Laurette Onkelinx. © Belga

PS bruxellois : où est la relève ?

Malaise à la fédération bruxelloise du Parti socialiste, en chute dans les sondages. Laurette Onkelinx la gouverne d’une main de fer. Elle veut rajeunir ses cadres et ses idées mais, en s’appuyant sur un réseau de proches, elle suscite aussi le malaise.

« Devine qui est là ? » En octobre, Laurette Onkelinx et ses mandataires se lancent dans une campagne de porte-à-porte pour reconnecter la hiérarchie du PS au terrain bruxellois. Le PS de la capitale, c’est une curieuse sociologie de classes, le mariage du bar à chicha et du bar à champagne. Les oiseaux de mauvais augure prédisent une fuite des électeurs belgo-belges vers le FDF, d’une part, et une fatale attraction pour le PTB, d’autre part. Resterait un parti prisonnier de son électorat d’origine étrangère et qui aurait insuffisamment préparé la relève de ses deux totems, Charles Picqué et Philippe Moureaux, Janus à deux têtes incarnant la Région. Beaucoup de camarades wallons s’inquiètent aussi de l’accommodement des valeurs laïques du PS bruxellois aux besoins de son électorat musulman.

Un reproche sans fondement, écrivaient, en février dernier, une brochette d’anciens présidents ou vice-président du Cercle du Libre examen de l’ULB, élus ou militant PS. La ligne du parti, disaient-ils, s’est imposée sans fléchir lors de l’adoption d’une série de « législations laïques » : loi sur l’euthanasie, loi sur le mariage pour les couples de même sexe, droit à l’adoption pour les couples de même sexe. « Accuser de dérives communautaristes le PS vise à signifier en réalité à certains segments de l’opinion en termes à peine voilés qu’il est le parti des musulmans; le parti de l’étranger. » Et de pointer ces partis monochromes, tel le MR, qui se « communautarisent » à force de ne pas représenter la diversité.

La Fédération bruxelloise du PS veut réussir la synthèse de la complexité urbaine sans renier ses valeurs. Sous la houlette de Laurette Onkelinx, elle a remis à l’honneur l’éducation permanente et ses Midis de la Fédération cartonnent avec des thèmes classiques tels que l’histoire du PS et du mouvement ouvrier, la fiscalité, l’enseignement, la mobilité. Les élections communales de 2018 sont encore loin, et plus encore les régionales et législatives de 2019, mais il faut se bouger : le militantisme est en crise. Le dernier Baromètre RTBF-La Libre-Dedicated donne le PS à 20,2 %, à Bruxelles, en chute de 5,4 points par rapport aux législatives de 2014. « Mais les sondages se trompent toujours en ce qui nous concerne car les enquêtes ne touchent qu’une partie de notre électorat », commente un socialiste bruxellois. De fait, dix jours avant les élections de mai 2014, le PS bruxellois était à 19,2 %. A l’arrivée, il obtenait 25, 6 % des voix.

Comment une « petite » fédération comme celle de Bruxelles est devenue tout un symbole… Ce n’est pas à sa force de frappe numérique qu’elle le doit. Son fichier comprend 9 000 noms mais ses militants en ordre de cotisation, dont le nombre n’est pas communiqué, se trouveraient en-dessous de 3 500 (17 000 en 1973). Beaucoup ont filé sur la pointe des pieds, déçus par une gestion peu transparente. Restent un peu, beaucoup, les obligés. Pour mémoire, la fédération de Liège compte 9 000 membres en ordre de cotisation. En novembre 2014, Laurette Onkelinx a été validée à la tête des troupes bruxelloises par 91 % des mille personnes présentes ce jour-là. Sa précédente « élection » s’était faite à main levée. Ce n’est pas non plus l’Action commune, quasi inexistante, qui donne son pouvoir à la « fédé », bien que Laurette Onkelinx tente de retisser des liens avec la mutualité et les syndicats socialistes. En réalité, la fédération bruxelloise du PS tire son pouvoir de la régionalisation. C’est la seule fédération socialiste qui coïncide avec les limites d’une Région. Sous Philippe Moureaux, elle a obtenu de désigner elle-même ses ministres, sans passer par le boulevard de l’Empereur. Aucune fédération wallonne ne peut en dire autant.

Autre raison de son importance stratégique : Bruxelles est un laboratoire du « vivre ensemble ». Elle a donné des ailes à de nombreux militants du monde associatif devenus conseillers communaux, échevins, députés régionaux, ministres régionaux ou de la Communauté française. Comme Elio Di Rupo est représentatif de la Wallonie et de la Belgique, Fadila Laanan (décorée de la Légion d’honneur sous François Hollande), Rachid Madrane ou Ahmed Laaouej (expert incontesté de la fiscalité au Parlement) sont devenus des icônes. Hélas, les résultats socio-économiques du long règne PS (toujours en coalition) ne sont pas brillantissimes : paupérisation, ghettoïsation, baisse dramatique du niveau de l’enseignement. Sur les questions « identitaires », Bruxelles se démarque souvent de ses voisines. Dernier fait marquant : l’exécutif présidé par Rudi Vervoort (PS) n’a pas modifié sa gestion de la fête musulmane du Sacrifice, alors que les Régions flamande et wallonne ont suivi la directive européenne qui interdit l’abattage des moutons sans étourdissement dans des structures temporaires.

Pour réaliser la synthèse, la fédération faisait confiance, jusqu’à présent, à une forme de centralisme démocratique que tempérait l’autonomie des sections et des alliances sur la base d’affinités personnelles plus que de clivages idéologiques. Cette tradition dirigiste a aussi des racines en terre liégeoise. Ministre avant d’être député, Philippe Moureaux a été parachuté à Molenbeek par André Cools. Fille d’un baron coolsien, Laurette Onkelinx a pris la relève. Au début de l’année 2013, alors qu’elle était vice-Premier ministre du gouvernement fédéral, elle a enlevé la présidence de la fédération à Rudi Vervoort (élu au suffrage universel des membres en 2012) et envoyé celui-ci à la ministre-présidence bruxelloise, après que Charles Picqué eut démissionné du gouvernement bruxellois, un an avant les élections. Le communiqué présentant cette révolution de palais précisait que le bras droit d’Onkelinx, Yves Goldstein, allait diriger le cabinet du nouveau ministre-président. Une manière de montrer qui était le boss.

De fait, une réunion se tient le jeudi, au petit-déjeuner, juste avant celle du gouvernement bruxellois, dans une salle que loue le PS dans le Bip (Bruxelles Info Place), au 2-4 de la rue Royale, là où se réunit le gouvernement. Sont présents Laurette Onkelinx, les ministres bruxellois et leurs chefs de cabinet. Tous les dossiers bruxellois sont passés en revue avant la réunion du « vrai » gouvernement…

Personne n’est de taille à disputer le lead à Laurette superstar. Autrefois, les deux « grands hommes » de la Région, Philippe Moureaux et Charles Picqué, s’équilibraient. Mais Charles Picqué n’a pas préparé sa succession, et Moureaux a remis les clés de l’appareil à Onkelinx, qui a le bon goût de consulter encore les deux tribuns (comme pour confectionner les listes de 2014). Le bureau politique se réunit de temps en temps, sans date fixe, au moins une fois par mois, parfois plus, en fonction de l’actualité. Jadis, c’était réglé comme du papier à musique : deux fois par mois, à date fixe. « Laurette dirige à la manière liégeoise, soulignent ses détracteurs, avec un mélange d’affectivité et de verticalité. » La sanction d’une incartade est connue : pas de place utile sur les listes électorales, pas de mandat dans un OIP (organisme d’intérêt public), le trou noir. Personne ne bronche.

Ce qui mine davantage son autorité auprès des militants, c’est la préférence trop visible qu’elle accorde aux siens, à son « clan ». Ce favoritisme heurte le sens de l’égalité inscrit dans les gènes de la gauche. On est loin de « la récompense du mérite et de la vertu » propre à l’idéal républicain. Julien Uyttendaele, le fils de son mari, l’avocat et constitutionnaliste Marc Uyttendaele, a été mis sur orbite en deux temps-trois mouvements. Troisième suppléant aux régionales de 2014, il a obtenu, à 24 ans, le siège de Fadila Laanan, promise à un avenir ministériel en raison de sa belle popularité. A Molenbeek, Philippe Moureaux et la présidente de la section, Pauline Piquard, ont organisé à main levée l’ « accueil » (en réalité, sa désignation comme future tête de liste aux communales) de la fille du premier, Catherine.

Dans les statuts du PS, rien n’est prévu contre les conflits d’intérêts. Le sujet est tabou et combattu avec des poncifs, comme celui du « fils de médecin qui devient médecin parce qu’il a toujours baigné dedans ». François Mitterrand disait : « Nommer est le plus manifeste et le plus futile des pouvoirs, celui qui fascine le plus, qui attire le plus de convoitises, qui occupe le plus les conversations et mobilise le plus les esprits de ceux qui sont associés aux affaires publiques ». Alors, parlons-en…

Le jeune Uyttendaele, 24 ans, juriste de son état, est devenu député au titre de jeune et d’habitant d’une commune, Woluwé-Saint-Lambert, qui recèle un potentiel électoral inexploité. Pour Catherine Moureaux, 37 ans, médecin, on a demandé successivement à deux élues de quitter leur poste (Fatiha Saidi, aujourd’hui échevine à Evere, Olivia P’tito, aujourd’hui directrice de Bruxelles Formation) afin de lui permettre, par le jeu des suppléances, de faire ses premières armes au Parlement bruxellois. En 2014, elle a été élue directement, et avec un beau score : 5083 voix (lire son interview page…). Mathieu Vervoort, fils de Rudi, était troisième suppléant à la Chambre mais c’était sans espoir, sauf raz-de-marée socialiste.

Ces p’tits jeunes bien nés profitent de la politique de rajeunissement grâce à laquelle « la fédération de Bruxelles est la plus jeune et la plus dynamique du pays ». Sous l’impulsion de Yonnec Polet, 44 ans, conseiller communal à Berchem-Sainte-Agathe et secrétaire fédéral, les Jeunes socialistes ont servi d’incubateur à la vague montante : Nawal Ben Hamou (28 ans, la révélation, députée fédérale avec 6 880 voix de préférence), Hasan Koyuncu (34 ans, député régional), Julien Uyttendaele déjà cité, Martin Casier (28 ans, 26e sur la liste régionale, vice-président du CA de l’ULB)… « Laurette veut des jeunes qui ne fassent pas de la figuration », précise-t-on. Au moment de la distribution des postes, les jeunes n’ont pas été oubliés : Emilie Eloy (32 ans, 14e à la Chambre, attachée parlementaire), Vincent Cordier (30 ans, porte-parole de la fédération, vice-président de la Stib), Ridouane Chahid (38 ans, devenu échevin à Evere aux forceps : quatre personnes ont dû démissionner pour le faire avancer).

Chahid est aussi l’illustration d’une certaine dérive « dynastique » au sein du PS car il est le fils de Mohammedi Chahid, secrétaire spécial de Philippe Moureaux. Dans les années 1990, ce Marocain de condition simple a mis ses réseaux « amicalistes », pro-Hassan II, au service du PS et de la sécurité. Ridouane (ex-Stib) a fait son chemin sous l’aile de Philippe Moureaux, puis de Laurette Onkelinx. Mais l’ancien bourgmestre de Molenbeek a préféré adouber Jamal Ikazban comme numéro 1 des Maghrébins sur sa commune, d’où le départ fâché de Ridouane pour Evere, où une partie des « réseaux Chahid » se sont mis au service de la campagne électorale de Rudi Vervoort.

La récente répartition des places dans les parastataux ou organismes d’intérêt public bruxellois profite à la même tendance en ce qui concerne le « lot PS » : Stib (Morgane Lobjois, nouvelle administratrice, également au Port de Bruxelles et cheffe de cabinet d’Yvan Mayeur ), Vivaqua (Yvan Mayeur), Agence bruxelloise du tourisme (présidée par Laurette Onkelinx elle-même), Société régionale d’investissement de Bruxelles (Laurence Bovy), Agence de Développement territorial et de Néo (Yves Goldstein), Port de Bruxelles (Mohamed Jabour, Saint-Josse), Agence régionale de stationnement (le Schaerbeekois Jean-Pierre Van Gorp). Le nouveau président de la Société d’acquisition foncière, David Szafran, est plutôt un technicien.

La présidente de la fédération s’appuie aussi sur des personnes de sa génération, à commencer par son mari, Marc Uyttendaele. Celui-ci joue sa propre partition mais, comme avocat, il connaît à fond la popote du parti et le fonctionnement de l’appareil de l’Etat. Il a ferraillé pour défendre la réputation du premier mari de sa femme, le peu discret Abbès Guenned, qui n’a jamais cessé de travailler pour Laurette Onkelinx quand elle était ministre. Désormais chef de cabinet-adjoint de Rudi Vervoort, il a été nommé commissaire du gouvernement au conseil d’administration de la Stib. « On n’est jamais lucide quand il s’agit de ses proches », observe un membre du parti.

Yvan Mayeur, bourgmestre de Bruxelles, fait aussi partie de la « famille ». Il peut aligner les provocations verbales, contre ses propres policiers, contre le G9 qui régenterait le PS d’Elio Di Rupo, contre la N-VA : jamais Laurette ne le recadre. On l’oublie : à côté de Philippe Moureaux et de Charles Picqué, il y avait un troisième larron, Freddy Thielemans, tout pénétré de son rôle de chef de la police et de bourgmestre de la capitale, mais convivial, là où Mayeur se montre cassant. « L’arrogance bruxelloise refait surface, ce n’est pas bon pour le PS », s’inquiète un militant. Pas très populaire (à peine 2 662 voix de préférence aux dernières communales), Mayeur apparait comme un personnage « structurant » du paysage bruxellois, servi par la cohésion de son équipe mais guetté par le désordre de son piétonnier. Il dispose d’un ancrage territorial (175 000 habitants) et d’une exposition médiatique quasi permanente, ce qui fait toujours défaut à Onkelinx, deux fois en échec électoral à Schaerbeek et qui est à la recherche d’un nouveau logement dans la commune.

Quand elle était ministre, elle a essayé d’attirer Emir Kir à Schaerbeek, pour profiter de son ascendant sur la communauté turque, un capital de 18 000 voix, mais l’homme n’a pas accepté, préférant sans doute être premier à Saint-Josse que second à Rome. Son « putsch » contre Jean Demannez, avec qui il devait partager le mandat de bourgmestre, a tétanisé la fédération, dont Rudi Vervoort était alors le patron, révélant sa détermination à occuper les premiers rôles. Avec Kir, Laurette compose par réalisme. Elle l’a aidé à passer le cap de la reconnaissance du génocide arménien sans qu’il doive s’en justifier personnellement, une opération délicate que le PS bruxellois a menée avec doigté, raffermissant une ligne devenue floue. Bref, une sortie par le haut. Ce qui n’empêche pas le bourgmestre de Saint-Josse de soutenir, devant ses proches, qu’il faut faire des « campagnes communautaires ».

Durant cet été, le bruit a circulé que Rachid Madrane, son homologue marocain, allait déménager incessamment à Schaerbeek, où sa place comme bourgmestre serait pourtant incertaine. A Etterbeek, on parlait de Jonathan Couvreur, président de la section, comme de son remplaçant en tant que future tête de liste. « Ma vie est à Etterbeek », redit au Vif/L’Express le ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Aide à la jeunesse et Maisons de justice). Pourtant, il manque au PS un bourgmestre d’origine maghrébine. Cela correspondrait à l’importance de la population d’origine marocaine à Bruxelles. Mais les Belgo-Marocains sont plus dispersés et individualistes que leurs homologues turcs, a fortiori quand on tient compte du clivage entre les Rifains et les non-Rifains. Pas facile de se mettre d’accord sur un champion…

Ahmed Laaouej, très bien implanté à Koekelberg, aurait pu prétendre à Molenbeek, commune voisine au biotope fort similaire à la sienne, mais cela n’entrait pas dans les plans des Moureaux, qui l’ont pris de vitesse. Avec son profil d’expert habitué des médias et ses 13 000 voix de préférence aux dernières élections législatives, le vice-président de la fédération bruxelloise (son alter-ego est la discrète Caroline Désir, d’Ixelles) est en réserve de la République, comme d’autres quadras actifs dans la fédération, mais qui ne font pas partie des proches de Laurette Onkelinx : Fadila Laanan, Karin Lalieux, Philippe Close…

Abondance de biens ne nuit pas. Il y a pléthore d’héritiers putatifs, à Bruxelles, mais l’avenir de la fédération n’est pas encore très clair car celui de Laurette Onkelinx elle-même ne l’est pas. Visera-t-elle la ministre-présidence qui correspondrait mieux à son tropisme exécutif, au risque de maltraiter une fois de plus Rudi Vervoort ? Se représentera-t-elle une troisième fois à Schaerbeek ? Va-t-elle fédérer autour d’elle ? Beaucoup de socialistes bruxellois l’admettent en privé : ils ne sont pas en ordre de bataille pour les élections. Reste trois ans pour s’y préparer.

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