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Le sourire du Premier, vainqueur de l’Interview à la RTBF

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Avec une sérénité non feinte, Charles Michel a transformé l’arène de la RTBF en salle de danse, mercredi soir. Il a longuement démonté la caricature de ses réformes et coupé l’herbe sous le pied des critiques relatives à la N-VA. Seul son pédalage au sujet de la réforme fiscale a quelque peu malmené une solidité à toute épreuve.

Le sourire de Charles Michel mercredi soir à la RTBF, c’était un peu celui de la Joconde. Spontané, serein, sûr de son fait, légèrement méprisant même sans le vouloir, il a traversé l’heure et demie d’émission comme un signal adressé à l’opinion publique francophone: oui, je me sens bien dans ma fonction de Premier ministre avec « ce gouvernement que je dirige » (sous-entendu, pas De Wever), non je ne ne regrette rien, oui, je peux tout vous expliquer avec la conviction que la politique menée donnera des résultats. Sur la forme, il réussit aussi à casser l’image lisse de premier de la classe ou de poisson froid à laquelle on associait le chef de file du MR. Solide dans ses argumentations, d’une simplicité désarmante dans la manière, comme s’il menait une discussion sans prétention avec des amis de longue date pas forcément d’accord avec son évolution.

En soi, ce sourire fut le grand vainqueur de l' »Interview », première du genre globalement réussie sur la chaîne publique, au cours de laquelle le Premier ministre n’a « pas boudé son plaisir » de prendre le temps de la pédagogie, assénant la plupart du temps son leitmotiv sans être décontenancé par une batterie de questions certes assourdissantes, mais relativement convenues.

La confiance au gouvernement moindre en Wallonie qu’en Flandre? « Sourire: « C’est assez logique puisqu’il y a trois partis flamands. Il y a donc une belle marge de progression. » Les critiques de la ministre flamande N-VA Liesbeth Homans sur la récente mission économique fédérale au Japon? Sourire: « Elle est mal informée. L’ensemble de la mission a été préparé avec les Régions et le fédéral est compétent en la matière. » La ministre MR de l’Energie Marie-Christine Marghem doit-elle démissionner en raison des polémiques juridiques actuelles au parlement? Sourire amusé: « Non, en aucun cas. Elle doit donner toute l’information au parlement. Mais sur le fond, il s’agit d’éviter un black-out. » La taxation du secteur diamantaire à hauteur de 50 millions, un cadeau fiscal? « Cette critique me fait sourire. Aujourd’hui, ce secteur paye 37 millions d’impôts chaque année, on double ce montant. » Le contrôle des chômeurs à domicile ne prouve-t-il pas qu’il y a deux poids deux mesures entre les nantis et les démunis? Sourire: « C’est la même démarche que celle de nombreux CPAS. Mais quand cela vient du gouvernement que je dirige, c’est une traque. Le deux poids deux mesures, il est dans la perception ou dans l’interprétation. »

C’est avec cette même assurance que Charles Michel défend longuement le saut d’index l’allongement de l’âge de la pension, démontant les « caricatures » de l’opposition francophone.Elio Di Rupo, président du PS, affirme qu’il ramènerait la pension à 65 ans s’il revient au pouvoir? Sourire encore: « Je ne veux pas être désobligeant, mais je suis engagé par mes propos, pas par ceux du PS. Et ce propos ne me semble pas très sérieux. »

Seule la longue évocation par Francis Van de Woestyne, rédacteur en chef de La Libre, de cette réforme fiscale qui tarde à venir malmènera vraiment un Premier ministre pratiquant alors l’art de l’esquive, mais sans pouvoir vraiment cacher son embarras. Car rien n’est décidé et, oui, il y aura des hausses de taxes. « Oui, il y aura une réforme fiscale, s’engage Charles Michel. Je veux un accord politique avant l’été. » Elle privilégiera les gens qui travaillent et ceux qui créent du travail. Pour le reste, pas encore de détails tant que le mix n’a pas été trouvé. « J’essaye d’être quelqu’un de sérieux », sourit-il. Mais on devrait bien taxer « les fraudeurs, les spéculateurs, les pollueurs ». Nouveau sourire au bord du mépris lorsque l’on évoque un tweet de Wouter Beke, président du CD&V, affirmant qu’il ne veut pas de réduction de la fiscalité. « Je connais mieux Wouter Beke que vous, je peux vous expliquer. »

Ce sourire permanent ne l’aura finalement quitté vraiment qu’à un court moment, lorsqu’on le confronte à ses promesses préélectorales répétées de ne pas gouverner avec les nationalistes flamands. « Je me suis trompé sur la N-VA », tranche-t-il le visage fermé pour tenter de désamorcer d’emblée toute critique. Sa ligne claire: il ne pensait pas, alors, que Bart De Wever serait prêt à mettre de côté son programme institutionnel, le choix de gouverner malgré tout avec la N-VA a été pris après de longues discussions avec son président.

« C’est la première fois qu’il l’exprime de façon aussi claire », analysaient les journalistes sur le plateau. Faux. En décembre 2014, dans un long entretien de fin d’année accordée au Vif/ L’Express et à Knack, il tenait déjà ce discours lorsque nous l’avions confronté à ses promesses: « Quand j’ai exprimé cela, j’étais honnête à 100%, nous disait-il. J’ai commis une erreur d’appréciation, je n’aurais jamais cru que la N-VA enverrait un signal clair en acceptant de ne pas discuter d’institutionnel durant cinq ans. Je n’étais pas le seul à le penser, certainement du côté francophone. » (Le Vif/ L’Express, 19 décembre 2014) Soit précisément ce qu’il a exprimé de façon nette mercredi soir en télévision, pour marquer le coup face à une partie de l’opinion publique francophone qui reste désarçonnée face à cette coalition fédérale.

Bref, un exercice réussi pour le Premier dans « l’arène » de la RTBF subitement transformée en salle de danse avec, dans le public, tous les ministres MR dont un Reynders mi-amusé mi-contrarié de ne pas être sur le devant de la scène. Certes, la mauvaise foi ne fut jamais absente. Comme quand, interrogé sur les autres ténors francophones (Di Rupo, Magnette, Lutgen, Ska et… Goblet), il esquive, épargne tout le monde, insiste tout en rondeur élégante sur sa « volonté de concertation ». Bart De Wever? « J’ai confiance en lui jusqu’à aujourd’hui. La parole donnée par la N-VA a été respectée. » Pour le reste, oui, il y aura des élections dans quatre ans…

« L’Interview » se clôture par une question personnelle au sujet de ce qui serait son « pire échec ». Il transforme: « Je ne cherche pas une popularité à court terme, mais des résultats pour le pays. »

Un dernier sourire. L’homme, solide, était bien préparé à cette épreuve. « Un Premier charmant », constate Ivan De Vadder, journaliste politique de la VRT. Sa sérénité a balayé les résistances même si, au même instant, sur les réseaux sociaux, l’opposition francophone grondait pour desserrer cette emprise du serpent.

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