Peter Mertens

« L’enseignement et les soins ne sont considérés que comme des postes de dépenses »

Peter Mertens Président du PTB

Chacun, ou presque, peut faire appel à eux quotidiennement : facteurs, puéricultrices, pompiers, conducteurs de train, infirmières et enseignants… Ces personnes qui, jour après jour, prêtent une oreille attentive à la société ne sont, eux-mêmes, pas écoutés par leur employeur, l’État. Voilà la source de nouvelles actions sociales.

La crèche, l’école, la bibliothèque, le bus, les bureaux de poste, la collecte des déchets, le bassin de natation : les services proposés par la société déterminent dès le premier jour une grande partie de notre existence quotidienne. Les services publics modernes constituent l’une des pierres angulaires d’une société démocratique. Un service public assure la proximité. Cela signifie qu’ils sont répartis sur tout le territoire et que les mêmes montants forfaitaires sont facturés dans les régions à forte ou à faible densité de population. Les 65 habitants d’Omezée (Philippeville) paient le même tarif pour leur lettre ou leur bus que les 75 000 habitants de Courtrai. Un service public moderne devrait également permettre la participation des usagers, du personnel et des syndicats afin d’aller à l’encontre de toute forme de bureaucratisation et de fonctionner de façon à rendre la société efficiente. Ici, les organisations de consommateurs et écologiques pourraient jouer un rôle important, avec un droit à l’initiative, des séances d’audition et des moments où elles pourraient prendre la parole.

Un service public, enfin, est un élément essentiel du tissu social dans la société, de la rencontre, du contact entre les gens du quartier ou du voisinage. Quand on ferme une bibliothèque de quartier ou une piscine locale, on assiste à une régression, non seulement pour le développement culturel ou sportif, mais aussi pour la rencontre et la constitution d’une communauté.

Rénover et dynamiser, ce n’est pas la même chose que marchandiser

« La logique du marché n’est pas orientée vers l’intérêt général, elle ne prévoit pas la cogestion de la population et elle n’est pas orientée vers la solidarité », dit à ce propos le professeur Luc Huyse. « Quand on confie les équipements sociaux au secteur commercial, on ne sait pas à quoi s’attendre. Là où l’État social a déjà été démantelé en partie, comme en Grande-Bretagne, on constate que la qualité faiblit en général, que les conditions de travail régressent et que cela ne devient pas toujours meilleur marché, au contraire. »1 Le marché recherche le profit maximal pour les actionnaires et c’est tout autre chose que l’intérêt général. Le marché ne pense pas à long terme, mais galope au rythme des assemblées trimestrielles des actionnaires.

C’est précisément pour cela que la base sociale de la société doit rester en dehors des mains du marché. Il en est ainsi pour la sécurité sociale, le premier pilier de base d’une démocratie moderne et il en va de même pour les services publics, le second pilier de base. Ils ont pour tâche de garantir les droits fondamentaux, tels qu’ils sont définis par la Charte des Nations unies de 1948. Toute personne faisant partie de la société, sans considération de sexe, d’origine, de statut ou de conviction religieuse, a accès à tous les droits fondamentaux dans la société : enseignement, culture, soins de santé, travail, mobilité, logement. Ces besoins changent et croissent également. Et cela signifie que nous devons également rénover et dynamiser en permanence la sécurité sociale et les services publics, afin de pouvoir répondre aux nouveaux défis qui se présentent. Mais c’est tout autre chose que de les confier au marché ou de les commercialiser.

Nous ne pouvons que nous enrichir d’un enseignement de qualité

Dans les crèches, dans l’enseignement et dans le secteur de soins, on a besoin de bras et de coeurs. De personnes, donc. Pour le dire en termes économiques : ces secteurs réclament plus de main d’oeuvre. Cela signifie aussi qu’ils coûtent de l’argent. Plus la production se déroule de façon efficiente en raison des innovations technologiques croissantes, meilleur marché deviennent les produits et plus chers, relativement, deviennent l’enseignement et les soins. Au lieu d’estimer l’enseignement et les soins selon leur valeur, ils sont considérés aujourd’hui comme des postes de dépenses. C’est ce qui s’appelle ne pas raisonner plus loin que le bout de son nez. Chaque centime que l’État investit dans l’enseignement assure un rendement à terme à la société. Nous ne pouvons que nous enrichir d’un enseignement de qualité. Et cela vaut aussi pour les soins de santé, les transports publics, la collecte des déchets…

Ce n’est pas un hasard si l’accord de gouvernement de Michel Ier parle généralement de « clients » des services publics, au lieu d' »usagers ». La logique du marché s’impose de plus en plus profondément à la société, de même que les formes de management privé. Ainsi, le gouvernement Michel – De Wever veut instaurer un « indicateur de productivité », et « soumettre les processus de travail à un examen critique selon la philosophie « lean » ». Le « lean-management » provient du toyotisme. Mais comment définit-on la productivité d’un fonctionnaire qui aide les gens à remplir leurs feuilles d’impôt ? Au nombre de déclarations complétées ? Quel est l’indicateur de productivité d’un enseignant ? On ne peut comparer la productivité d’une école à celui d’une usine qui produit des automobiles. Un service public a une tout autre fonction, une fonction sociale, et il a donc besoin d’une autre forme de gestion.

Des défis de plus en plus grands

Personne ne niera que les défis sociaux et écologiques auxquels est confrontée notre société sont très grands. De la sécurité alimentaire à l’environnement, de l’énergie durable aux transports publics, des crèches pour enfants aux maisons de repos pour personnes âgées, de l’enseignement aux logements sociaux. Quel rôle les services publics doivent-ils jouer afin de pouvoir répondre à ces défis ? Voilà bien une question cruciale.

Ces dernières années, on n’a cessé de détricoter les services publics. Et, entre-temps, il y a de plus en plus de jeunes par classe et les listes d’attente s’allongent partout. Pour l’accueil des jeunes à problèmes, des personnes âgées, des personnes handicapées. Alors que la société se lamente sous les scandales comme LuxLeaks et SwissLeaks, la liquidation du personnel du SPF Finances se poursuit. Sur 22 000 fonctionnaires, 1 200 quittent le service chaque année. De moins en moins de personnes doivent contrôler de plus en plus d’entreprises et de travailleurs affluant de toute l’Europe. La mission devient pratiquement impossible. Ainsi, le manque de personnel au service de l’urbanisme, qui contrôle le revenu cadastral des bâtiments, est si important qu’il devient pratiquement impossible pour les contrôleurs de prendre la route afin d’exercer de véritables contrôles. Tout est désormais traité et réglé de façon « administrative », et cela n’a rien d’un progrès ou d’une modernisation.

Partout, on manque de mains aidantes et de têtes pensantes

La technologie moderne, l’efficacité et un personnel évoluant avec leur époque sont indispensables pour de bons services publics. Mais cela signifie toutefois qu’il faut investir, au lieu de démanteler. Ce n’est pas parce qu’on ne remplacera pas 4 fonctionnaires sur 5 qui prennent leur pension que le service public, du coup, fonctionnera de façon plus efficiente. Bien au contraire. Cela signifie que, dans les prochaines années, quelque 5 000 emplois disparaîtront encore, sans doute, en plus des 6 500 qui ont déjà été liquidés ces cinq dernières années. De plus en plus de secteurs doivent essayer d’assurer le même service à la population avec de moins en moins de personnel.

Cela aboutit au dépouillement de nos services publics, avec de plus en plus de stress pour ceux qui y travaillent encore. Ce dont nous avons besoin, c’est précisément de l’inverse. En temps de crise, précisément, les besoins sociaux augmentent. Partout, on manque de mains aidantes et de têtes pensantes. C’est aussi l’avis de Luc Huyse : « Voyez les programmes des partis : une majorité des partis veulent continuer à déshabiller l’État. Alors qu’après le krach des banques, les États ont déjà été condamnés à un régime de famine. Cela existe aussi, ce qu’on peut appelle l’anorexie de l’État : ceux qui prônent aujourd’hui la poursuite de l’amaigrissement de l’État prônent en fait une diminution de la démocratie. »2

Des mesures gouvernementales draconiennes sans concertation sociale ?

Le 22 avril, facteurs, puéricultrices, pompiers, conducteurs de travail, gardiens de prison, infirmières et enseignants mèneront sans doute une action commune. Jour après jour, qu’il pleuve ou qu’il vente, chaque citoyen ou presque peut faire appel à eux. Pour ses enfants, pour sa santé, pour son transport public. Ces personnes qui, jour après jour, prêtent une oreille attentive à la société ne sont elles-mêmes pas écoutées de leur employeur, l’État. Il ne leur reste d’autre choix que l’action sociale.

Car le gouvernement a en tête toute une série de plans, pour le secteur public : quatre fonctionnaires sur cinq qui prendront leur pension ne seront pas remplacés. Ceux qui resteront devront travailler plus dur et plus longtemps, et pour moins de pension. Le gouvernement veut réduire de 20 % les moyens de fonctionnement des institutions publiques. Et pour la énième fois d’affilée. Le nombre de bureaux locaux va être abaissé, le travail à domicile sera encouragé, davantage de services seront sous-traités par le privé et la privatisation de bpost et de Belgacom se poursuivra. On peut être d’accord avec cela ou non mais le fait est qu’il n’y a pas eu la moindre concertation sociale. Et qu’il d’agit de mesures draconiennes. Bien sûr que, dans ce cas, les gens des services publics sont mécontents de ne même pas pouvoir discuter avec leur employeur (l’État) de toutes les mesures annoncées.

Pourquoi je serai présent à l’action qui aura lieu ce jeudi 19 mars

Comme tous les autres, les gens qui travaillent au service de la société veulent des conditions de travail saines et vivables. Ils se sont unis dans les syndicats des services publics et ne mènent pas des actions à part, mais ensemble. Ce jeudi 19 mars, c’est ensemble qu’ils mèneront une première action place de la Monnaie à Bruxelles, en guise de préambule à la possible grève du 22 avril.

J’y serai, jeudi, afin de les soutenir. Je veux que l’instituteur soit motivé, et non qu’il craque sous le burn-out. Je veux que la société ait vraiment la possibilité de pincer les fraudeurs, et non un modèle informatique qui réduit quasiment à rien cette possibilité. Je veux que les guichetiers aient le temps d’écouter et non qu’ils appliquent la règle des 20 secondes pour me renvoyer dans un labyrinthe. Je veux des agents de quartier qui connaissent le voisinage et tous les recoins du quartier, au lieu de croiser en rue des robocops ou des paras sur pied de guerre. Je veux que le machiniste puisse faire la grasse matinée, puisse prendre ses congés, et ne doive pas se farcir des doubles pauses. Je veux que le facteur puisse prêter l’oreille à ma voisine de 94 ans et qui, de temps en temps, a besoin de bavarder un peu. Je veux du personnel soignant pour les personnes âgées, qui ait du temps à consacrer aux gens, afin de leur entretenir la santé, et parce que chaque être humain compte. Je veux que l’on soit à l’écoute des agents des services publics, et que leurs syndicats aient la possibilité d’une véritable concertation sociale. Et je serai donc présent, ce jeudi 19 mars, lors de l’action en faveur des services publics.

1. Interview: « Luc Huyse kijkt voorbij de democratie » (Luc Huyse passe la démocratie en revue), De Standaard, 19 avril 2014 • 2. Humo, 22 avril 2014, p. 7.

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