François Brabant

Polémique : Belgique « artificielle » contre France « naturelle », l’aveuglement des députés hexagonaux

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Plusieurs députés français l’affirment : la Flandre mène une politique linguistique « fasciste » et la Belgique est un pays « artificiel ». L’histoire de la paille et de la poutre ?

En ces temps troublés, décidément, tout arrive. Tenez, deux parlementaires français ont récemment remis un rapport sur l’état de la Belgique. La politique linguistique de la Flandre, les succès électoraux de la N-VA, l’avenir de Bruxelles, entre autres, y sont passés à la moulinette hexagonale. Lors d’un débat à l’Assemblée nationale, le député PS Jean-Pierre Kucheida, co-rapporteur, a précisé le propos, dénonçant les « comportements inacceptables, proches de l’exaction » que les francophones endurent en Flandre.

Partout, l’intolérance progresse. La Flandre n’a rien d’un Eden et Bart De Wever n’est pas un ange. C’est un fait. Mais voir la République frââânçaise (levez le menton) s’ériger en apôtre de la diversité linguistique et en avocate des minorités menacées, alors là… Pardonnez-nous, chers voisins : on dirait l’hôpital qui se moque de la charité, l’histoire de la paille et de la poutre. Car il y a en Europe un Etat qui, des décennies durant, a combattu avec un systématisme féroce, opiniâtre toutes les populations coupables de parler de travers, c’est-à-dire autrement que dans un français académique. Cet Etat, c’est la France.

Qu’importe. Interviewé dans la dernière édition du Vif/L’Express, le député UMP Jacques Myard en remet une couche. « Lorsqu’on observe une telle remise en cause des possibilités de parler sa langue, je ne peux que dénoncer des méthodes fascistes. » Fasciste, le mot est jeté. Voici Bart De Wever, Kris Peeters et Freya Van den Bossche grimés sous des traits mussoliniens. Jacques Myard ne s’arrête pas en si bon chemin. « En France, ose-t-il, tout le monde crierait au scandale face à ce qui apparaît comme un quasi-processus d’épuration, sinon ethnique, au moins culturel. »

A Jacques Myard, on rappellera le refus obstiné de la SNCF d’instaurer un bilinguisme français-basque dans les gares de Bayonne et d’Hendaye. Un exemple parmi cent autres. On lui rappellera aussi que l’une des grandes figures de la Révolution française, l’abbé Grégoire, fut l’auteur d’un Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir le patois, et d’universaliser l’usage de la langue française. En 1794, ce prêtre qui a pris fait et cause pour les révolutionnaires calcule que, sur 28 millions de Français, « au moins 6 millions ignorent la langue nationale (…) et qu’un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ».

Qu’importe, là encore. Dans Le Vif/L’Express, Christian Bataille, autre député français, socialiste-là, a prophétisé la disparition prochaine de l’Etat belge, « largement artificiel ». Ah, le mot qui tue. Artificielle, la Belgique ? Oui, sans doute. Comme la quasi-totalité des Etats modernes, résultats de redécoupages successifs, d’annexions et de réunifications, parfois dans le sang. A ce sujet, que dire de la France ? La République a englouti Flamands, Corses, Alsaciens, Bretons et Savoyards. Elle comprend une ribambelle de territoires jadis colonisés, pudiquement appelés « d’outre-mer ». Rien d’artificiel aux yeux de Christian Bataille et de ses collègues, on l’imagine, si les habitants de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion sont aujourd’hui Français. Tout cela n’est que naturel.

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