La consultation populaire: entre risques d’instrumentalisation politique et opportunités démocratiques

Dans le dernier épisode de la saga  » Esplanade : s’étendra/s’étendra pas ? « , il est question d’une consultation populaire, sollicitée par une plateforme composée de vingt-deux associations locales. Le conseil communal d’Ottignies-Louvain-la-Neuve (OLLN) a décidé d’organiser cette consultation fin mai, et celui-ci demandera donc aux citoyens et citoyennes de la commune d’exprimer leur avis sur une éventuelle extension du centre commercial de l’Esplanade.

Derrière l’utilisation de procédures juridiques d’apparence neutres peuvent parfois venir se cacher des motifs politiques, susceptibles d’élargir encore l’écart déjà existant entre le droit et l’intérêt général. Le rôle du débat public est de mettre en lumière ces réalités cachées afin que les citoyens et citoyennes disposent d’une information complète au moment d’exprimer leur choix. En effet, les instruments de démocratie dite participative, terme en apparence unilatéralement positif, peuvent se voir utilisés tantôt pour servir un agenda politique et « maintenir en place les logiques et les structures de domination politique traditionnelle », tantôt pour rendre effective une implication citoyenne authentique dans les affaires publiques[1]. Il n’est pas inhabituel – comme ce fut le cas à Namur il y a quelques années – de voir des consultations populaires détournées par le pouvoir politique. L’échevin de la participation d’OLLN s’est engagé à ce qu’un tel détournement ne se produise jamais, ce qui pourrait donner des raisons d’espérer que cette consultation ne suivra pas le chemin de sa voisine namuroise. Néanmoins, il est nécessaire de rester vigilant à l’instrumentalisation potentielle de ces dispositifs participatifs. Parmi les enjeux démocratiques en présence, le choix de la question qui sera posée aux habitant-e-s, le traitement des résultats de la consultation, ainsi que les personnes qui seront consultées, sont autant de zones d’ombre qui méritent un éclairage particulier.

Tout d’abord, d’apparence anodine, la formulation de la question est en réalité cruciale, car elle détermine en grande partie les retombées concrètes du résultat de cette consultation. Le Code de la démocratie locale et de la décentralisation stipule en son article L1142-10 que « les questions doivent être formulées de manière à ce qu’il puisse y être répondu par oui ou non ». Néanmoins, le caractère affirmatif ou négatif de la réponse dépend directement de la formulation de la question qui sera posée. Ainsi, le comité de pilotage du conseil communal chargé de définir la question a le pouvoir bien réel de définir les termes du débat.

Un premier scénario consisterait à poser une question sur un projet bien particulier, amenant le citoyen à approuver ou refuser le projet d’extension tel qu’il est proposé par l’actuel promoteur immobilier Klépierre. Dans ce cas, le conseil communal fera le choix d’une consultation dont il y a fort à parier que l’issue ne pourrait, quel qu’en soit le résultat, que venir légitimer une extension de l’Esplanade. En effet, en cas de « non », un autre projet porté par Klépierre pourrait être approuvé. Pour cette raison, la Plateforme Citoyenne pour la consultation populaire craint qu’un vote sur le projet actuel ne mène qu’à l’alternative entre un « oui au projet » ou à un « oui au projet modifié », réduisant à néant tout pouvoir de contestation – si tant est que celui-ci existe réellement au sein du système institutionnel actuel – des habitant-e-s face au principe-même de l’extension d’un centre commercial.

Etant donné que la commune peut consulter la population sur une matière relevant de sa compétence d’avis si celle-ci a un objet d’intérêt communal, il est juridiquement possible pour le conseil communal d’opter pour un second scénario. Celui-ci pourrait ainsi profiter de la consultation populaire pour découvrir si les habitant-e-s désirent effectivement voir le prochain grand projet d’aménagement de leur ville s’incarner en une multiplication de nouvelles devantures de magasins, projet pouvant relever moins d’une logique de réponse aux besoins existants, que de création de désirs – aussitôt renommés besoins par l’impératif consumériste. Ainsi, poser une question sur le principe-même de l’extension de l’Esplanade serait une manière de permettre une expression démocratique du « pour » ou du « contre », conforme à l’esprit de la consultation populaire. Quand bien même l’issue de la consultation populaire ne lie pas le choix des politiques, il serait dès lors difficile d’instrumentaliser le résultat de la consultation pour justifier un tour de force en présentant un nouveau projet qui différerait peu dans sa finalité de celui contre lequel la population se serait déjà prononcée.

Le deuxième point à éclairer est celui du traitement des réponses des personnes consultées. Rappelons ici que les autorités (commune et fonctionnaire-délégué) chargées de rendre un avis sur le projet et de décider de délivrer ou non le permis d’urbanisme nécessaire à l’extension – sur base de considérations juridiques donc -, ne seront pas tenues par les résultats de cette consultation populaire. Néanmoins, de cet état de fait juridique ne doit pas découler un constat d’impuissance politique. En effet, s’il est négatif, le choix de la population recueilli par la commune placerait cette dernière dans l’obligation morale d’activer tous les leviers juridiques et politiques à sa disposition pour réaliser la volonté citoyenne exprimée démocratiquement. Ces leviers pourraient être, à ce stade, la délivrance d’un avis négatif ou encore une modification du schéma de structure communal[2] pour tenir compte du résultat de la consultation.

Ainsi, la commune pourrait s’engager à intégrer dans le schéma de structure communal les réponses de la consultation populaire, afin que cet instrument traduise juridiquement la décision des citoyens et citoyennes dans les directives qu’il prévoit. Si la population devait émettre un choix négatif sur le projet d’extension, il serait alors possible de se prévaloir des prescriptions du schéma de structure communal pour s’y opposer. Au-delà de la question ponctuelle de l’extension de l’Esplanade et des technicités juridiques y afférentes, il s’agirait d’une opportunité pour les habitant-e-s de la commune d’exprimer leur préférence sur l’utilisation de l’espace pressenti pour l’extension de l’Esplanade selon leur conception de la vie de la cité.

En dernier lieu, la question – non posée en droit, mais existante en fait – des personnes concernées par l’extension de l’Esplanade n’est pas sans soulever certains problèmes. Relativement unique dans sa composition sociologique en raison de son histoire bien particulière, Louvain-la-Neuve est une ville hybride composée tant d’habitants réguliers que des saisonniers que sont les membres de la communauté universitaire et des hautes écoles, les commerçants, etc. Ainsi, une question aussi importante que le potentiel aménagement d’un espace de la ville à des fins marchandes peut éveiller la volonté pour certains de participer à un débat public auquel la loi ne les a pourtant pas conviés. Qu’à cela ne tienne, l’Assemblée Générale des étudiant-e-s de Louvain compte donner une voix à ceux et celles qui n’en n’ont pas reçues, et ce grâce à une proposition aussi originale qu’audacieuse : l’organisation d’un « G100 ». Ce forum citoyen sera composé de 100 personnes tirées au sort parmi la communauté néo-louvaniste, qui pourront délibérer publiquement des enjeux soulevés par le projet. A l’état embryonnaire, ce projet n’en est pas moins l’illustration qu’un sujet technique et d’apparence hors de portée du citoyen ordinaire peut stimuler un potentiel d’innovation face à des problèmes auxquels les arcanes de la démocratie représentative traditionnelle ne peuvent remédier.

Il est important de mentionner le fait que le principe-même d’une question « enfermante » avec pour seules options de réponse un « oui » ou un « non » ne peut mener qu’à des prises de positions manichéennes, cantonnant l’individu à un projet déjà conçu de manière indépendante tant de l’avis que de la vie des citoyens et citoyennes, et ne lui laissant en aucun cas la possibilité d’élaborer des idées créatives sur sa conception de la vie en communauté. Dès lors, s’il advient, il faudrait considérer que ce « non » au principe de l’extension de l’Esplanade n’est pas un « non » clos sur lui-même, réfractaire à tout changement ou à toute création de projets. Ce « non » peut être vu comme un « non contre-et-au-delà »[3], tant négateur du paradigme dominant dans notre société qu’est la culture de consommation, que créateur d’alternatives. En effet, dire « non » au projet d’extension de l’Esplanade, cela pourrait revenir à dire « oui » à des projets que les citoyens et citoyennes pourraient proposer – si l’opportunité leur en était donnée – que ces projets soient des commerces locaux relevant de l’économie sociale et solidaire, des logements, ou bien des espaces culturels, artistiques, sportifs, naturels[4]… Aux antipodes de l’accroissement d’une zone commerciale uniforme, ces alternatives pourraient ne pas voir le jour dans le cadre d’un projet d’investissement de Klépierre. L’on pourrait donc envisager de profiter de la consultation populaire pour susciter un débat public sur la vie de la cité, ce qui permettrait aux habitant-e-s de se réapproprier l’espace public par la proposition et la délibération sur des alternatives à l’extension de l’Esplanade, ouvrant dès lors des possibles différents de ceux de la poursuite de la logique marchande actuelle.

Bien qu’il soit impossible de prédire l’issue de la mobilisation citoyenne contre l’extension de l’Esplanade, il est crucial de bien saisir les enjeux démocratiques soulevés par ce dossier, enjeux qui débordent largement les dispositifs participatifs prévus de manière « top-down » par l’Etat. Le caractère démocratique le plus important dans ce combat contre un paradigme de société invitant l’individu à acquiescer à la régulation externe de son comportement par une logique technocratique ou consumériste[5] ne se situe pas tant dans son issue que dans la lutte elle-même. Dès lors, cette consultation populaire peut être l’occasion pour les citoyens et citoyennes d’utiliser la démocratie participative afin de faire valoir leur refus de l’extension de l’impératif consumériste et leur volonté de créer une autre vie en communauté. Mais elle peut aussi être une occasion d’apprendre à exercer collectivement leur autonomie, comprise selon la manière radicale que suggère son étymologie – à savoir la capacité de se donner ses propres normes.

[1] Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008.

[2] « Le schéma de structure communal est un document d’orientation, d’évaluation, de gestion et de programmation du développement durable de l’ensemble du territoire communal. » (Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine, art. 16 al. 1.)

[3] John Holloway, Crack Capitalism, New York, Pluto Press, 2010.

[4] http://www.levif.be/actualite/belgique/ne-transformez-pas-ma-ville-en-shopping-center/article-opinion-610503.html

[5] André Gorz, Ecologica, coll. Débats, Paris, Galilée, 2008,

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