Armand De Decker © Belga

Kazakhgate: « Selon Armand De Decker, il y avait urgence »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’audition ce 7 juin, par la commission Kazakhgate, des chefs de cabinets du ministre de la Justice de l’époque risque d’enfoncer un peu plus Armand De Decker. En tout cas, si ceux-ci répètent aux députés ce qu’ils ont déjà dit aux enquêteurs… Extraits.

Bruxelles, février 2011. Le fameux trio kazakh vient de se voir renvoyer devant un tribunal correctionnel, dans le dossier de corruption Tractebel. Les avocats de Patokh Chodiev et de ses deux acolytes doivent trouver, à tout prix, le moyen d’éviter aux Kazakhs un procès public. Depuis plusieurs semaines, l’idée d’une discrète transaction pénale se dessine. Pour cela, la loi belge doit être adaptée. Ce que le parlement fera dans l’urgence. Mais l’a-t-il fait à l’instigation de l’Elysée à qui le président kazakh a conditionné la signature d’un contrat aéronautique au « sauvetage » de son ami Chodiev en Belgique ? De nombreux éléments le laissent penser, dont cette visite dominicale insolite à Stefaan De Clerck (CD&V).

En effet, le dimanche 20 février 2011, Armand De Decker et Catherine Degoul, avocats des Kazakhs, se sont rendus au domicile courtraisien de Stefaan De Clerck, alors ministre de la Justice. Une visite que De Clerck reconnaîtra en 2015, face aux enquêteurs belges, en la qualifiant de « petite réunion pas plus longue qu’une visite de courtoisie ». Mais une réunion qui concernait bien le dossier Chodiev et l’intervention éventuelle du ministre dans celui-ci. Lequel a affirmé avoir refusé toute ingérence dans cette affaire judiciaire.

Plus confondant : dès le lendemain, le 21 février 2011, Armand De Decker et Catherine Degoul ont déboulé sans prévenir au cabinet du ministre, cette fois. « De Decker n’avait pas téléphoné, il s’était présenté spontanément », a raconté aux enquêteurs Jo Baret, le chef de cabinet qui les a reçus. Actuellement à la retraite, ce dernier a expliqué, laconique : « De Decker a brièvement déclaré qu’il était en représentation pour l’Elysée. » Lors de cet entretien improvisé, la cheffe de cabinet adjointe Paule Somers était également présente. Interrogée en février 2016 dans le cadre de l’enquête judiciaire, celle-ci, aujourd’hui procureur fédérale, s’est montrée plus prolixe et précise dans ses souvenirs. « Le but de cette visite au cabinet était de demander à Monsieur De Clerck de donner une injonction positive au parquet de Bruxelles afin qu’une transaction pénale soit donnée dans le cadre du dossier Chodiev », a-t-elle expliqué aux policiers.

La magistrate a ajouté : « Il convient de préciser que lors de cette visite, Armand De Decker a précisé qu’il ne venait pas en sa qualité de président du Sénat mais bien en sa qualité d’avocat de l’Elysée, tandis que la dame (Ndlr : Catherine Degoul) a été présentée comme étant l’avocate de Monsieur Chodiev. Armand De Decker a aussi précisé que l’intervention de l’Elysée était liée à l’octroi d’un marché en matière d’aéronautique entre le Kazakhstan et la France. » Paule Somers a aussi confié aux enquêteurs cet élément interpellant : « Armand De Decker insistait parce que, selon lui, il s’agissait d’une question de délais et qu’il y avait urgence ». Le sénateur MR faisait-il référence au salon aéronautique du Bourget, fin juin 2011, où le contrat portant sur des hélicoptères français devait être définitivement signé ?

Si c’est le cas, cela conforte la thèse selon laquelle l’urgence d’adopter la transaction pénale élargie pour en faire bénéficier Chodiev était liée à la signature des contrats franco-kazakhs ce jour-là au Bourget. C’est d’ailleurs ce qu’avait exposé, dans ses mails et notes confidentielles à l’ex-ministre français Claude Guéant, Jean-François Etienne des Rosaies, cet homme de l’ombre de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy. Cela illustre aussi la teneur du fameux bristol du 18 août 2011 (révélé dans Le Vif du 4 mai dernier), écrit de la main de Claude Guéant qui se félicitait du « magnifique travail » effectué par De Decker, « qui ne peut que servir les intérêts de la France ».

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