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Le nouveau manifeste radical d’Ecolo

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les Verts réécrivent leurs fondements idéologiques qui dataient de 1985. Après quinze ans au pouvoir, ils tentent de réinventer une nouvelle voie pour le parti. Le Vif/L’Express dévoile en avant-première le manifeste qui sera soumis aux militants le 23 juin.

Elle est à Ecolo ce que la charte de Quaregnon est au Parti socialiste. La déclaration dite de « Peruwelz-Louvain-La-Neuve », posait jusqu’ici les fondements idéologiques de cette jeune formation née en 1980. Le manifeste avait été voté en 1985 par quelque 200 soixante-huitards affirmés, désireux d’imposer la menace écologique dans l’agenda politique, mais sans toutefois participer au pouvoir.

Vingt-huit ans plus tard, les nouveaux secrétaires fédéraux Olivier Deleuze et Emily Hoyos soumettent à leurs 6 500 membres une refonte profonde de ce texte qui sera voté lors d’une assemblée générale organisée le 23 juin à l’ULB à Bruxelles. Fruit d’un long processus de consultation en interne, avec la contribution d’un panel citoyen, il se veut radical mais sans être pour autant révolutionnaire. Le Vif/L’Express a pu le découvrir en avant-première.

Une réponse à la crise financière Ecolo sortira en 2014 de quinze années d’une participation souvent tumultueuse aux gouvernements régionaux. Son combat pour le développement durable a, dans un premier temps, été repris par l’ensemble des partis « traditionnels » avant de disparaître peu à peu des écrans radars. La crise économique et financière est passée par là : le développement durable n’est plus une priorité. A un an d’une élection majeure – régionale, fédérale et européenne -, le parti ose une nouvelle ligne radicale, résolument à gauche. Il réaffirme le voeu d’une transition écologique en profondeur pour sauver la planète mais aussi – et c’est la grande nouveauté – pour rendre l’économie plus humaine. Avec la ferme volonté de lutter contre « l’alliance des conservatismes et du productivisme » ou contre « la dictature de la société de consommation ».

« En 2010, le conseil de fédération, le parlement interne d’Ecolo, a pris toute la mesure des très fortes répercussions qu’aurait la crise financière de 2008 sur la manière de penser la politique, explique Emily Hoyos. Pour répondre à ces changements ultra-rapides et à leurs impacts pour les citoyens, il nous fallait absolument questionner notre cadre de pensée. Jean-Michel Javaux et Sarah Turine, les secrétaires fédéraux de l’époque, ont lancé une vaste opération interne baptisée Cap 2012-2014. A notre arrivée il y a un an, nous l’avons prolongée en vue de la rédaction de ce nouveau manifeste. Le politique ne peut pas rester à la traîne de ces révolutions, ce serait criminel. Nous sommes un parti qui a l’ambition d’avoir une vision porteuse d’espoir tout en pesant sur le réel. »

« Le monde a fondamentalement changé par rapport à ce qu’il était en 1985, prolonge Olivier Deleuze, déjà présent à l’époque. C’était alors la fin des Trente Glorieuses, on parlait encore de progrès. Aujourd’hui, c’est le chaos. Dans notre premier texte, on ne parlait tout simplement pas du monde financier. Il est partout aujourd’hui et on a vu ce qu’il a provoqué : l’économie réelle est détournée, le chômage est devenu structurel, on délocalise les entreprises, les lasagnes font le tour du monde avant d’atterrir avec du cheval dans notre assiette, les atteintes à l’environnement sont devenues palpables… »

Une société éco-citoyenne « Les logiques économiques à l’oeuvre devront respecter ou restaurer les écosystèmes et réduire les inégalités », souligne le texte. Un long chapitre, qui constitue un tournant pour ce parti désireux de s’inviter à l’agenda socio-économique, est consacré à la mise en place d’une « économie pour produire mieux et autrement. Entreprendre, c’est bien plus que s’enrichir. Nous voulons redonner à ce terme toute sa noblesse étymologique. Les entrepreneurs et leur audace sont plus que jamais nécessaires pour la transition écologique de l’économie qui est devant nous. »

Un plaidoyer pour la décroissance ? « La finalité n’est plus de produire sans cesse mais de produire mieux et autrement », précise le texte. Au court terme qui domine le système économique actuel, les Verts veulent substituer trois termes : « régulation, coopération et durabilité forte ». Il s’agit aussi d’encourager une « réindustrialisation verte, de relocaliser l’agriculture afin que chacun puisse assurer sa souveraineté alimentaire ».

« On ne peut pas mettre notre économie sous baxter en attendant que ça passe, clame Emily Hoyos. On doit se demander pourquoi la désindustrialisation est en cours en Europe tandis que mille femmes sont écrasées sous un immeuble taudis au Bangladesh. Une part importante de ce texte questionne notre modèle économique, oui, mais il apporte aussi des réponses en faisant confiance aux nouvelles initiatives qui existent déjà. On assiste à la réémergence d’un tissu économique local. Je visitais la semaine passée une papeterie à Virginal rachetée en 2009 par ses employés à la multinationale qui la possédait. Ils sont plus compétitifs aujourd’hui après avoir récréé des réseaux locaux. »

Le manifeste prône un altermondialisme revisité à la sauce écologique, version XXIe siècle.

Une réponse au populisme Le manifeste s’affirme comme une réponse aux périls, à la menace politique qui gronde. « En 1985, le nationalisme et le populisme n’étaient pas des préoccupations comme aujourd’hui, complète Olivier Deleuze. C’était simple : il y avait les fascistes, à mettre hors du champ. Aujourd’hui, la N-VA et les nationalistes partout en Europe remettent en cause notre société solidaire et le projet européen. »

Le parti s’engage en faveur d’un « fédéralisme belge et européen moderne et universaliste ». Ecolo confirme clairement sa volonté de travailler avec son homologue flamand Groen pour « moderniser le système fédéral belge », guidé par « les principes de solidarité interpersonnelle et de solidarité entre les entités, de responsabilité dans la gestion publique, d’égalité de traitement entre les personnes sur un même territoire… ». Clairement, Ecolo pourrait encore soutenir une réforme de l’Etat. Mais, insistent les secrétaires fédéraux, ce n’est pas à l’agenda pour 2014. Le projet de confédéralisme de la N-VA n’est rien moins qu’un séparatisme déguisé aux yeux d’Ecolo

Anti MR et anti PS Stratégiquement, Ecolo veut accéder au pouvoir. « La participation à des gouvernements, lit-on, permet de faire avancer nos aspirations principales mieux que tout autre moyen, à condition de construire un rapport de forces suffisant et d’ouvrir les institutions à la participation citoyenne. » A épingler au passage, cette pique qu’on imagine adressée au PS : « La démocratie, c’est l’alternance. Aucun parti n’a vocation à rester éternellement au pouvoir. La confusion entre les intérêts d’un parti et les organes de l’Etat porte atteinte non seulement à l’éthique mais aussi au principe démocratique. »

« C’est notre vision du rapport au pouvoir et cela vaut pour nous-mêmes aussi, se défendent les secrétaires fédéraux. Par essence, il faut faire attention. »

En se disant opposé à tous les conservateurs, « qui sont partout », Ecolo vise autant le PS que le MR. Et espère se créer une place en 2014 dans ce qui s’apparente déjà à un choc des titans ne laissant pas de place pour les petits partis. « Nous sommes convaincus que le seul projet global alternatif crédible, c’est le nôtre, conclut Olivier Deleuze. La révolution de 1917, c’est fini. »

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

Olivier Mouton

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