© Image Globe

Mathilde, l’influente

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Plus que son épouse, elle est le « coach privé » du nouveau Roi. Ambitieuse, dotée de convictions profondes, elle entend jouer un rôle au niveau social. Pour « influencer le réel »… Jusqu’aux frontières du politiquement incorrect ?

La princesse Mathilde sera une reine des Belges parfaite. Le constat est quasiment unanime, des médias au monde politique en passant par les cercles sociaux qu’elle fréquente assidûment : c’est comme si l’épouse de Philippe était prédestinée à ce rôle depuis sa plus tendre enfance. Consciencieuse, intelligente, respectueuse, charismatique, populaire, ambitieuse… : les qualificatifs ne manquent pas pour souligner à quel point elle remplit toutes les qualités.

Aux côtés d’un Philippe attendu au tournant en Flandre, souvent mal à l’aise, moins naturellement doué, imprévisible parfois, cette logopède et psychologue de formation est en outre appelée à être son coach personnel en plus d’être la mère de ses quatre enfants. Elle devra le rassurer, l’accompagner, le tempérer dans ses élans tout en représentant avec lui le pays – un rôle que le futur roi sera immanquablement appelé à jouer davantage tandis que sa fonction politique pourrait être revue à la baisse. « C’est l’atout numéro un de Philippe », entend-on de toutes parts.

Au-delà de ce panégyrique, des questions : Mathilde n’est-elle pas… trop parfaite ? Ne risque-t-elle pas de faire de l’ombre au roi Philippe ? Ne sera-t-elle pas tentée d’investir son rôle jusqu’à la frontière du politiquement incorrect ? Son profil n’est-il pas plus proche de celui de la reine Fabiola que de sa belle-mère Paola, avec tous les risques interventionnistes que cela induit ?

Devenir reine ? Une ambition

Lorsqu’on lui présente la fiancée de Philippe, le 13 septembre 1999, la Belgique est immédiatement conquise par cette jeune femme au charme évident derrière ses allures timides. Originaire de Villers-la-Bonne-Eau, près de Bastogne, elle semble immédiatement à l’aise face au public tandis qu’elle comble un manque criant pour la famille royale : Philippe, l’héritier, ne pouvait plus rester célibataire à près de 40 ans.

« J’ai connu très vite Mathilde parce que j’étais un copain de son père Patrick à travers le MR, au sein duquel il était actif, se souvient Armand De Decker, ministre d’Etat. Dès que l’on a appris qu’elle était la petite amie du prince, il ne m’a dit qu’une chose : « Parmi ses soeurs, je peux t’assurer que c’est elle qui était faite pour ça. » Depuis, j’ai souvent eu l’occasion de parler avec elle, j’ai fait plusieurs missions à l’étranger en sa compagnie et je peux vous dire qu’il avait raison. »

« Elle est parfaite pour devenir reine et elle l’a été depuis le premier moment, confirme Brigitte Balfoort, journaliste royal watcher chez VTM et auteur de la première biographie de la future reine publiée l’an dernier, à l’occasion de ses 40 ans (Prinses Mathilde, de eerste veertig jaren, ed. Houtekiet). Depuis la crèche, elle n’a commis aucun faux-pas. C’est une femme très ambitieuse, qui s’est préparée pour une mission supérieure. J’ai parlé avec des gens qui la connaissaient quand elle était petite, à 12-13 ans, et elle était déjà comme ça. Son parcours est sans faute, pratiquement inhumain, bionique. Elle est à ce point consciente de son rôle qu’elle contrôle tout. Au point que je me demande si elle ne risque pas un jour de faire un burn out. Le seul élément négatif que l’on pourrait épingler dans son CV, ce sont les tensions internes à sa famille. »

Certains, relayés par le journaliste de la RTBF Frédéric Deborsu, ont vu dans ce casting parfait l’un des signes d’un mariage arrangé. « J’ai découvert en rédigeant ce livre qu’elle a en réalité rencontré Philippe lors d’une fête au château de Beloeil, dément Brigitte Balfoort. Ils ont été présentés l’un à l’autre par l’hôte des lieux, le prince Antoine de Ligne. Le château de Beloeil, c’est un peu the place to be pour la noblesse belge. Et même si ce n’était pas arrangé, c’était sans doute le choix idéal pour Philippe. » Nuance…

Les premiers mois au Palais ne sont pourtant pas faciles pour la future reine. L’encadrement est très strict. Elle ne peut par exemple… pas avoir de contact téléphonique direct via son GSM, pas même avec ses parents. Tout devait passer par le Palais. « Après, elle a eu davantage d’expérience pour demander un GSM privé, explique sa biographe. Au début, elle se laissait faire par le Palais. Mais Fabiola, dont elle est très proche, avait expérimenté la même chose et Mathilde a pu prendre progressivement ses distances avec ce protocole. » Aujourd’hui, conclut-elle, « le Palais a mis son empreinte sur Mathilde, mais elle doit encore mettre la sienne sur le Palais ». C’est l’enjeu des prochains mois. Au cours desquels on verra jusqu’où elle est prête à aller.

Plus populaire que son mari

Quatorze ans après son mariage, Mathilde est l’atout glamour de la famille royale. « Mathilde est très populaire comme Fabiola le fut avant elle, moins Paola, constate l’historien Vincent Dujardin, grand spécialiste de la monarchie. Au moment de leurs fiançailles, déjà, il y a eu une véritable Mathildomania. Au point que le Financial Times avait écrit : Mathilde a fait plus pour la monarchie en quinze jours que le Palais en dix ans. C’était évidemment excessif, mais révélateur. Pour l’exercice de la fonction royale, bénéficier de la sympathie populaire, cela compte. » Un récent sondage VTM indiquait que 67 % des Flamands voient d’un bon oeil son arrivée au Palais contre 49 % pour Philippe. Quand on sait l’enjeu que représente l’opinion publique flamande…

Le revers de la médaille ? En termes d’image, Mathilde était devenue… trop présente. Récemment, elle a dû faire un pas de côté en ne participant plus aux côtés de son mari à toutes les missions économiques à l’étranger. « Donner trop de visibilité à Mathilde, c’est faire de l’ombre à Philippe, souligne Marc Lits, directeur de l’Observatoire du récit médiatique de l’UCL. Le Palais a donc dû rectifier le tir. Lors des visites officielles à l’étranger, deux fois plus de journalistes faisaient le déplacement quand Mathilde était du voyage. Les télés et les magazines people s’intéressaient davantage aux rencontres de la princesse et à ses tenues vestimentaires qu’aux rendez-vous du prince, chef de la mission économique. Les rôles ont alors été redéfinis. C’est Philippe qu’il fallait mettre en avant. »

Le « coach privé » de Philippe

Le 21 juillet, Mathilde deviendra reine. Un rêve pour elle, un défi pour lui. Et un danger pour l’équilibre royal ? « Il y a évidemment le risque que se crée un déséquilibre, dit ce ministre d’Etat, entre une épouse qui étudie facilement et Philippe qui lit beaucoup de choses mais apprend moins vite, capte moins les subtilités des dossiers. Il veut bien faire, il est courageux, mais il est tout à fait traumatisé par sa jeunesse. Depuis qu’il est gosse, il ne peut rien dire parce que tout peut se retourner contre lui. »

« Philippe étant terriblement peu sûr de lui, Mathilde est devenue son coach, souligne sa biographe Brigitte Balfoort. Au début, cela devait être difficile à accepter pour lui. Mais elle répète sans cesse : nous sommes une équipe, nous faisons tout ensemble. On voit qu’elle fait de son mieux pour ne pas faire trop d’ombre. C’est la raison pour laquelle elle ne pourrait pas être expansive comme Maxima aux Pays-Bas. »

« Elle va vraiment épauler Philippe, affirme, convaincue, Laurette Onkelinx, vice-Première socialiste du gouvernement fédéral. C’est une femme intelligente, forte, déterminée. » Ne risque-t-elle pas de lui porter ombrage ? « Non, parce qu’ils auront des rôles tellement différents. Ce n’est pas elle qui va rencontrer le Premier ministre, les ministres-présidents, les présidents de parti… Je suis persuadée qu’ils seront complémentaires. Et elle est suffisamment intelligente pour être diplomate. Je suis par ailleurs de celles et ceux qui pensent que la monarchie ne doit pas avoir peur d’évoluer pour se maintenir. Mathilde pourra jouer un rôle en ce sens. »

Une volonté d’influence sociale

En tant que reine, Mathilde n’aura évidemment pas de fonction politique réelle. Mais un pouvoir d’influence. Intime, auprès de son mari. Et dans les domaines qui lui tiennent à coeur depuis son arrivée au Palais. « Depuis 2002, j’ai fait de nombreuses rencontres de travail avec elle dans le domaine de la santé, de la justice sociale, et je peux vous assurer que ce sont des secteurs qu’elle suit de très près, dont elle maîtrise tous les rouages, souligne Laurette Onkelinx, dont les compétences sont celles que privilégie Mathilde. Dans ces milieux, elle connaît presque tout le monde. J’ai été deux fois avec elle à l’OMS, elle a essayé d’user de son pouvoir d’influence pour que la santé soit mieux prise en compte dans les Objectifs du millénaire de l’ONU. Il en va de même pour la mise en oeuvre des plans cancer et sida préparés par le gouvernement fédéral. C’est quelqu’un qui a besoin de travailler, d’influencer le réel ! »

Là encore, une conviction ancrée depuis son plus jeune âge. « Jusqu’à sa rencontre avec Philippe, elle était volontaire lors des voyages à Lourdes pour les malades organisés par l’Ordre de Malte, rappelle Brigitte Balfoort. Pour une femme de 25 ans, il y a sans doute des choses plus drôles à faire dans la vie. Princesse, elle a pris les sujets sociaux à bras-le-corps. Et si on la laissait faire, elle voudrait certainement en faire davantage. Mais dès que l’on se préoccupe de thèmes sociaux, la politique n’est jamais loin. Elle doit veiller en permanence à ne pas franchir ces limites. Heureusement, elle a une très bonne conseillère, Machteld Fostier. Cette diplomate de très haut niveau a vraiment les deux pieds sur terre, elle sait ce qui se vit dans la société… »

« Dans son rôle de représentation, Mathilde ne prend pas le moindre risque, souligne Marc Lits. Elle ne s’aventure jamais sur le terrain politique et n’aborde pas des sujets trop délicats, qui pourraient susciter une controverse. Son discours, lors de ses déplacements pour l’Unicef, Onusida ou d’autres organismes, est de type compassionnel. Elle exprime une grande empathie à l’égard des plus faibles et autres personnes qu’elle rencontre. Elle reste dans le registre de l’émotion. Même face à la presse, elle s’en tient à des propos convenus sur la beauté du pays, son amour pour les enfants… Cela ne peut prêter à aucune ambiguïté. »

Pourra-t-elle poursuivre en tant que reine ? « Bien sûr, prolonge Laurette Onkelinx. La reine Paola s’impliquait elle aussi, elle assistait à la présentation de notre plan cancer. La princesse Mathilde continuera de plus belle. Ce sont des facilitateurs qui aident à mettre les gens ensemble, à ouvrir des portes au niveau européen et international. »

Une nouvelle Fabiola ?

Mathilde sera une reine moderne. Mais avec des caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler la reine Fabiola, au même titre que Philippe fait davantage songer à Baudouin qu’à son père. Elle serait, elle aussi, comme investie d’une mission. « Avec Fabiola, la relation a bien fonctionné, dès le premier instant, rappelle la biographe de Mathilde. Fabiola était dans les nuages. Elle était tellement contente qu’une bonne fille catholique poursuive sa dynastie. Elle la considère d’ailleurs comme un « cadeau de dieu ». » Une appellation forte qui témoigne de cette filiation.

« Paola n’est réellement entrée en phase avec la fonction qu’en cours de règne, constate Vincent Dujardin, historien de l’UCL. Il faut dire qu’elle ne s’attendait pas à devenir reine un jour. Tandis que Fabiola avait épousé les habits de la reine tout de suite, et il y a fort à parier qu’il en sera de même avec Mathilde. » En ce sens-là, il y aura sans doute un engagement plus fort de sa part qui rappelle l’épouse de Baudouin.

Ce sont les convictions religieuses fortes de Mathilde qui l’ont rapprochée de Philippe. Comme ce fut le cas pour Baudouin et Fabiola. Pourrait-elle en faire usage pour influencer la politique, comme on l’a dit de Fabiola ? « Elle a certainement des convictions mais elle est et restera prudente, nuance Vincent Dujardin. Philippe et Mathilde ont par exemple fait baptiser leurs enfants à Ciergnon. Cela illustre leur volonté de montrer que cela reste du domaine privé. Il faut par ailleurs nuancer l’influence qu’aurait pu avoir Fabiola à cet égard. Le roi Baudouin était très religieux avant de la rencontrer, comme le démontrent les archives de Jacques Pirenne, secrétaire privé de Léopold III. Il voulait aller à la messe en semaine dès 15 ou 16 ans, après la perte de sa mère. De même, Wilfried Martens rapporte que ce n’est pas Fabiola qui a influencé Baudouin dans sa décision de ne pas signer la loi sur l’avortement. »

L’influence de Mathilde sur Philippe est manifeste. Restera-t-elle dans les limites du raisonnable ? Nos interlocuteurs se veulent rassurants.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire