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L’université, ce milieu profondément sexiste

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Un professeur qui pose sa main sur le genou d’une étudiante sans y être invité ? Une chercheuse qui manque une promotion parce que le doyen part du principe qu’elle voudra fonder une famille ? Le sexisme au travail est encore très présent, y compris dans les universités. Le livre #Seksisme – Nee, wij overdrijven niet! (#Sexisme – Non, nous n’exagérons pas !) met le doigt sur la plaie.

« Lorsque j’ai eu fini ma thèse de doctorat, j’avais 28 ans et je me demandais si je poursuivrais ma carrière académique. J’ai posé la question à mon promoteur. Il a vu mon incertitude. Il l’a alimentée, m’a dit que c’était effectivement une décision importante que je ne pouvais pas prendre à la légère, qu’il était urgent que je réfléchisse au type de vie que je voulais et si je voulais des enfants. (…) Il n’aurait jamais dit ça à un collègue masculin. »

Ce témoignage vient du service créé pour répondre à cette problématique, le Sassy (Sharing Academic Sexism Stories with You). En an et demi, le service a enregistré pas moins de 81 plaintes.

Le livre #Seksisme – Nee wij overdrijven niet!, écrit par une collaboratrice de Knack, Cathérine Ongenae, rassemble des exemples de sexisme au quotidien. L’ouvrage se veut aussi une réaction à un billettiste du quotidien De Morgen, qui trouve que les femmes intimidées sexuellement en rue exagèrent et que souvent ce sont elles qui provoquent les réactions.

Le livre donne une image effarante du monde universitaire. « Plus les femmes progressent dans une carrière académique, moins elles ont d’opportunités. Le sexisme est profondément ancré dans le monde universitaire » écrivent Nellie Konijnendijk et Anya Topolski. Konijnendijk est étudiante en doctorat à la KuLeuven, coadministratrice du site web Sassy et ancienne coordinatrice du groupe de travail Femme et Université. « Nous avons fondé ce service parce que nous sentions qu’il y avait beaucoup de plaintes inavouées de sexisme. Mais les femmes hésitent souvent à porter plainte. Elles craignent de mettre leur carrière académique en péril. De plus, la plupart des recteurs et des doyens ont le sentiment que le sexisme est peu présent dans leur université ou leur faculté. »

Mais comme le révèle le livre, le sexisme est de tous les temps et se rencontre dans la plupart des endroits. Pourtant, Nellie Konijnendijk estime qu’il devrait être absent ou moins présent dans un « lieu éclairé » comme l’université. « Le sexisme dans le domaine scientifique est encore plus choquant. Les universités sont des instituts de connaissances respectés, le bercail de la pensée éclairée. Elles devraient guider toute la société. Malheureusement, ce n’est pas le cas. »

Il est temps d’instaurer des quotas

Lors de mon premier mois de chargée de cours, le directeur de recherche scientifique m’a invitée à parler de quelques nouveaux projets au cours d’un déjeuner. Au milieu de la discussion, il s’est penché, a appuyé sa jambe contre la mienne et a posé sa main moite sur mon genou. « Es-tu une trainée ? »m’a-t-il demandé.

Reste à savoir comment agir contre ce genre de pratiques? « C’est difficile » dit Konijnendijk. « Le professeur règne sur son empire, il n’est pratiquement pas surveillé. Les doyens s’entretiennent surtout avec leurs professeurs et moins avec les assistants et les étudiants. C’est pourquoi il est souvent très difficile pour les victimes d’intimidation sexuelle, qui généralement n’occupent pas les positions les plus élevées, d’aborder ce problème. Même les médiateurs prennent parfois parti pour l’accusé et pas pour la victime. Les femmes se sentent donc peu soutenues. Et si le coupable est tout de même licencié, généralement il trouve vite du boulot ailleurs : dans le monde académique, la mobilité du travail est habituelle ».

Sur le plan de la mobilité au travail aussi, les femmes dans les universités en sont souvent pour leurs frais. « Il y a une majorité d’étudiantes dans nos universités, mais dès qu’il faut nommer un professeur ou un doyen, elles ont moins de perspectives de carrière » explique Konijndijk. « En Europe, la Belgique est en queue du peloton. Nous figurons parmi les plus mauvais élèves en nombre de femmes professeurs et c’est pareil pour les membres du conseil dans le monde académique ».

Konijnendijk n’est pas contre les quotas. « Toutes les études révèlent que c’est la seule méthode qui produit un effet positif à court terme. » Les opposants aux quotas estiment qu’ils font baisser la qualité. « C’est absurde » dit Konijndijk. « Il y a plus qu’assez de femmes intelligentes qui entrent en ligne de compte pour une carrière académique. Des études internationales révèlent que les quotas ne font qu’améliorer la qualité ».

« Toutes ces petites blondes »

Outre les remarques habituelles sur l’infériorité des étudiantes, un professeur a dit un jour aux étudiants en droit de première année : « Toutes ces petites blondes, on ne les reverra pas l’année prochaine ». Pas un mot sur leurs camarades (blonds ou pas) masculins. Le sexisme dans le monde académique se rencontre sous toutes les formes, de l’intimidation sexuelle à ce que Nellie Konijnendijk qualifie de « biais implicite ». Cette dernière forme est la plus fréquente. Il s’agit de préjugés à l’encontre de femmes et d’autres groupes de notre société, qui s’exercent de manière inconsciente : elles opteront pour la maternité, la famille passe avant la carrière, elles sont trop sensibles, elles ne sont pas ambitieuses. Mais ces préjugés ne sont basés sur rien. Qui plus est, la plupart des gens ne veulent même pas admettre qu’ils pensent comme ça. »

Konijnendijk a déjà soumis le problème plusieurs fois à Rik Torfs, le recteur de la KU Leuven. « Il trouve aussi que c’est inacceptable. Il l’a même mis avant lors des élections du recteur, mais depuis il n’y a pas grand-chose qui a changé. La lutte contre le sexisme dans le monde académique n’est tout simplement pas une priorité. Il ne faut pas seulement de l’audace, mais aussi de l’argent. On a fait l’impasse sur toute une génération de femmes pour les nominations. Si vous voulez réparer ça, vous ne devez plus nommer ou promouvoir des hommes pendant quelques années ou vous devez créer des offres d’emploi supplémentaires. Je crains qu’aucune de ces options ne soit envisageable. »

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