Joseph Junker

« Saint-Nicolas : l’enfant, l’antiraciste et le laïcard »

Joseph Junker Ingénieur civil et cadre dans une société privée

Mais quelle mouche pique donc chaque année les Pays-Bas et maintenant la Flandre au sujet de Zwarte Piet, l’infortuné compagnon de Saint-Nicolas, amenant même des activistes à saboter la maison de Saint Nicolas dans un supermarché de Dordrecht ? Serait-ce la même qui a piqué la mutualité socialiste Solidaris, défroquant cavalièrement le vénérable évêque de sa croix ?

À n’en pas douter, le 6 décembre est un de ces événements qui instantanément rallument en vous une passion qu’on croyait éteinte. Cette période magique où il ne se passait pas un soir sans que religieusement vous ne placiez votre soulier devant la cheminée familiale. Ou ce jour où, beau dessin dans une main et carotte pour l’âne (ou le cheval si vous étiez écolier en Flandre), vous étiez heureux comme un roi d’avoir pu, l’espace d’un instant, avoir Saint-Nicolas à vous tout seul.

Puis un jour, pas encore un adulte mais plus tout à fait un enfant, peut-être un peu aidé par vos parents, vous avez compris le magnifique grand jeu qu’ont joué avec vous les adultes et combien ils vous aiment pour agir ainsi.

Puis ensuite, devenu parent, vous avez compris pourquoi des générations de mauvais acteurs revêtaient chaque année un accoutrement qui leur vaudrait de finir la journée en garde à vue dans n’importe quelle ville d’Europe du Sud. Peut-être avez-vous même saisi sur leur visage couvert de cirage ou de barbe blanche au mauvais ouate ce pourquoi ils avaient donné leur journée: être le reflet de cet instant d’éternité que donnent la magie et l’innocence de l’enfance et retrouver chez eux cette candeur bienheureuse, celle que nous sommes inconsolables d’avoir perdue et que nous revivons avec joie chaque année avec eux. Une belle histoire, un grand jeu, un bien commun que nous sommes heureux de partager tous, de génération en génération.

C’est dire à quel point les polémiques oiseuses qui entourent la croix du grand Saint-Nicolas et Zwarte Piet – en plus d’être particulièrement stupides – blessent profondément l’âme de nos plats pays en s’attaquant à la plus belle de nos traditions. Et quoi, Zwarte Piet ne serait qu’un stéréotype raciste, relents d’une aujourd’hui honnie époque colonialiste et paternaliste, pour ne pas dire stéréotypée ? La croix de Saint-Nicolas ne serait qu’un héritage catholique et donc non-inclusif, devenu insupportable à la vue de notre mutualité socialiste anticléric… euh pardon ouverte et tolérante, un signe qu’il nous faut éradiquer par tous les moyens ?

Quelle sottise et incongruité n’est-ce pas que ces questions si dures et politiquement correctes au milieu de l’univers merveilleux de l’enfance ! Probablement d’ailleurs la plupart des Néerlandais ont d’abord haussé les épaules en entendant les premiers cris d’orfraie antiracistes. Après tout, ces gens mal lunés ne seront probablement contents que le jour où Saint-Nicolas aura jeté aux orties croix, crosse et mitre, quand des pères Fouettards androgynes de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel distribueront aux enfants des petits coeurs de la paix en sucre tandis que le cheval/l’âne (biffer la mention inutile) désormais zébré noir et blanc piaffera sur un bateau rebaptisé pour l’occasion « le vaisseau de la diversité ». Il sera épargné de justesse à Nicolas de devenir « Nicole » une année sur deux, concédant que « les esprits ne sont pas encore prêts ». Et quand la tradition aura de la sorte perdu tout intérêt, elle mourra à petit feu au fil des années, jusqu’à voir Nicolas désormais devenu dépressif et héroïnomane, réduit à taper le carton avec le Père Noël et la Petite Souris en période de soldes devant « l’univers du matelas ». Triste fin pour le héros de notre enfance que d’être réduit à un amusant petit rappel culturel dont les services de relations publiques de la grande distribution ont le secret !

Là où tout ceci est particulièrement désolant, c’est que ce qui n’aurait dû rester qu’une lamentable provocation d’activistes en mal d’attention prend chaque année des proportions plus dantesques, jusqu’à devenir outre-Moerdijk et de plus en plus en terre flamande un débat national qui déchire le pays chaque automne. Misant habilement sur un mélange de communautarisme et d’argumentaire antiraciste, de rusés démagogues ne se privent pas d’attiser la polémique, faisant augmenter année par année la pression et montant les Néerlandais « de souche » ou non les uns contre les autres. L’infortuné Zwarte Piet fût même condamné il y a deux ans par une obscure présidente d’une sous-commission des droits de l’homme de l’ONU – organisme qu’on connut plus inspiré. Un exploit qui réussit le tour de force de susciter en l’espace de quelques heures une pétition de soutien à Pierre le Noir de plusieurs de millions de signatures, dans un pays qui n’en compte guère plus de 13 en âge de voter. Comme si cela ne suffisait pas, le pays essuie depuis chaque année l’impensable : une manifestation anti-Saint Nicolas, qui bien entendu dégénère régulièrement (des deux côtés d’ailleurs). C’est ainsi qu’en marge de la Joyeuse Entrée télévisée du Saint Homme à Gouda en 2014, s’étala sous les caméras du NOS et présence de milliers de petits enfants le lamentable spectacle d’une soixantaine d’activistes aux prises avec la police se battant comme des chiffonniers aux cris « Zwarte Piet is racisme ! » et même « Saint-Nicolas n’existe pas !« …

Geert Wilders, président du PVV et allié de Marine Le Pen au parlement européen, n’en demandait d’ailleurs pas tant et s’empressa de saisir avec gratitude le présent que lui offrait ses adversaires : le multiculturalisme est une richesse dites-vous ? Voilà notre plus belle et la plus innocente de nos traditions, la fête de nos enfants sommée de s’adapter aux lubies des invités de notre nation, le héros de notre enfance remballé comme un malpropre par ceux à qui nous n’avons jamais demandé de venir et que avons accueillis généreusement. Il faut bien l’avouer, l’homme politique n’en attendait pas tant, et Saint-Nicolas lui-même n’aurait pu lui offrir meilleure occasion de conquérir les coeurs néerlandais, convaincus pour le coup d’être victimes d’un authentique racisme culturel ! Une nouvelle preuve si besoin en était de l’absence totale de subtilité des mouvements autoproclamés tolérants et antiracistes…

Peut-être somme toute que l’enseignement principal de cette nouvelle polémique idiote, c’est que nous ne parvenons à aborder les sujets qui fâchent qu’au moyen de stériles disputes qui ne disent pas leur nom. Ainsi s’écharpe-t-on sur l’autorisation ou non des minarets plutôt que de s’interroger sur la place de l’Islam en Europe, ou encore le burkini nous permet d’aborder avec 30 ans de retard la question du voile islamique, qui n’a en fait jamais vraiment été résolue. Quant à l’incongruité de l’irruption de la lutte antiraciste et laïcarde au sein de la plus belle et la plus innocente de nos traditions, la voici devenue symbole d’une prise de conscience de décennies de dogmatisme multiculturaliste, de délires « anti- » et de racolages communautaristes aux dépens de notre culture, dont nous avons oublié depuis trop longtemps d’être fiers.

Peut-être serait-il temps après tout de refaire du Père Fouettard le méchant qu’il était à l’époque de nos grands-parents. Visiblement, il existe bel et bien des candidats pour mériter son fouet !

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