© Frédéric Pauwels

Sécurité : les tueurs de masse à bout portant

Comme à Liège l’an dernier, les tueurs de masse sont une menace permanente. Comment réagir rapidement face à ces situations extrêmes ? Les policiers locaux suivent la formation Amok. Objectif : neutraliser le tueur pour éviter un maximum de victimes.

« Politie ! Politie ! » Les flics de Termonde hurlent dans les couloirs de la Rijkstechnische School, située en plein coeur de la ville. Un tueur fou a été signalé dans l’école. Il y aurait des victimes. Voilà tout ce que savent les quatre hommes arrivés sur les lieux. Deux par deux, ils pénètrent dans une classe vide : un premier policier l’arme au poing, levée devant les yeux, un autre derrière lui, une main sur son épaule, balayant la pièce de son pistolet sur 360°.

Une porte s’ouvre brutalement. Des cris de panique. Une dizaine d’élèves s’encourent en trébuchant, se bousculent, renversent des chaises. Un coup de feu claque. Un homme s’écroule. Et lâche le couteau qu’il brandissait. Un bref silence immortalise la scène digne d’une série policière américaine.

« Goed ! » s’écrie un pandore affublé d’une veste rouge vif frappée du logo « formateur ». Le mort se relève. Les policiers baissent leur bras armé. Les élèves reviennent en riant. Ils ont pris un coup de vieux, une fois leur masque de protection ôté. L’exercice a été concluant. Touché par des munitions FX (des billes en plastique qui laissent une trace sur le point d’impact), le tueur a été neutralisé. Sans bavure ni dommage collatéral. Dans un coin de la classe de cette école désaffectée, le commissaire Paul Putteman sourit : « Ce n’était pas évident de voir le couteau dans la mêlée », commente le chef de zone. En effet. Lors de l’exercice suivant, une policière tirera sur un figurant « écolier » avant d’atteindre le figurant « tueur ». Pas simple…

Ce ne sont pas des flics d’élite qui s’entraînent dans la Rijkstechnische School. Non, cette formation, baptisée Amok, s’adresse aux policiers locaux dits de première ligne, ceux que l’on voit patrouiller dans les rues des villes ou des villages, et qui peuvent intervenir en quelques minutes.

Ces dernières années, les tueurs de masse se sont multipliés en Belgique, à l’instar de nombreux pays occidentaux. Le massacre de Liège, le 13 décembre dernier, qui a fait cinq morts sans compter le suicide du tireur Nordine Amrani, était le troisième cas de ce genre. En 2006, Hans Van Themsche s’était lancé dans un raid raciste, à Anvers, tuant une petite fille de 2 ans et sa nounou malienne. En 2009, l’équipée sanglante de Kim De Gelder s’était soldée par la mort de deux bébés et de leur puéricultrice dans une crèche de Termonde. Le 28 juin prochain, la chambre des mises en accusation de Gand doit encore décider si De Gelder sera renvoyé devant les assises ou bien s’il sera interné.

Dans le jargon policier, ces carnages sont qualifiés de « situations Amok », du terme Amuk qui, en Indonésie, désigne une colère meurtrière. Il ne s’agit ni d’une prise d’otage ni d’un Fort Chabrol, mais d’un tueur qui, dans un espace public, tue tout ce qui bouge autour de lui. Même s’ils constituent un phénomène exceptionnel, les tueurs de masse sont particulièrement inquiétants. Véritables bombes à retardement, ces individus, souvent isolés, ruminent leur croisade longtemps à l’avance, comme Anders Breivik, en Norvège. Lorsqu’ils passent à l’acte, il faut réagir très vite, car leur but est de faire le plus de morts possible en très peu de temps.
D’où l’intérêt de former des policiers locaux qui peuvent intervenir rapidement sur une scène Amok. La tuerie du lycée Columbine, dans le Colorado en 1999, a montré l’inefficacité du SWAT dans ce genre de situation. L’unité spéciale d’intervention américaine n’est entrée dans l’école qu’une heure et demie après les premiers coups de feu tirés par Harris et Klebold. Ceux-ci avaient eu amplement le temps de tuer 25 personnes puis de se suicider.

Des policiers classiques se trouvaient pourtant sur place, mais ils ont suivi la procédure qui était de circonscrire un périmètre de sécurité autour du lycée pour limiter les dégâts… Après Columbine, un nouveau protocole a été mis en place pour obliger les premiers agents arrivés sur la scène à neutraliser, à tout prix, le ou les tueurs.

La même idée a germé dans la tête de Paul Putteman, deux ans après les meurtres de Kim De Gelder. « Notre intervention en 2009 n’était pas en cause. Nous sommes arrivés dans la crèche cinq minutes après avoir été avertis, se souvient le chef de zone. Le meurtrier s’était enfui et courait dans les rues de Termonde. Il nous a fallu une heure pour l’attraper. Entre-temps, nous avions appelé toutes les crèches et les établissements scolaires de la zone pour qu’ils se barricadent. » Ce sont surtout les tueries dans les écoles ou sur les campus universitaires, à l’étranger, qui ont fait réfléchir le commissaire : dans un lycée de Finlande, à l’université Virginia Tech en Virginie, dans un lycée à Erfurt en Allemagne, dans une école Amish de Pennsylvanie…

Les lieux regroupant des étudiants semblent être le terrain de prédilection des tueurs de masse. Or, à Termonde, les écoles sont particulièrement nombreuses : on compte plus de 10 000 écoliers, dont 4 400 en humanité. Selon une étude américaine qui a analysé une centaine d’incidents Amok, la durée moyenne d’un incident est de huit minutes. Dont acte. Pas le temps d’attendre, pendant une demi-heure ou une heure, l’unité spéciale d’intervention.

Putteman a mis sur pied un groupe de travail avec la Commission permanente de la police locale qui regroupe les 195 corps du pays. Au printemps 2010, un rapport a été remis à la Commission et au collège des procureurs généraux qui l’ont validé. Il s’agissait de former les policiers de première ligne sur le terrain local, mais aussi d’instruire les officiers et les dispatchers qui doivent savoir distinguer très vite une situation Amok d’une prise d’otages.

Au départ, pas mal de policiers sont réticents. « Mais on les sensibilise avec des images de school shooting notamment à Columbine, explique Paul Putteman. La vidéo se termine par le témoignage de la mère d’un étudiant tué, que les forces de l’ordre qui maintenaient le périmètre de sécurité ont empêchée de pénétrer sur le campus pour sauver son fils. Face à la caméra, elle s’exclame :  »Si vous ne voulez pas intervenir en tant que policier, alors changez de boulot ! » Il n’y a pas plus persuasif… »

Lancée fin 2011, la formation Amok a été suspendue pendant plusieurs mois. Les syndicats ont exigé une étude de risques pour les policiers. En effet, dans des situations extrêmes, il est difficile de ne pas se tromper de cible. L’exercice auquel nous avons assisté à Termonde l’a démontré. Mais il n’était pas possible de donner des garanties générales aux syndicats. Chaque incident sera examiné au cas par cas. Les formations ont néanmoins repris. Elles s’étendront à tout le pays.

A la Rijkstechnische School de Termonde, le deuxième exercice de la journée est monté d’un cran dans l’échelle du stress. Cette fois, plusieurs tueurs sont signalés dans l’école. Un premier est armé d’un revolver et d’une grenade. Un second dissimule un sabre sous son paletot. Lorsque la patrouille débarque, l’escalier qui mène aux classes est jonché de cadavres. Une radio diffuse des cris de panique pour augmenter la tension. Finalement, le tueur au sabre s’échappera avec des otages et en tuera une bonne partie dans la cour de récré. Les flics ne l’ont pas repéré à temps…

THIERRY DENOËL

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire