Thierry Fiorilli

L’enfant roi est devenu l’enfant proie

Thierry Fiorilli Journaliste

On a beau tribaliser et compartimenter avec autant de méthodes que de frénésie, tout finit toujours par s’entremêler. Jusqu’aux générations. Un moment ou l’autre, la Bof s’accole à la Y, comme la Z se fond dans la 68, etc.

Et pas seulement parce qu’elles se croisent, au hasard d’une rue. Aussi parce qu’il arrive que, malgré les paramètres sociologiques très stricts qui les délimitent (époques, pratiques, représentations), elles se retrouvent exposées aux mêmes réalités. Avec les mêmes bienfaits ou les mêmes risques à la clé.

C’est le cas aujourd’hui, semble-t-il. Quelle que soit la génération à laquelle on appartient, le stress, les pressions de toute nature, l’obligation de résultats, le poids des responsabilités et l’imperméabilité croissante à une quelconque différence (d’avis, de choix, de conviction, de religion, de comportement…) nous envoient dans les cordes. Burn-out, dépression, épuisement… Peu importe, en fait, le terme et les symptômes exacts : désormais, pratiquement de 7 à 77 ans, on peut exploser en plein vol, sombrer, s’effondrer, pour les mêmes motifs.

Trop de choses à gérer, trop d’attentes des autres sur les épaules, trop de domaines où il faut exceller, trop de canons à respecter, trop de contraintes, de carcans, de dramatisation de l’échec. Et donc, plusieurs pédopsychiatres et autres experts des comportements d’ados et préados avertissent : nos enfants peuvent craquer, eux aussi. Comme les adultes. Mêmes causes, mêmes résultats. D’ailleurs, nos enfants craquent, déjà. De plus en plus souvent. De plus en plus tôt. De plus en plus fort. De plus en plus longtemps.

Dur à entendre. Dur à admettre. Pour tant de raisons. On nous avait, jusqu’ici, plutôt reproché de tout leur passer. Tout leur offrir. D’estomper les limites. De les déshabituer à l’effort, de les gaver de louanges, de n’accepter aucun avis plus mitigé à leur égard, (forcément) émis par des tiers, (forcément) jaloux ou incompétents. De nous couper en vingt-quatre pour que leur vie et son décor s’apparentent à un feel good movie, comme on dit dorénavant. Un film à happy end, romantique et lumineux. Un mélange de conte de fées, marâtres et méchants en moins, et d’histoire d’ascension irrésistible vers le succès, la gloire, la fortune.

Et puis maintenant, quoi ? Maintenant, voilà qu’on nous assène qu’en fait, on est trop exigeant ! Et l’école aussi. L’école ! Jusqu’il y a peu accusée de laxisme, de désengagement, de niveler par le bas. En fait, nous aurions fait de nos enfants des machines à réussir. Partout. En tout. Tu dois être premier, mon fils. Tu dois être la meilleure, ma fille. Aux examens, au foot, au piano, à la danse, à l’anglais… Nous, on se décarcasse, pour que tu aies accès à tout, ne t’inquiète pas. Mais en contrepartie, gagne ! Flambe ! Rafle les premiers prix ! Ne nous déçois pas, de grâce. Et n’oublie pas, entre les coups, entre les cours, de t’occuper de ton petit frère. Veille à ce qu’il mange un fruit au goûter. Et sors le chien, parce qu’on rentrera tard, nous, aujourd’hui.

Dur. Mais pas faux. Et pas contradictoire. Il y avait comme une obligation de bonheur dans la fabrication d’enfants rois. C’est cette même obligation qui débouche aujourd’hui, pour beaucoup, sur une profonde détresse, plus ou moins bien camouflée, combattue ou non, identifiée pendant un certain laps de temps. Avant qu’elle prenne le dessus. Pour autant, le dossier que nous y consacrons ne vise pas à culpabiliser. Il démontre que l’enfant d’aujourd’hui est, plus qu’hier, une proie de choix pour l’angoisse et, oui, le surmenage. Mais qu’on peut lui éviter le naufrage. Comme on peut le sauver.

On ? Nous, parents. Pas seulement. Mais avant tout.

>>> Lire l’enquête Burn out: Pourquoi de plus en plus d’enfants craquent aussi?

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