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Kubla : l’enquête rebondit

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’étau judiciaire se resserre autour de l’ex-bourgmestre MR de Waterloo, désormais poursuivi pour blanchiment. Nouvelles perquisitions et interrogatoires.

La rumeur bruissait depuis plusieurs semaines dans les couloirs du palais de justice de Bruxelles. A la fin du mois de juin dernier, des perquisitions ont eu lieu chez Serge Kubla et des membres de sa famille, qui ont été arrêtés et interrogés par le juge Michel Claise. L’instruction judiciaire ouverte en 2015 a, en effet, été élargie à un autre volet : l’ancien ministre wallon MR n’est plus seulement suspecté de faits de corruption, il est aussi poursuivi pour blanchiment d’argent. A l’issue de son interrogatoire, au vu des éléments dont disposent les enquêteurs, il n’aurait eu d’autre choix que d’avouer avoir blanchi de l’argent placé sur un compte suisse. L’enquête du juge Claise a donc pris un tournant déterminant.

Explications : début 2015, Kubla avait été arrêté et incarcéré à la prison de Saint-Gilles. La justice le soupçonnait alors de « corruption concernant une personne qui exerce une fonction publique dans un Etat étranger ». Cette personne était l’ancien Premier ministre congolais Adolphe Muzito, à l’épouse duquel Kubla aurait remis, en 2011, dans un hôtel bruxellois, une enveloppe contenant 20 000 euros, en tant qu’intermédiaire du repreneur industriel Duferco, bien connu en Wallonie. Cette enveloppe n’aurait constitué que l’acompte d’une somme beaucoup plus importante destinée à corrompre Muzito pour permettre à Duferco de pénétrer le marché congolais. Les deux dirigeants du groupe sidérurgique, Antonio Gozzi et Massimo Croci, ont également été inculpés de corruption par le juge Claise.

A la suite de la publication d’un document révélé par Le Soir Magazine, la justice s’est ensuite intéressée à Socagexi Ltd., une société écran créée à Malte

par Serge Kubla, via laquelle le libéral facturait à une entité de Duferco des « frais de consultance » : 260 000 euros par an, depuis 2009. A l’époque, il n’était plus ministre mais député wallon et toujours bourgmestre de Waterloo. Politique en Belgique et homme d’affaires au Congo… Peu après, selon Le Soir Mag, le Luxembourg a transmis à la Cellule belge antiblanchiment (Ctif) des informations selon lesquelles, entre 2010 et 2013, Serge Kubla aurait retiré 450 000 euros en cash au guichet d’une banque grand-ducale. Il y avait clairement soupçon de blanchiment d’argent de la part des autorités du pays voisin.

La Ctif a relayé les informations au parquet fédéral de Bruxelles, qui s’occupe de cette affaire aux ramifications internationales, mais, comme l’a écrit Le Soir Mag, celui-ci a gelé ces nouveaux éléments pouvant intéresser l’instruction judiciaire, pour des raisons qu’on ne s’explique pas. Depuis lors, au début de cette année, le procureur en charge du dossier Kubla a été remplacé au parquet fédéral. Son successeur a aussitôt élargi la saisine du juge Claise – pour corruption – de manière à ce que l’enquête se penche aussi sur le volet blanchiment.

D’où les perquisitions et arrestations de la fin juin, chez les Kubla : Serge, son épouse, sa fille et son fils Laurent, 40 ans, qui aurait aidé son père, qui ne parle pas anglais, à gérer la société Socagexi, à Malte. La famille a donc été secouée dès six heures du matin, ce jour-là. Les policiers les ont interpellés et emmenés pour interrogatoire, puis libérés, sous conditions dans le chef de Kubla père. L’avocat de ce dernier, Me Denis Bosquet, a confirmé que Serge Kubla avait été réinterrogé mais s’est refusé à tout autre commentaire.

Ce qui intéresse les enquêteurs, c’est un compte suisse, ouvert auprès de la banque privée genevoise Pictet, qui se consacre à la gestion de fortune et possède des bureaux dans toute l’Europe. C’est de ce compte que Kubla a retiré de l’argent cash depuis une filiale au Luxembourg. La Suisse a également coopéré avec la justice belge qui, aujourd’hui, détient l’historique du compte helvétique.

Cinq millions d’euros

Un compte alimenté en argent liquide, ouvert en 1997 au nom d’une fondation au Lichtenstein, le royaume – jusqu’il y a peu – des sociétés boîtes aux lettres chères aux évadés et fraudeurs fiscaux. Cette société, appelée Swap Foundation, dont les enfants de Kubla sont les ayants droit en cas de décès de ce dernier, a déménagé en 2007 pour devenir la Swap Fundación, au Panama, tout en gardant le même compte chez Pictet. Début 2013, la Swap n’avait plus d’activités et le compte suisse était directement libellé au nom de Serge Kubla. Lequel va vider progressivement son compte en faisant, selon nos informations, un dernier retrait en cash depuis le Luxembourg, à l’automne 2013, de près de… 800 000 euros.

En réalité, le libéral semble devenu persona non grata auprès de la banque suisse qui l’a fiché comme PEP, soit politically exposed person, c’est-à-dire faisant partie d’une catégorie d’individus (chefs d’Etat, ministres, hauts magistrats, hauts fonctionnaires, ambassadeurs…) particulièrement sujets à la corruption. A cette époque, sous la pression internationale, l’ensemble des banques suisses poussent vers la sortie leurs clients douteux. Or, il apparaît, dans les rapports de Pictet, qu’en 2013, Kubla a étudié la piste de la DLU, l’amnistie fiscale belge, pour rapatrier son argent en Belgique. Mais celle-ci ne lui était pas applicable car l’origine de ses fonds semblait trop problématique. Il n’avait plus, dès lors, que l’option du retrait en cash.

Des aveux

Reste maintenant à savoir ce que Kubla a fait de tout son argent liquide. S’il est en aveu de blanchiment, les enquêteurs devraient rapidement le découvrir. Vers 2006, son capital placé chez Pictet s’élevait à près de cinq millions d’euros, avant de fondre d’un tiers du fait de la crise bancaire. Il y aurait néanmoins encore de jolies sommes en jeu. Reste aussi à expliquer d’où venait l’argent déposé en cash chez Pictet depuis 1997. Kubla a dit aux enquêteurs avoir travaillé comme consultant en Afrique pour Duferco dès 2009, année à partir de laquelle il facturait 260 000 euros par an. Mais avant cela ?

Le groupe italien a repris les Forges de Clabecq en 1997, puis a reçu, à partir de 2003 et pendant dix ans, un demi-milliard d’euros de subsides et aides wallonnes pour maintenir les outils à Clabecq, La Louvière et Marcinelle, via la FSIH (Foreign Strategic Investment Holding), un instrument public wallon hybride créé de toutes pièces en 2003 pour alimenter le sidérurgiste italien en contournant les règles européennes de libre concurrence. Kubla a été ministre wallon de l’Economie de 1999 à 2004. A-t-il facturé d’autres discrets « services » à Duferco durant toutes ces années ? L’enquête suit son cours. En plongeant dans le volet blanchiment, la justice risque d’ouvrir une belle boîte de Pandore : celle de la mécanique des subsides wallons.

Contacté par Le Vif/L’Express, le parquet fédéral précise que « des devoirs d’enquête ont bien eu lieu fin juin, que Serge K. a été inculpé pour blanchiment et libéré sous conditions ».

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