Carte blanche

Marcher pour le climat : la puissance d’une goutte d’eau

Les appels alarmés de scientifiques et de citoyens pour un réveil climatique se sont multipliés ces derniers mois. Pourquoi ne descendons donc tous pas dans la rue alors que l’opportunité nous est offerte ce 2 décembre ?

« J’aimerais bien venir mais… j’ai piscine »

« Le mouvement va se faire récupérer et, en plus, je ne partage pas les mêmes opinions politiques que les gens qui iront sur place »

« Le climat, ce n’est pas l’unique priorité. Que font-ils des autres problématiques actuelles alarmantes comme la montée des extrémismes et des inégalités ou la chute de la biodiversité ? »

« L’enterrement de Johnny a rassemblé un demi-million de personnes et il n’y aura jamais autant de monde pour le climat… à quoi bon »

« Les belges ne sont pas comme les français, protester ce n’est pas notre truc »

« Une personne de plus dans une foule, à quoi ça peut bien servir »

« C’est vraiment mal organisé, ils font ça le weekend de la Saint-Nicolas ! »

Voici quelques explications entendues pour justifier une absence à la marche pour le climat de ce 2 décembre à Bruxelles. Ou alors un silence. Un silence assourdissant.

Si je prends la plume, c’est non pas pour juger ou argumenter dans l’attente fébrile de convaincre. C’est plutôt pour partager mon cheminement, en toute en subjectivité. Expliquer pourquoi, pour moi, c’est la meilleure des choses que nous ayons collectivement à faire, peu importe la météo ou notre agenda, ce dimanche d’automne. Vous dire pourquoi je serai présente le 2 décembre prochain avec ma famille et des amis, incarnant toute la puissance de simples gouttes d’eau.

Nous faisons face à des enjeux planétaires majeurs et interdépendants. Le climat n’est certes pas le seul. Mais c’est, à mon sens, l’un de ceux qui exigent les actes les plus urgents et drastiques. Quand j’y pense, une multitude d’émotions me traversent.

Une profonde tristesse m’envahit en constatant tout ce que nous avons déjà perdu ou détruit, irrémédiablement, depuis ma naissance. La liste ressemble à une plaque d’hommage à des défunts des grandes guerres : sagesse d’arbres centenaires, allégresse de chants d’oiseaux, intelligence collective d’abeilles, féérie des coraux, pureté de glaciers millénaires, neiges éternelles et même une partie de notre héritage historique…. C’est un deuil véritable, la perte de découvertes et de relations à la nature qui m’ont nourrie et construite depuis mon enfance. Mes enfants ne connaitront jamais l’émerveillement et la joie que j’ai pu ressentir, petite aventurière, en découvrant, équipée de mon masque, de mon tuba et de mes palmes, la beauté indescriptible des fonds marins en méditerranée. Aujourd’hui, cette mer est veuve. C’est un cimetière de migrants où l’on croise plus de plastique et d’algues toxiques que de poissons.

Un sentiment de honte coupable s’abat sur moi quand je songe à ceux qui, par malchance, sont nés dans des ailleurs où les effets de changements climatiques se font déjà ressentir avec intensité. Et la honte d’appartenir à ces pays historiquement grands émetteurs de carbone est plus grande encore quand la pauvreté de ces personnes les empêche de se prémunir ou de se protéger. Ils ne sont pas moins humains que moi, ces hommes, femmes et enfants qui subissent les assauts répétés de catastrophes naturelles. Comment vivront-ils demain alors que les inondations, ouragans, feux de forêts ou sécheresses s’enchainent dans l’actualité à des rythmes de plus en plus soutenus ?

Ma colère gronde face à notre déni, notre inertie et notre cynisme. Comment avons-nous pu laisser la situation se dégrader à un tel point alors que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme depuis plus de quarante ans ? L’absence de courage et de vision à long terme des politiques, pourtant garants du bien commun, me sidèrent et me révoltent. Alors que les appels et les avertissements des scientifiques, des organisations internationales et de la société civile redoublent d’intensité[1], les mesures politiques et réglementaires ne sont pas à la mesure des enjeux. Trois ans après les accords de Paris, les émissions de CO2 augmentent à nouveau en Belgique.

La peur me ronge quand je pense aux perspectives futures de nos sociétés déconnectées des réalités du vivant. Les constats et les scénarios des experts réveillent mes peurs ancestrales : planète étuve[2], famines, inondations, épidémies, violence, migration… Alors que les trajectoires actuelles nous conduisent à un réchauffement de 3-4°C en 2100, l’angoisse m’étreint, en particulier quand je pense à l’hostilité de cet environnement pour les personnes les plus faibles (enfants, personnes âgées ou malades). Dépendante pour me nourrir, me vêtir, me chauffer, je nous sens tellement vulnérables. Nous, les géants aux pieds d’argile.

Larmes et sueurs. Parfois, un sentiment d’impuissance monte un moi comme un tsunami. Nous sommes 7,6 milliards d’êtres humains sur terre et notre unique embarcation prend l’eau de toutes parts. Les actions individuelles et les expérimentations de collectifs sont des puissants vecteurs de conscientisation, créateurs de liens, de joie et de métamorphoses intérieures. Les initiatives de transition nous permettant de d’inventer de nouvelles manières d’être au monde. Mais la réponse à ces émotions ne peut être seulement individuelle, communautaire ou locale. Des actions politiques locales et globales sont aussi indispensables. C’est à ce niveau que les marges de manoeuvres, connues de la plupart des décideurs, sont les plus importantes. Nous devons les encourager et les soutenir. Dans nos sociétés, qui me semblent parfois avoir perdu la raison, individus et organisations continuent à respecter les lois et à répondre aux incitants des pouvoirs publics. La majorité d’entre nous est toujours convaincue qu’il est préférable de discuter et de se mettre d’accord plutôt que de recourir à la violence. Les institutions sont de puissants vecteurs de transformation si on les contraint notamment à élargir leur horizon temporel et à revoir la hiérarchie des priorités.

Des larmes et de la sueur naissent des gouttes. Niées, ces émotions sont un poison pour l’individu et la société. Exprimées et transformées, elles sont source d’énergie et d’engagement. Les organisateurs de cette marche pour le climat ont posé une intention forte « réclamer une politique climatique socialement juste et ambitieuse » en organisant « la plus grande manifestation pour le climat jamais vue en Belgique ». Ce faisant, ils ont creusé le lit d’une rivière prête à accueillir, dans la joie d’une pluie rafraichissante, des centaines de milliers de gouttes.

Alors, je pense à toute la puissance d’une goutte d’eau que j’incarnerai dans chacun de mes pas.

Je marcherai avec l’humilité d’une goutte : chacun.e compte, avec ses contradictions et ses limites, sans sentiment de supériorité ou d’infériorité.

Je m’ouvrirai à l’unité d’une goutte : une fois atteint le sol, les gouttes se mêlent et se rejoignent dans un torrent collectif, sans chercher à se distinguer par leur pureté.

Je m’inspirerai de la capacité de se régénérer d’une goutte : le cycle de l’eau continue, ma motivation se perpétuera, enrichie par mon action, peu importe les conjectures sur le nombre de personnes présentes.

Je ferai confiance à la multiplicité d’une goutte : je ne suis pas seule, les marches pour le climat s’organisent sur les cinq continents, faisant tomber des millions de gouttes un peu partout sur notre planète asséchée.

Je garderai toute la vigilance d’une goutte : portée par une vision et une conviction, je ne m’éparpillerai et ne me détournerai pas du courant avant d’avoir atteint l’objectif.

Je m’accrocherai à la ténacité d’une goutte : car j’ai vu, qu’à force de persévérance, goutte après goutte, l’eau peut éroder les montagnes les plus solides.

Le 2 décembre prochain, offrons à nos politiques et nos concitoyens une belle drache nationale !

Coline Ruwet, Chargée de cours et chercheuse, ICHEC

[1] Quelques exemples des multiples appels et rapports récents: Riple (2017) World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice https://academic.oup.com/bioscience/article/67/12/1026/4605229, Rapport spécial du GIEC 2018, http://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/les-rapports-du-giec/2018-rapport-special, Déclaration du Secrétaire Général de l’ONU en 2018, https://www.un.org/press/fr/2018/sgsm19282.doc.htm

[2]Steffen W. et al. (2018), « Trajectories of the Earth System in the Anthropocene « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire