Mathilde Puissant

Ne transformez pas ma ville en shopping center !

Mathilde Puissant philologue, membre de Tout Autre Chose et habitante de Louvain-la-Neuve.

30.000m2 de commerces, 7.500.000 visiteurs annuels, 95 magasins, des chiffres si astronomiques qu’ils ne font presque plus sens. Vous l’avez reconnue, il s’agit bien de l’Esplanade, ce centre commercial chéri de la belle commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve.

Les plus grandes enseignes s’y côtoient et rivalisent de vitrines aguicheuses pour appâter le chaland qui ne demande qu’à se laisser tenter, tantôt par une robe élégante, tantôt par un smoothie vitaminé (des fraises en hiver ! que demande le peuple ?), tantôt encore par un t-shirt à bas prix dont la qualité est aussi fragile que son chic est éphémère.

Si vous vous lassiez déjà de ce maigre éventail de possibilités, sachez que le promoteur Klépierre se charge de tout. Il vous prépare une « extension » de l’Esplanade pour 2021: 47 boutiques et 4 grands commerces supplémentaires sur 20.000 m2 de plus. Quand on pense que la surface habitable moyenne des nouveaux logements a diminué de 20% ces dernières années en Belgique (de 129 à 105m2), ça laisse rêveur…

En tant que citoyenne engagée et habitante de Louvain-la-Neuve, ce projet d’extension m’inspire divers sentiments.

La crainte d’abord. Je crains que cette extension ne nuise à la diversité et à la vivacité des petits commerces indépendants de la région. En effet, les alliés majeurs de ce projet sont bien entendu de grandes enseignes (MediaMarkt, Zara, Primark), des rouleaux compresseurs commerciaux fort aises de rassembler toujours plus de clients et de profit grâce à des prix défiant toute concurrence, au détriment de boutiques plus modestes qui souffrent déjà des effets du shopping center actuel. Une étude américaine a montré que lorsqu’un Walmart s’installe dans une ville, pour chaque emploi créé, c’est 1,4 emploi qui passe à la trappe. Et chez nous, ce sera combien ? « Mais les petits commerces pourraient eux aussi s’installer dans l’Esplanade ! » me dites-vous. Cette réponse ne satisfait pas du tout : quel boutiquier indépendant a réellement les moyens de s’acquitter de ces loyers exorbitants ? Vous connaissez déjà la réponse.

Je suis également déçue. Déçue par une gestion Ecolo qui n’en a que les apparences. Oui Monsieur Roland, une Esplanade, même aux normes énergétiques européennes, sera toujours source d’une pollution infiniment plus importante que si elle n’existait pas du tout. Les bancs en plastique recyclé du parc de la Source ne changeront rien à cet état de fait, et ne suffiront pas à compenser le bilan carbone/déchets/suremballage catastrophique d’un centre commercial de cette envergure. Il ne faudrait pas non plus prétendre que la ville n’a aucun pouvoir face à ce projet (« there is no alternative »), car c’est bien elle qui en a délivré les permis. Par ailleurs, à l’heure de la révision du schéma de structure de la commune, certains choix déterminants peuvent être posés.

Choisir l’extension, c’est choisir un modèle de société qui ne me semble pas non plus correspondre à l’idéal universitaire : un modèle de consommation à outrance, un modèle où les plus puissants (c’est-à-dire les plus riches) ont encore et une fois de plus voix au chapitre avant tous les autres. Dans une ville où l’université se prétend humaniste et porteuse de grandes valeurs, cette hypocrisie est tout simplement écoeurante.

Je ressens aussi beaucoup de colère et d’indignation. Parce que ce choix de l’Esplanade, c’est le choix du déni de démocratie, fort en vogue à l’heure actuelle : alors que la population se mobilise, exprime et crie son désaccord avec ce type de projets, elle est systématiquement ignorée, écartée des négociations, ou roulée. On a déjà pu l’observer dans le cas de projets similaires à Verviers et à Namur notamment. Alors que tous les partis se font les chantres de la démocratie participative, ils oublient mystérieusement de la mettre en oeuvre en temps utiles, ou tentent de la museler lorsqu’elle leur est contraire.

Enfin, je suis emplie de frustration. D’où vient ce besoin visiblement irrépressible de couvrir la gare d’une dalle de béton ? Aucun habitant ne le réclame. Et pour l’occupation de cette zone derrière l’Esplanade, de nombreuses autres possibilités existent et peuvent être imaginées. Des espaces communautaires d’échanges de services, des commerces alternatifs, des salles pour des activités culturelles, artistiques, sportives, des lieux de rencontre conviviaux et/ou coopératifs, de formations en tous genres… Examinez-les. Ecoutez-les au moins, avant de les balayer d’un revers de la main.

Klépierre proclame qu' »acheter, c’est exister ». Je suis persuadée, comme la plupart des Néo-Louvanistes, que ce slogan est absolument faux, et tout à fait dissonant dans cette cité en ébullition intellectuelle et culturelle constante.

De très nombreux habitants ont d’ailleurs déjà entamé la lutte contre ce mastodonte commercial. Interpellations, consultation populaire, saisissement de la justice, manifestations, … Eux, à qui l’on a jusqu’ici refusé la parole, sont décidés à faire entendre leur voix. Puissent-ils sortir victorieux de ce combat, pour que le carillon de la Grand Place résonne toujours de la « Petite Gayole », et non d’un hymne à la consommation.

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