Olivier Chastel et Benoît Lutgen, présidents du MR et du CDH, présentent, mardi 25 juillet, leur accord pour " une Wallonie forte ". Complices : " Nous avons surmonté nos différends passés. " © DANNY GYS/REPORTERS

MR – CDH : la rupture, vraiment ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’orange bleue wallonne met fin à trente ans de domination socialiste. Mais elle rompt avec la solidarité francophone. Et risque de ne pas surmonter la défiance citoyenne.

Fumée blanche en Wallonie, après plus d’un mois d’une crise francophone aux contours surréalistes. Le MR et le CDH ont annoncé, mardi 25 juillet, la création d’un nouveau gouvernement pour un  » nouvel espoir « . Cette alliance s’apparente pourtant davantage à un mariage de raison qu’à un coup de foudre passionnel. Parce que le contexte est périlleux, tant en raison des scandales à répétition que des perspectives budgétaires difficiles au sud du pays. Et parce que le temps qu’il reste pour réformer est court : deux petites années à peine, électorales qui plus est.

 » Ce qui se passe n’était pas prévu, ramasse un député libéral. La situation précédente était plus facile pour nous, avec un gouvernement fédéral qui tourne et une Wallonie socialiste bloquée. Mais nous ne pouvions pas ne pas prendre nos responsabilités.  »  » De nombreux libéraux jugent sévèrement l’attitude de Benoît Lutgen, appuie même un autre ténor du MR. On n’apprécie guère la façon dont il a tiré dans le dos de son partenaire.  » Difficile de dire que ce duo, ne disposant que d’une majorité étriquée, un siège au parlement, part sous les acclamations de ses supporters.

Pour autant, les présidents Benoît Lutgen et Olivier Chastel ont scellé un pacte qui les lie pour deux ans, pour construire une  » Wallonie plus forte  » – voilà pour le slogan.  » Nous pouvons tirer profit des deux années qu’il reste d’ici à la fin de la législature, affirme-t-on au sein des deux partis. Cette transition peut être porteuse.  » Et surtout :  » Dans le contexte actuel, la population ne comprendrait de toute façon pas que l’on continue avec le PS…  » Autrement dit, c’est un mariage MR-CDH par défaut. Et une révolution qui doit encore être confirmée… y compris en Communauté française et en Région bruxelloise.

La fin de trente ans de socialisme

En soi, l’alliance wallonne MR-CDH constitue une rupture. La dernière  » orange bleue  » ayant dirigé la Région, menée à l’époque par Melchior Wathelet père (PSC, aujourd’hui CDH), a en effet raccroché ses crampons en février 1988.  » J’avais 2 ans à l’époque. Historique ! « , salue le délégué général du MR, Georges-Louis Bouchez. Depuis, le PS a dominé l’exécutif sudiste sans interruption, soit un bail de près de trente ans, en occupant toujours la ministre-présidence, de Guy Coëme à Paul Magnette en passant notamment par Guy Spitaels, Elio Di Rupo ou Jean-Claude Van Cauwenberghe. Les socialistes ont tissé leur toile dans l’administration et les organismes parastataux, imprimant une marque durable dans la gestion régionale. C’est dire si les Chastel, Crucke, Jeholet, Lutgen et Greoli auront bien de la peine à renverser le cours des choses d’ici aux élections de mai 2019. L’ambition est mesurée.  » Tout n’est pas à jeter dans ce que les socialistes ont initié, tempère d’ailleurs un libéral. Le plan Marshall de Jean-Claude Marcourt, nous allons certainement le continuer.  »

La déclaration de politique régionale rédigée par les présidents Chastel et Lutgen veut ancrer une image de rupture sur deux points qui traversent toutes les mesures : la bonne gouvernance et l’emploi. Il est question d’une rationalisation drastique des outils économiques, de la suppression des provinces, d’une circonscription électorale régionale pour dix parlementaires, d’une révision des aides aux entreprises…  » Globalement, le monde politique gagnera moins « , déclare Benoît Lutgen.  » C’est un projet pour regrouper, raboter, fusionner et simplifier la pléthore d’outils et de structures parapubliques, pour mettre fin à la malgouvernance, à la mainmise oppressante de l’Etat et à l’assistanat, pour créer des emplois, pour faire décoller l’esprit d’entreprise et pour libérer les énergies « , s’enflamme Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol, service d’études du MR.  » Nous voulons engranger des avancées jusqu’ici impossibles à cause du PS « , martèle-t-on au CDH.  » Même si on ne pourra pas tout révolutionner en deux ans « , signale un spécialiste MR des pouvoirs locaux. Il s’agit aussi de prolonger le slogan porté par le Premier ministre, Charles Michel, au fédéral :  » Jobs, jobs, jobs « . Il est encore question de mettre en oeuvre les recommandations de la commission d’enquête parlementaire Publifin, adoptées le 12 juillet à l’unanimité (moins l’abstention de l’ex-ministre PS Paul Furlan).  » Les soixante-deux points sur lesquels nous nous sommes entendus avec Ecolo en matière de gouvernance seront bien sûr repris « , a encore précisé Olivier Chastel. La révolution ne sera toutefois pas complète : le MR et le CDH sont moins radicaux qu’Ecolo ou DéFI sur le décumul intégral entre fonction exécutive et mandat local (même s’ils se disent  » ouverts  » sur la question) ou de prise en considération des rémunérations privées dans le calcul global des mandats.

Jean-Luc Crucke et Pierre-Yves Jeholet : les régionalistes wallons du MR sont à la fête, leur cause triomphe.
Jean-Luc Crucke et Pierre-Yves Jeholet : les régionalistes wallons du MR sont à la fête, leur cause triomphe.© BENOIT DOPPAGNE/BELGAIMAGE

Cette rupture pourrait en outre n’être qu’une transition.  » Le temps passe vite en politique, glisse un MR. Personnellement, je reste partisan d’une alliance laïque avec les socialistes. Ce pourrait être le cas en 2019, si le PS a remis de l’ordre en interne et que la tendance sociale-démocrate de Jean-Claude Marcourt l’a emporté. Lors de la prochaine législature, des mesures douloureuses devront être prises pour assurer l’avenir de la Wallonie et seule une alliance PS-MR permettra d’obtenir le consensus social nécessaire pour y parvenir.  » De son côté, la FGTB espère que la ligne très progressiste de Paul Magnette l’emporte et a déjà appelé à la mise en place d’une coalition PS-PTB-Ecolo, si elle était mathématiquement possible. En dépit de l’accord MR-CDH, l’avenir politique de la Wallonie reste écrit en pointillés.

La confirmation de la primauté régionale

Une autre rupture est institutionnelle. Et inachevée. L’orange bleue wallonne consacre la primauté du fait régional sur l’idéal communautaire. Pour des raisons politiques et conjoncturelles, d’abord : MR et CDH ont avancé rapidement en Wallonie après avoir constaté que DéFi rechignait à saborder la majorité avec le PS et le CDH en Région bruxelloise. Le parti d’Olivier Maingain place la barre haut en matière de gouvernance et a, depuis, rejoint Ecolo et Groen dans une attitude commune. Il ne supporte pas non plus la décision  » très wallonne  » de Benoît Lutgen et son manque de considération à l’égard d’un exécutif bruxellois qui fonctionne bien. Le tout sur fond d’une inimitié notable entre MR et DéFI, depuis la mort de leur fédération commune, en 2011.

MR et CDH espèrent désormais que l’avènement de l’orange bleue wallonne servira de levier pour débloquer la situation en Région bruxelloise et en Fédération Wallonie-Bruxelles.  » La porte reste ouverte partout « , assure Lutgen.  » Il serait incompréhensible que la CDH Céline Fremault ne quitte pas son poste de ministre à Bruxelles, lâche un libéral. Cela forcera les choses. Le PS et DéFI ne pourront pas remplacer le CDH par Ecolo car les écologistes refusent de monter sans Groen et les partis flamands de la majorité n’en veulent pas. Dans ce cas…  » Traduction : la capitale pourrait être plongée dans une crise forçant DéFI à accepter une majorité dirigée par le MR.  » Paradoxalement, l’entêtement du francophile Olivier Maingain met aussi à mal cette Fédération Wallonie-Bruxelles qui lui est chère « , ironise un autre libéral. Couvrant le territoire des deux Régions, cette dernière incarne le lien de solidarité francophone. Avec des compétences cruciales, comme l’enseignement, en pleine réforme, et la culture.  » Le PS va-t-il rester au pouvoir avec le CDH avec ses quatre ministres qui ne servent à rien ? prolonge-t-on au MR. Ou alors, que se passera-t-il ? En cas de maintien de la majorité actuelle à Bruxelles, le gouvernement de la Fédération pourrait être l’émanation des deux exécutifs régionaux, mais vous imaginez le tableau avec, ensemble, le MR, le CDH, le PS et DéFI ? Ce serait du suicide.  »

Olivier Maingain (DéFI) détient les clés de la Région bruxelloise et de la FWB. Il fait cause commune en matière de gouvernance avec Zakia Khattabi (Ecolo).
Olivier Maingain (DéFI) détient les clés de la Région bruxelloise et de la FWB. Il fait cause commune en matière de gouvernance avec Zakia Khattabi (Ecolo).© THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

Tout cela est le reflet d’une évolution institutionnelle plus profonde.  » Cette situation asymétrique et surréaliste, à la belge, est du pain bénit pour les régionalistes « , constate un député attaché à la Fédération.  » Franchement, je ne m’attendais pas à ce que l’on avance aussi loin et aussi vite « , confie un régionaliste convaincu. Plusieurs députés libéraux -surtout ceux de tendance  » reyndersienne  » comme Jean-Luc Crucke ou Pierre-Yves Jeholet – plaident depuis longtemps pour une Belgique dominée par les quatre Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles et germanophone). La crise actuelle influencera les évolutions institutionnelles futures.  » Le positionnement différent de Bruxelles et de la Wallonie est désormais clair, souligne un MR. Et l’accord régional prévoit aussi des transferts de compétences à la Communauté germanophone : c’est un signe !  »

Surmonter le fossé avec le citoyen

Une orange bleue en Wallonie ? Le  » kamikaze  » Benoît Lutgen, qui avait tiré la prise le 19 juin dernier, est soulagé :  » Je remercie chaleureusement le MR d’avoir été constructif.  »  » Il était temps, soupire un parlementaire. Nous avions tous intérêt à passer à un autre schéma !  » Tant au MR qu’au CDH, on considère la nouvelle séquence ouverte par la formation du gouvernement wallon comme un signal envoyé à ces citoyens dont la colère ne cesse de gronder depuis le début des affaires, en décembre dernier.  » Ce n’est pas pour rien qu’Olivier Chastel et Benoît Lutgen insistent sans cesse sur une diminution du coût du politique sans précédent « , dit-on.

Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Les accents de centre-droit du projet MR-CDH ne vont-ils pas heurter une Région sociologiquement à gauche et nourrir davantage encore le PTB ? Cette feuille de route coupera-t-elle l’herbe sous le pied de ces mouvements citoyens attentifs en matière de gouvernance et empêchera-t-elle la naissance annoncée de nouveaux mouvements politiques à la sauce française ? Le casting ministériel  » classique « , bien que réduit d’un poste par rapport au gouvernement précédent, parviendra-t-il à convaincre ? Autant de questions qui restent sans réponses.  » La politique, c’est fédérer les énergies, insiste Benoît Lutgen. L’Etat n’est pas là pour tout régler, nous comptons sur tous ceux qui s’engagent.  »  » Nous sommes absolument déterminés pour les dix-huit mois à venir « , ponctue Olivier Chastel.  » Nous nous mettons en marche, confirme un député. Il faut espérer que le temps apaise ces colères et que notre action mette la Wallonie à l’abri du chaos.  »

MR et CDH affichent leur volonté de changement. Mais ils se savent au bord du précipice.

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