Les machines et l'essor du numérique ont redressé et soulagé le travailleur. © DEREK BACON/GETTY IMAGES

Wallonie: « les perspectives en matière de numérique sont énormes! »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Implacable tueuse d’emplois, la déferlante technologique se montre sous son plus mauvais jour. Benoît Macq, l’une des chevilles ouvrières du pari numérique wallon, engage un procès en réhabilitation.

ING en tête, le monde de la banque instrumentalise à son profit toute la cruauté et l’inégalité d’un combat séculaire : celui de l’homme et de la machine. Toujours plus intelligente, envahissante, omnisciente, elle met le travailleur à cran, désemparé face à cette concurrence technologique ressentie comme déloyale.

Gros malentendu à dissiper.  » Ne pas subir la numérisation mais la saisir « , exhorte le ministre fédéral en charge de l’Agenda numérique, Alexander De Croo (Open VLD). Toute résistance serait d’ailleurs aussi vaine que stupide. Qu’on se le dise :  » La numérisation crée davantage d’emplois qu’elle n’en détruit.  »

Benoît Macq confesse un lourd passé de geek et une addiction au smartphone,  » ma troisième main « . A 55 ans, cet ingénieur civil et professeur à l’UCL brandit le portable à l’ère de la révolution numérique comme on le faisait jadis du Petit Livre rouge au temps de la Révolution culturelle chinoise. Infatigable militant de l’avancée technologique, l’expert auprès du ministre régional wallon de l’Innovation et du Numérique Jean-Claude Marcourt (PS) ne désespère pas de faire du numérique le meilleur ami de l’homme.

Le monde de la banque sait s’y prendre pour infliger à la révolution numérique une très mauvaise publicité…

La révolution technologique en cours est effectivement dure, brutale, et s’accompagne de malheurs sociaux. Des gens vont rester sur le carreau, c’est évidemment très triste.

De l’homme ou de la machine, c’est toujours le même qui doit s’effacer ?

Les machines ont permis de diminuer le nombre d’agriculteurs mais aussi le nombre de gens obligés de se plier en deux pour couper le blé dans les champs. La moissonneuse-batteuse a été un facteur de progrès. Plus personne ne songerait à remettre en question cette libération.

La mutation technologique du monde de la banque doit donc être vécue comme une libération ?

La banque numérisée coûtera moins cher puisqu’elle réduira les coûts de fonctionnement. Si elle ne sert qu’à enrichir encore davantage des patrons, c’est évidemment très choquant. Idéalement, l’argent économisé par le client sur les services bancaires devrait être réinvesti dans la santé, la culture, d’autres secteurs.

Vous rêvez tout haut ?

Benoît Macq estime que la vague technologique pourrait permettre à la Wallonie de se moderniser et de rattraper son retard.
Benoît Macq estime que la vague technologique pourrait permettre à la Wallonie de se moderniser et de rattraper son retard.© FRED GUERDIN/REPORTERS

C’est sans doute mon côté  » bisounours  » mais je suis un optimiste de nature. Nous vivons un transfert de ressources et d’emplois. Nous évoluons vers des métiers qui font appel à l’innovation, à la créativité et qui seront d’une plus grande utilité sociale. La révolution numérique va démultiplier les services de proximité, comme ceux dédiés aux personnes âgées.

Rendra-t-elle pour autant l’homme plus heureux et épanoui ?

Oui ! Dans le monde industriel, cette révolution est en train de libérer l’homme de tâches élémentaires et parfois pénibles, d’actes répétitifs et abêtissants. Les fonctions qui subsisteront dans les banques seront orientées vers le conseil au client, le montage de projets financiers, elles seront beaucoup plus intéressantes et valorisantes. Les travailleurs vont devenir des offreurs de services.

Tout cela paraît joli, mais cette mutation numérique agit aussi comme un formidable accélérateur de fractures sociales…

Parce que la révolution sociale qui doit accompagner la révolution numérique n’a pas encore eu lieu. Le politique doit s’approprier cet enjeu majeur, sinon les gens vont se rebeller. Cette dimension inclusive n’est pas assez présente dans les débats. Le flou règne.

Au train où la numérisation avale les emplois, ériger le travail en valeur absolue de l’existence et vouloir prolonger les gens au boulot a-t-il encore un sens ?

Je dis oui à la réduction du temps de travail mais je ne suis pas partisan de la thèse de l’allocation universelle libératrice du travail. Tout le monde a besoin de se sentir utile. Il est important que l’Etat ne se dédouane pas de son devoir d’essayer de mettre les gens au boulot. D’autant qu’il y aura encore du travail pour tous, j’en suis certain. Les besoins sont là, énormes. Mais ils supposent de réinventer nos sociétés et nos jobs. Le travail intellectuel lui-même commence à être remplacé par l’intelligence artificielle, avec l’avènement des traducteurs en ligne, des voitures électriques sans pilote. Les villes intelligentes permettront d’économiser l’énergie, d’améliorer la mobilité. Prenez les systèmes de vélos partagés dans les centres urbains : ils fonctionnent grâce aux bornes numériques qui signalent sur le smartphone les localisations de vélos disponibles. Tous ces progrès vont engendrer des gains de temps et d’argent qui pourront être réinvestis, je le répète, dans d’autres créneaux : le développement durable, le biomédical…

… ou davantage de loisirs ?

Sur ce plan, j’avoue être un peu déçu. Lorsque nous avons commencé dans le numérique il y a vingt ans, Thierry De Smedt (NDLR : département de communication de l’UCL) et moi, nous pensions que les gens, grâce au numérique, auraient du temps libéré et travailleraient moins. On parlait alors de la société des loisirs. On s’est planté. Les gens qui sont au boulot ne travaillent pas moins qu’avant. Parce qu’en même temps que le numérique libérait l’homme, il a suscité des tas de nouveaux besoins. Il crée ainsi plus d’opportunités qu’il ne tue le travail.

La Wallonie se prépare-t-elle suffisamment à ce bouleversement ?

Les semences sont très prometteuses et les perspectives énormes. Grâce au numérique, la Wallonie a l’opportunité exceptionnelle de relocaliser sur son territoire des activités, des entreprises, des jobs, des compétences de pointe, là où on pense et on conçoit les produits. Je sens plus qu’un frémissement.

C’est une formidable occasion d’entrer dans la course ?

Absolument. Cette vague technologique permet même de brûler les étapes de la modernisation de l’industrie wallonne et de rattraper son retard. Mais on pourrait faire mieux en matière de démystification du numérique et de possibilité d’exploiter son potentiel.

Dès les bancs de l’école, notamment ?

L’école ne se prépare pas assez à cette mutation. Or, le niveau de l’étudiant numérique ne baissera pas : il travaille sur des projets, raisonne différemment, il est plus innovant. A la décharge des enseignants, qui sont en première ligne, ils doivent faire face à d’autres priorités.

Le 20 octobre, Benoît Macq donne une conférence au palais des beaux-arts de Charleroi sur le thème : « L’Internet du futur : une révolution pour l’industrie wallonne ? » www.collegebelgique.be

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