Thierry Denoël

Taxer l’épargne, c’est taxer les riches. D’accord ?

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le message du Parlement chypriote est clair : touche pas à mon épargne ! Les députés de l’île ont voté contre le plan qui prévoyait de taxer les dépôts bancaires. Le tabou est préservé. Pour le moment. Mais pourquoi ce plan a-t-il provoqué un tel tollé médiatique en Europe ? Parce que taxer l’épargne, c’est taxer les riches ?

Il y a des nouvelles qui passent inaperçues, faisait remarquer hier Tony Demonté, de la CNE, à plusieurs journalistes : les diminutions de 30 à 40 % de certains salaires en Grèce, en Espagne et au Portugal ; la chute des revenus de pension dans ces mêmes pays ; la suppression brutale des revenus de certains allocataires sociaux…

Mais quand on évoque une taxe one shot de 6,6 à 9,9 % sur les dépôts bancaires chypriotes pour sauver l’Etat, endetté jusqu’au cou, tous les médias du Vieux Continent s’emparent de l’info. On s’étrangle. On panique. On hurle au crime. On sort la kalachnikov.
Mais pourquoi est-ce si choquant de taxer le capital épargné ? Si le plan de sauvetage chypriote, qui doit rapporter 5,8 milliards d’euros, était appliqué en Belgique, cela signifierait, proportionnellement, qu’on ponctionnerait les comptes bancaires belges de 4 400 à 5 500 euros en moyenne. Il s’agit bien d’une moyenne. Pour être taxé de la sorte, il faudrait avoir au moins 70 000 euros en banque. Les petits revenus, qui n’ont pas les moyens d’économiser, ne paieraient rien. Par contre, les plus nantis casqueraient bien davantage que 4 400 euros.

En outre, l’idée de l’Eurogroupe pour sauver Chypre de la banqueroute était, au départ, de prélever une taxe uniquement sur les comptes supérieurs à 100 000 euros et de ne pas toucher les petits épargnants. Mais les autorités chypriotes ont craint que cela nuise à l’image accueillante de leur système financier et fasse fuir massivement les gros déposants étrangers. C’est ainsi que le gouvernement de Nicosie a voulu imposer une taxe à tous les épargnants, que les parlementaires viennent donc de rejeter.

Quoi qu’il en soit, une telle taxe ne choque pas tous les observateurs du monde financier et de la vie européenne. C’est le cas de l’ancien banquier d’affaires Marc Fiorentino ou du correspondant de Libération à Bruxelles Jean Quatremer. Leurs arguments : il est normal de prendre l’argent là où il se trouve ; taxer les comptes bancaires, c’est taxer le capital ; ce genre de taxe ne toucherait les petits comptes que marginalement (66 euros, une fois pour toutes, pour un compte de 1 000 euros); les banques prélèvent des commissions annuelles sur les comptes bancaires sans que cela choque personne…

En Belgique, le Premier ministre Elio Di Rupo (PS) voudrait mettre sur pied une banque de données sur les livrets d’épargne, non pas pour taxer les dépôts comme à Chypre, mais pour éviter que les épargnants les plus fortunés multiplient les comptes d’épargne dans le but d’échapper au précompte prélevé par les banques au-delà de 1 880 euros d’intérêts perçus sur un compte. Le projet a été rejeté par les libéraux qui craignent que cela ouvre la porte à un impôt sur la fortune. Vous avez dit tabou ?

Thierry Denoël

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