Benoît Nihant © AFP

Les secrets des « grands crus » du chocolat

Le Vif

Chuao, Baracoa, Hacienda Rio Peripa: comme pour les grands crus du vin, il existe le « Romanée Conti » du chocolat, et en Belgique une poignée de cacao-féviers sont devenus maîtres dans l’art de dompter la fève, à l’image de Benoit Nihant.

Imaginez des milliers de fèves de cacao séchant sous le soleil d’Amérique latine, la place du village de Chuao, sur la côte caraïbe du Venezuela, son église peinte en jaune et bleu… L’origine du meilleur chocolat du monde, selon les spécialistes. Benoît Nihant en parle comme un sommelier évoque un vignoble qui se dore sous le soleil couchant: avec respect pour ces fèves qui arrivent, par sacs de jute, dans son atelier d’Awans, petite ville de la périphérie de Liège, dans le sud de la Belgique.

Il fait partie d’un cercle restreint dans le monde, avec Pierre Marcolini en Belgique, celui des cacao-féviers, qui maîtrisent de bout en bout l’art du chocolat, de la torréfaction de la fève aux créations les plus élaborées. « Cela nous a pris trois ou quatre ans avant de vraiment maîtriser, de comprendre les répercussions du travail de la plantation sur le chocolat », raconte cet artisan de 41 ans.

Ingénieur dans la sidérurgie, Benoît Nihant a eu, « un peu avant » ses 30 ans, une révélation: « Je me suis rendu compte que je n’avais pas choisi ma carrière, ma destinée. J’ai voulu vraiment créer quelque chose et vivre de ma passion au quotidien », raconte-t-il.

A l’ancienne

« Un bon chocolat est fabriqué avec amour, avec des fèves qui viennent d’un petit terroir, qui ont été choisies – et non mélangées avec la récolte d’une plantation voisine. C’est un chocolat où le planteur a conscience de la démarche du chocolatier et respecte les étapes de fermentation et de séchage sans prendre de raccourci », explique-t-il depuis sa boutique installée à l’entrée de l’atelier.

Il a choisi neuf plantations, au gré des voyages et des rencontres, au Venezuela, en Equateur, à Cuba, à Madagascar ou encore à Bali. Bientôt, il fera pousser ses propres cacaoyers au Pérou, où il vient d’acheter des terres. Il importe chaque année environ 25 tonnes de fèves, dans un pays où le chocolat est une institution: la Belgique en a produit environ 650.000 tonnes en 2014.

L’artisan n’hésite pas à investir en amont sur la qualité: il achète ses fèves entre 6 et 12 euros le kilogramme, alors que le chocolat tout fait, lui, est vendu aux chocolatiers 3,50 euros/kg – la plupart des fabricants de chocolat se fournissent auprès d’un oligopole de multinationales, qui mélangent les fèves de différentes exploitations pour un goût plus unifié. Au bout du compte, le plaisir a un coût: comptez entre 4,20 et 7,20 euros pour une tablette de 50 grammes chez Benoît Nihant.

Cuisson selon le palais de l’opérateur

Derrière une grande vitre, devant les regards curieux des clients, deux énormes machines. L’une, pour torréfier les fèves, date des années 1950 et a été récupérée en Asie d’un projet abandonné de chocolaterie.

L’autre, pour broyer, comprend deux énormes roues de granit qui transforment le grué (l’éclat de la fève, une fois torréfiée et concassée) en liqueur de chocolat, base de toute recette. Elle a été fabriquée au 19e siècle, servait de décoration dans le hall d’une usine en Grèce et a été rafistolée grâce au savoir-faire des ouvriers wallons.

« Ce sont les techniques anciennes qui donnent le goût », fait valoir Benoît Nihant.

C’est le palais de l’opérateur, un des 16 employés de l’atelier, qui détermine quand la cuisson est terminée, une étape essentielle et précise qui fait ressortir le goût du cacao. Ce qui permet à Benoît Nihant de préparer un chocolat noir à 70%, au goût prononcé mais sans amertume.

L’artisan a fait de son produit phare de Noël 2015 la vitrine de son savoir-faire: une constellation de cinq étoiles, chacune représentant un « grand cru » des chocolats de domaine. Celle du milieu est fourrée à la praline (belge) fait maison, à partir de noix de pécan légèrement salées.

Benoît Nihant a commencé dans le garage de ses beaux-parents et, en moins de dix ans, s’est déjà agrandi trois fois. Aujourd’hui, sa petite entreprise compte quatre boutiques en Belgique, elle vend aussi sur internet et dans une dizaine d’endroits au Japon, discute d’une ouverture en Chine et aux Etats-Unis, et envisage aussi une collaboration avec Harrods à Londres.

« Nous sommes une génération qui bouscule les traditions, les façons anciennes de faire. Nous apportons notre pierre à la tradition belge », observe l’artisan.

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