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Joëlle Milquet, la bombe à retardement

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Perquisitions à son cabinet et à son domicile, affaire Özdemir, « cours de rien »… L’héritage et la méthode Milquet menacent son parti et la majorité francophone et placent la ministre de l’Education dans une position de plus en plus délicate. Au sein du CDH, certains veulent même tourner la page. Mais, parce qu’elle reste un poids lourd électoral, d’autres rétorquent qu’il faut absolument sauver le soldat Milquet.

« Décidément, on accumule les merdes… » Lundi, ce collaborateur de Joëlle Milquet lâchait ce cri du coeur après une nouvelle tuile pour la super-ministre francophone de l’Education : les copies de l’épreuve d’histoire pour le Certificat de l’enseignement secondaire supérieur (CESS) ont fuité. Résultat ? Examen annulé. C’était avant qu’une autre tuile d’envergure ne touche de plein fouet l’ancienne vice-Première CDH au fédéral : ce mardi, des policiers ont mené des perquisitions à son domicile et à son cabinet. Ce mercredi, d’autres fuites sur l’examen de fin d’année en sciences, ont encore ajouté une couche de polémiques autour du cabinet Milquet.

Harassée par les dossiers minés au sein du gouvernement francophone, affectée par l’exclusion de la députée bruxelloise Mahinur Özdemir, dépossédée de son pouvoir suprême au sein du parti, la diva du CDH n’en mène donc pas large. « Elle n’est pas en forme, au bout du rouleau », résume un humaniste bruxellois.

Fin mai, l’exclusion « brutale » de la députée bruxelloise Mahinur Özdemir, en raison de sa non-reconnaissance du génocide arménien, exprime aussi un malaise interne au CDH. En un jour, et sans la forme, Benoît Lutgen ruinait potentiellement l’inlassable travail mené par sa prédécesseure au fil des ans pour ouvrir le parti au-delà des rangs chrétiens et fidéliser les minorités culturelles à Bruxelles. Une quête spontanée. Les deux « amis », comme ils disent chacun, ne sont pas en désaccord sur le fond : ils s’entendent sur la nécessité absolue de défendre ces valeurs universelles au sein du CDH. « Elles s’imposent à tous, qu’ils soient croyants ou non-croyants, insiste Lutgen. C’est non négociable ! » « Si la décision d’exclure a été prise, ce n’est pas parce que la députée en question était d’origine musulmane, complète Maxime Prévot, vice-président wallon et étoile montante de la famille humaniste. Elle l’a été parce qu’elle a refusé mordicus de reconnaître un génocide. Si ce n’est pas sur des éléments comme ceux-là que l’on s’indigne, alors cela ne vaut plus la peine de militer ! »

L’incident, inattendu, a permis aussi à Benoît Lutgen et à la nouvelle génération de rompre avec l’image de « parti des religions » développée à son corps défendant dans l’opinion par Joëlle Milquet. « L’exclusion de Mahinur Özdemir est un événement douloureux, personnellement sur le plan humain, car il s’agit d’une jeune femme que j’aime bien, universitaire compétente, humaine, sérieuse, travailleuse avec laquelle nous avons non seulement travaillé mais eu des relations amicales et humaines », répète Milquet. Dont on devine que, sur la forme, elle n’a guère apprécié la façon « virile » avec laquelle Lutgen est intervenu. Au risque de commettre un vice de procédure.

A la Fédération Wallonie-Bruxelles, tout n’est pas non plus de tout repos pour l’ex-patronne du CDH. Joëlle Milquet y a hérité de l’Education, de la Culture et de l’Enfance, soit près de la totalité du budget francophone. « C’est sans doute le plus gros portefeuille jamais décroché pour une seule ministre, souligne un ténor du parti. Benoît le lui a proposé parce que ce sont des terrains stratégiques pour nous, où sa combativité et sa créativité sont indispensables. Mais aussi parce que, comme ça, elle est occupée matin et soir, qu’elle le dérangera moins. »

Elle y est critiquée par certains de ses partenaires socialistes qui jugent ses méthodes « ingérables » et son attitude « idéologique » dans la préparation du dénommé « cours de rien », l’encadrement pédagogique temporaire imposé de facto par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars dernier. La ministre retourne bien les critiques au PS, qu’elle accuse de mener « un combat laïc d’arrière-garde ». « Les représentants des franges laïques sont souvent les premiers à faire un mauvais procès aux filières du réseau libre, au motif que, d’inspiration chrétienne, elles sont dogmatiques, raille Maxime Prevot. Souvent, les laïcs le sont bien davantage. »

Jusqu’où se développera le « Milquet bashing », se demandent ses proches ? Veut-on profiter de la multiplication des attaques dont elle est l’objet pour la forcer à faire un pas de côté ? Mais « Joëlle a une force qu’il ne faut pas oublier, rappelle un député : elle recueille un nombre de voix impressionnant à Bruxelles, tandis que la nouvelle ministre Céline Frémault peine à convertir son travail réel en votes. Bref, elle est indéboulonnable. » Autrement dit, il faut sauver le soldat Milquet. Par attachement peut-être, par pragmatisme surtout. « C’est incontestable, dit ce compagnon de parcours de sa génération. Mais Joëlle a 54 ans… C’est bien qu’elle ait encore été ministre cette fois-ci, mais il faut qu’elle songe à se retirer en 2019. » « D’autant qu’elle a une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, prolongeait un membre du CDH avant les perquisitions. Je ne pense pas qu’elle a cru qu’un juge d’instruction serait désigné dans le cadre de l’affaire révélée par Le Vif… »

Au milieu de la tourmente, un proche s’interroge spontanément : « Je me demande si elle pourra tenir. »

Dans Le Vif/L’Express en vente demain : le dossier spécial. Avec :

– Diversité : une politique « attrape-voix »

– Enseignement : un ministre volontaire mais brouillonne

– L’interview de Joëlle Milquet : « Je suis tout sauf communautariste »

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