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Xavier Hanotte: « Le pouvoir me désespère »

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Si vous voulez mesurer l’étendue de la tragédie qui s’est déclenchée l’été 1914, lisez les romans de Xavier Hanotte. En particulier Derrière la colline, récit poignant, à la première personne, de Nigel Parsons, jeune engagé britannique propulsé dans l’horreur de la bataille de la Somme. Interview de l’écrivain belge.

Piet Chielens, le coordinateur du musée In Flanders Fields, à Ypres, a dit que nul écrivain belge n’avait abordé la Première Guerre mondiale de façon aussi juste que vous. Que croyez-vous avoir réussi, notamment avec Derrière la colline, votre roman le plus connu ?

> Derrière la colline est un roman sur la destinée, bien plus qu’un roman sur 1914-18. Si on devait le résumer en une phrase, ce serait : peut-on changer de destin comme on change de train ? Il se fait que, pour aborder cette question, un contexte comme celui de l’offensive de la Somme était peut-être nécessaire, par son côté tellement outré.

Cette bataille fera un million de victimes, entre juillet et novembre 1916. Une boucherie sans nom, à peine concevable pour un esprit humain.

> Il y a dans mes romans une part de réalisme magique, de fantastique. Mais la guerre de 1914-18 a généré son propre projet fantastique. Si vous prenez l’histoire des anges qui seraient apparus aux soldats britanniques, à Mons (NDLR : dans la nuit du 23 août 1914, ils auraient, selon la légende, stoppé l’avancée de l’armée allemande et permis la retraite des Britanniques), il existe des explications d’ordre psychanalytique. Selon certains spécialistes, ces types étaient tellement fatigués qu’ils ont vu n’importe quoi. Peut-être… Mais la légende, c’était aussi une manière de conquérir une parole, quand la parole n’arrive pas à décrire ce qu’on vit, tant la réalité est insupportable et absurde.

L’offensive de la Somme, pour moi, c’est l’inadéquation fondamentale d’un appareil militaire qui ne veut pas reconnaître qu’il est inadéquat. Les états-majors, en 1916, ne sont pas peuplés de monstres. Non, il s’agit d’un appareil conçu pour fonctionner dans un contexte bien déterminé, mais le problème, c’est qu’on n’est pas dans le bon contexte. Et donc on continue à lancer des types à l’assaut des lignes ennemies, parce que la chaîne de commandement rend presque impossible la transmission des informations de la base vers le sommet de la hiérarchie… C’est ça, l’horreur de la bataille de la Somme : l’obstination de généraux coupés du terrain, qui commandent de grandes offensives sans doute justifiées d’un point de vue stratégique, mais qui s’avèrent une catastrophe sur le plan purement tactique. Il y a une logique, mais la logique ne repose plus sur une réalité.

Selon Bart De Wever, « la politique est une mauvaise pièce de théâtre jouée par de bons acteurs ». Les coulisses de la politique belge, cela pourrait donner matière à un bon roman ?

> Oui, mais sans doute pas écrit par moi, car dans ma propre vie, j’ai tendance à tenir toute forme de pouvoir à distance. Le pouvoir me désespère. Et en même temps, je veux aller plus loin que ce désespoir. C’est la raison pour laquelle je vais en parler dans mon prochain roman. L’un des personnages principaux sera Lépide, l’homme le moins connu du second triumvirat de la République romaine. Le pouvoir était-il différent à cette époque-là qu’il ne l’est pour Bart De Wever et Elio Di Rupo ? C’est indirectement une question que je vais poser, à travers les relations entre trois dirigeants très différents. Auguste : le politicien calculateur, mais pensant agir pour le bien de la société. Antoine : le Bonaparte de service, avide de pouvoir, fougueux, pas très réfléchi. Lépide : le type qui essaye de ne pas trop bouger la tradition telle qu’il l’apprécie, et qui joue les modérateurs. Pour aborder le pouvoir comme sujet littéraire, il fallait que je prenne un peu de hauteur. Sinon, j’allais tomber dans des abîmes de pessimisme.

Propos recueillis par François Brabant

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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