Jan Jambon, Charles Michel et Koen Geens © Belga

Sécurité ou liberté? Trois réflexions essentielles autour des mesures antiterroristes

Jan Nolf
Jan Nolf Juge de paix honoraire

Le juge de paix honoraire Jan Nolf décrypte les mesures antiterroristes décidées par le gouvernement. Il relève trois réflexions essentielles. « Notre Constitution belge a été un produit d’exportation acclamé à l’étranger. Faisons en sorte que le modèle d’un état de droit belge sécurisé intelligemment le soit aussi ».

Il est possible que le prochain ministre de la Justice belge reprenne le titre de son homologue néerlandais: ministre de la Sécurité et de la Justice. Oui, dans cet ordre-là. On se demande si cet ordre respecte les priorités de l’état de droit et s’il a fait l’objet du débat à la Chambre de jeudi. « Celui qui place la sécurité au-dessus de la liberté, ne mérite aucune des deux » rappelle le secrétaire d’État Bart Tommelein (Open VLD) sur Twitter.

Il est normal que le gouvernement augmente les moyens humains et financiers en ces jours dramatiques, mais cela vient beaucoup trop tard. La personne qui surveille, à mi-temps, les sites djihadistes en est un exemple effarant : « Encore une histoire belge » se moquera-t-on en France. La détermination affichée sur le plan juridique est une tout autre histoire, puisqu’une intervention d’état plus poussée exige des garanties plus importantes. Décryptage de trois discussions essentielles.

La vie privée

Le débat sur les cartes de téléphone prépayées – celles-ci ne pourront plus être achetées anonymement – était déjà partiellement dépassé. Ainsi, cette obligation d’enregistrement existe déjà en France, mais c’est justement Nicolas Sarkozy qui a prouvé que cette mesure ne résout rien en téléphonant à son avocat sous le nom d’emprunt de Paul Bismuth dans une tentative infructueuse de tromper les juges d’instruction dans l’affaire Bettencourt notamment.

Les coûts engendrés par ce nouveau système toucheront surtout les gens démunis, et pas les criminels.

Le grand danger pour notre vie privée est ailleurs. Dans le débat organisé le 30 octobre dernier par le SPF Justice, Vanessa Franssen, chercheuse à Louvain et à Luxembourg, a mis en garde contre le glissement du rôle de juge d’instruction vers les services de sécurité. Marc Trévidic, ancien juge d’instruction français au pôle antiterrorisme, partage cette analyse dans Le Monde : la sécurisation est de plus en plus gérée administrativement à l’insu du juge d’instruction indépendant.

En outre, le problème n’est pas seulement la quantité de données, mais leur analyse correcte. C’est pour cette raison aussi que le secrétaire d’État Tommelein a déclaré qu’il ne fallait pas cacher, sous encore plus de foin, l’aiguille dans la botte de foin.

Entre-temps, les mesures du gouvernement illustrent à juste titre que les écoutes téléphoniques sont une technique du siècle passé. Aussi la chercheuse Franssen a-t-elle plaidé à Bruxelles en faveur d’une législation « technologiquement neutre » qui garantit la vie privée sans chaque fois devoir courir après la réalité dès que sortent de nouveaux outils.

C’est là un conseil précieux pour les réformes annoncées du code d’instruction criminelle et l’élargissement des compétences pour les services de renseignement (telle que la reconnaissance vocale).

Perquisitions et arrestations

Il n’y a pas très longtemps, le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken (N-VA) a lancé l’idée d’autoriser les perquisitions sans mandat du juge d’instruction aux endroits qui pourraient abriter des réfugiés.

La question se pose si l’exception des perquisitions nocturnes ne nous entraîne pas sur cette pente glissante. En témoigne l’adaptation de rien de moins que la Constitution pour prolonger la garde à vue sans mandat d’un juge d’instruction à 72 heures au lieu de 24.

Ici, la Belgique va même plus loin que la législation française. En 2004, la France a prolongé la garde à vue à 96 heures, notamment en cas de terrorisme, mais à condition qu’un magistrat intervienne à partir de 48 heures.

Ce prolongement semble légitime en cas de criminalité aussi lourde, mais est-ce vraiment nécessaire ? Les attentats de Paris auraient-ils pu être évités grâce à cette compétence supplémentaire : c’est une bonne question pour la commission d’instruction parlementaire, mais la réponse semble d’ores et déjà « non ».

Régime carcéral pour les gens qui partent se battre en Syrie (ou qui en ont l’intention)

Jusqu’à présent, cela semble le volet le plus controversé des propositions. Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) semble prêter une oreille attentive aux mises en garde de criminologues contre le discours politique du tout-carcéral.

Par l’approche « foreign fighters », certains entendent un agenda répressif contre lequel met en garde le professeur Ivo Aertsen (Institut louvaniste pour la Criminologie). Ce genre d’approche ne fera qu’entraîner encore plus de « dommages collatéraux » sociétaux et juridiques et ranimer la polarisation et l’insécurité.

À court terme, il faudra tirer un enseignement des méthodes utilisées pour concentrer les djihadistes dans certaines sections d’un nombre limité de prisons ou au contraire de les répartir. Les événements récents nous montrent que là non plus ce n’est pas simple.

Paris est un nouvel avertissement. Il est temps d’engager une sérieuse réflexion juridique -comme Geens s’est proposé de le faire – au lieu de bâcler le travail.

Notre Constitution a été un produit d’exportation acclamé à l’étranger. Faisons en sorte que notre modèle d’état de droit belge sécurisé intelligemment le soit aussi.

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