Thierry Fiorilli

La Shoah en Belgique : le livre conseillé à De Wever

Thierry Fiorilli Journaliste

C’est un livre qui remet les choses en place. Le premier ouvrage de référence d’une historienne allemande, Insa Meinen, sur la persécution des Juifs de Belgique, sous l’occupation nazie, de mai 1940 à septembre 1944.

La Shoah en Belgique s’appuie sur des sources inédites provenant d’archives allemandes, belges et françaises pour préciser, entre autres, le rôle de nos autorités dans la déportation vers Auschwitz de 25 000 personnes.

Trois enseignements majeurs à en tirer : les grandes rafles ont conduit à moins de la moitié des arrestations des Juifs de Belgique déportés ; moins de 20 % de ces Juifs ont été envoyés dans le camp de la mort polonais avec le concours de la police belge ; les autorités d’Anvers (où vivait la deuxième communauté juive du pays) ont collaboré avec une grande docilité, voire avec un authentique zèle, n’utilisant pratiquement pas la marge de manoeuvre que leur laissaient les Allemands, au contraire des autorités de Bruxelles (où résidait la première communauté juive de Belgique), qui ont par leur refus « constitué une barrière infranchissable pour les représentants de l’Etat policier allemand », insiste Insa Meinen.

Sans en avoir fait un objectif en soi, l’historienne répond avec son enquête à Bart De Wever. Le grand chef nationaliste flamand, historien lui aussi, s’était fendu dans le Standaard, il y a deux ans, d’une chronique à l’arsenic (intitulée Nazis flamands) , à l’occasion de l’ouverture à Louvain-la-Neuve du Musée Hergé. De Wever y attaquait le « mythe wallon d’après lequel la collaboration aura surtout été le fait des Flamands alors que la Belgique francophone résistait avec bravoure. » Trois ans plus tôt, le même De Wever s’opposait au conseil communal d’Anvers à une proposition demandant que les autorités de la Ville présentent leurs excuses pour le rôle qu’avaient joué leurs prédécesseuses sous l’occupation. Et lorsque Patrick Janssens, le bourgmestre anversois, les présente, ces excuses, quelques mois plus tard, le leader de la N-VA les qualifiait de « gratuites », parce que « soixante ans après les faits, alors que tout le monde est mort, le fait de présenter des excuses n’est évidemment pas un acte de grand courage politique. »

Le livre d’Insa Meinen tombe donc à point nommé. Parce que De Wever a plus que jamais le vent en poupe, au nord du pays. Parce qu’il possède de grandes chances de s’emparer de l’Hôtel de Ville d’Anvers, dans quinze jours. Parce qu’il a déjà annoncé que si les 40 % d’intentions de vote qu’on prête à son parti se confirmaient, on va voir ce qu’on va voir, dans deux ans, après les législatives et les régionales (en substance : les francophones auront à en découdre avec la force du changement, la N-VA, portée par pratiquement la majorité de la communauté flamande, et que c’est le confédéralisme qu’on négociera alors, couteau entre les dents). Parce que sa formation s’est ouverte à beaucoup d’anciens du Vlaams Belang, mouvement clairement d’extrême droite. Parce qu’il joue allègrement avec les chiffres de l’insécurité et de l’immigration pour sa campagne électorale. Et parce qu’il prête le flanc au doute, sur sa véritable nature, depuis trop longtemps – comme le rappelait dans ces colonnes, en décembre dernier, Bernard Maingain, l’avocat de Pierre Mertens dans le conflit opposant l’écrivain à Bart De Wever, « les négationnistes, aujourd’hui, ne nient plus les chambres à gaz mais réinterprètent, oublient, occultent tout ce qui s’est produit en amont, c’est-à-dire le processus d’identification, de marquage et de déportation des Juifs. »

Si tant est que le patron du parti le plus puissant de Flandre, donc de Belgique, ait été tenté par ces réinterprétations-là, ces oublis-là, ces occultations-là, La Shoah en Belgique » devrait contribuer à l’en dissuader définitivement. A dissiper un peu du malaise qu’inspire au fil de sa progression le personnage. Et à consolider le « mythe wallon » selon lequel le courage, durant la Seconde Guerre, s’exprima davantage côté francophone que flamand.

Se le rappeler ne peut faire de mal à personne.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire