Carte blanche

Pourquoi notre société doit faire une place aux travailleurs du sexe

Si nous voulons améliorer le bien-être et la sécurité des travailleurs du sexe, la seule solution efficace et durable est de leur accorder un statut à part entière.

Le bourgmestre bruxellois a annoncé qu’il voulait éradiquer la prostitution et qu’il prendrait des mesures de répression. L’alternative du CD&V pour Bruxelles est de rassembler tous les travailleurs du sexe dans un mégabordel et de mener une politique de tolérance. Les deux solutions nous semblent équivoques et peu réfléchies. Pour nous, la proposition de Philippe Close (PS) est un cas de politique de l’autruche : en bannissant la prostitution d’une commune, on déplace tout simplement le phénomène vers les communes proches. L’alternative de la conseillère communale Bianca Debaets (CD&V) n’est pas non plus la solution. Si ce genre de « politique de tolérance » diminue sensiblement les nuisances dans ces quartiers, les travailleurs du sexe continuent à travailler dans l’illégalité. Ils n’accumulent pas d’acquis sociaux et ne paient pas d’impôts. En outre, les deux propositions laissent le champ libre aux trafiquants d’êtres humains.

D’abord immoral et malsain, le regard belge sur la prostitution est devenu protecteur pour sauver les prostituées de leur situation de victime. Aujourd’hui, l’autonomie individuelle est le bien-être sont au centre des préoccupations, ce qui conduit à considérer le travail du sexe comme une profession. Et quand on lit dans le quotidien De Standaard que la sexualité fait partie de nos besoins psychologiques, il est clair qu’il faut mener ce débat avec un seul objectif : une loi qui brise le tabou et donne une place aux travailleurs du sexe dans notre société. Si nous souhaitons améliorer le bien-être et la sécurité des travailleurs du sexe, la seule solution efficace et durable est de leur accorder un statut à part entière.

Entre-temps, il y a des exemples étrangers qui ont prouvé leur efficacité. Le modèle suédois qui criminalise le client interdit non seulement la prostitution, mais aussi l’acquisition de services sexuels. Ce n’est pas une bonne solution. À l’ère d’internet et des réseaux sociaux, la seule conséquence c’est que la prostitution se déplace vers la clandestinité. Cela crée des possibilités d’abus, d’exploitation et de trafic d’êtres humains. L’Allemagne et les Pays-Bas ont légalisé la prostitution et prouvé qu’il y a moyen de s’y prendre mieux et autrement.

La législation de la prostitution n’est pas nécessairement synonyme d’abus, de nuisances et de trafic d’êtres humains. La très libérale loi néerlandaise est certainement un bon point de départ pour un débat ouvert et audacieux qui doit conduire à un travail législatif digne de ce nom. La politique de tolérance belge était une première étape, mais ce n’est pas une solution durable. Et il n’y a pas que la prostitution, car elle « tolère » aussi toutes sortes de formes de proxénétisme. Il est pratiquement impossible d’intervenir systématiquement en cas de transgression de règles non écrites. Sous une politique de tolérance, la prostitution continue à se jouer dans une zone d’ombre qui laisse libre cours au trafic d’êtres d’humains.

Comme la profession n’est pas reconnue, les prostituées bénéficient de peu ou pas de protection sociale et travaillent souvent en noir (évasion fiscale). Pour l’exercice de leur profession, elles dépendent d’une certaine infrastructure (bars, vitrines) et, quel que soit leur statut officiel, elles travaillent dans une relation employé-employeur avec les exploitants, même si officiellement c’est comme serveuse. Il est faux d’affirmer que toutes les prostituées sont victimes de trafic d’êtres humains. Certaines choisissent volontairement cette « profession ». C’est pourquoi nous plaidons en faveur de la légalisation du métier de « travailleur du sexe » et d’un statut « travailleur du sexe ». Celui-ci permet de mieux lutter contre le trafic d’êtres humains – ce qui n’est pas dénué d’importance à une époque de flux de réfugiés – , de sortir la prostitution du milieu criminel, d’accorder une meilleure protection aux travailleurs du secteur et de lutter contre le proxénétisme.

Pourquoi notre société doit faire une place aux travailleurs du sexe

Le trafic d’êtres humains foisonne en cette époque de flux de réfugiés. Les femmes et les mineurs non accompagnés sont particulièrement vulnérables et constituent des proies faciles. C’est pourquoi nous souhaitons mener le débat dès à présent et mettre notre proposition sur la table politique. Il est grand temps d’instaurer un statut légal pour « le travailleur du sexe » qui comporte la reconnaissance de la profession, que ce soit comme indépendant ou comme employé. Un statut social aux conditions de travail adaptées et suffisamment de protection sociale qui permet de s’en prendre au travail clandestin et illégal. S’il paie des cotisations sociales, le travailleur du sexe évitera de tomber dans la marginalité ou de dépendre du CPAS. Un contrat de travail adapté permet de fixer les indemnités, les horaires, les garanties de sécurité, les exigences minimums en matière d’infrastructure… En outre, la reconnaissance d’exploitants de maisons de prostituées est nécessaire ainsi que la possibilité de faire de la publicité pour les services de sorte que toutes les instances travaillent légalement et puissent être contrôlées. C’est la seule façon de sortir la prostitution de l’illégalité, d’éradiquer le trafic d’êtres humains, et d’augmenter le bien-être des travailleurs du sexe.

Il va de soi qu’outre un cadre légal il faut oeuvrer à l’éradication de toute forme d’abus dans ce secteur. La police et les parquets doivent se montrer proactifs à l’égard de la prostitution forcée et du trafic d’êtres humains.

Jacinta De Roeck, ancienne sénatrice et ancienne directrice du HVV

Eva De Bleeker, présidente Open Vld Femmes

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