme blanche aux Etats-Unis. Il a toutefois permis aux assaillants de menacer les équipages des quatre appareils avant de prendre les commandes pour accomplir leur funeste mission.

Ces attaques, les plus meurtrières sur sol américain, ont profondément bouleversé le paysage sécuritaire mondial. Aux Etats-Unis, le département de la sécurité territoriale (Homeland Security Dep.) a été créé pour centraliser la surveillance de tous les aéroports. Les compagnies aériennes ont également mis en place des formations poussées afin qu’employés et équipages soient mieux aguerris pour réagir en cas de situations difficiles. Au niveau technique, enfin, les portes des cockpits ont été renforcées et inaccessibles aux passagers durant les vols.

Et aujourd’hui ?

Difficile désormais pour un terroriste d’envisager un « hijacking » comme une entreprise sans risques, admet Philip Baum, directeur de Green Light, une société de consultance en sécurité aérienne basée à Londres, et auteur d’un livre récemment paru, « History of aircraft highjacking and bombing »

« Nous avons véritablement constaté un changement de mentalité, explique Baum. Depuis 9/11, des pirates à bord d’un avion peuvent désormais s’attendre à une réaction bien plus agressive de l’équipage et des passagers. »

Quinze ans après le drame de New-York, les détournements d’appareil en vol n’ont toutefois pas disparu. A la seule différence qu’ils n’impliquent plus de cellules criminelles externes mais bien des membres internes, pilotes ou copilotes, formés au fonctionnement de leurs compagnies.

Ainsi, en 2014, un co-pilote d’une compagnie éthiopienne a volontairement enfermé son capitaine à l’extérieur de la cabine durant un vol entre Addis-Abeba et Rome. Il a ensuite dévié l’avion vers Genève où il a demandé l’asile politique.

Plus récemment, le 24 mars 2015, l’A320 reliant Düsseldorf à Barcelone n’eut pas la même chance lorsque Andreas Lubitz, jeune copilote de la compagnie allemande Germanwings, profita de la brève absence de son capitaine pour prendre les commandes de l’avion et aller s’abimer dans les Alpes du sud de la France, entrainant la mort de 150 personnes.

Guillaume Alvarez

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