Olivier Mouton

Il est temps de riposter face à la haine déversée sur le Net

Olivier Mouton Journaliste

En épinglant les dérives racistes sur la Toile, le Conseil de l’Europe met en évidence un constat de plus en plus préoccupant. Tant la ministre de l’Intérieur que des ONG tentent de réagir. La question, délicate, doit être une priorité politique et citoyenne.

Soulaimane avait quinze ans à peine. Il est mort, vendredi passé, écrasé par une rame de métro dans la station Osseghem à Bruxelles. Un fait divers tragique comme il y en a trop. Sauf que… Cet adolescent venait d’être contrôlé par la police, il est d’origine étrangère et la polémique est venue s’ajouter au drame: il se serait suicidé ou, au contraire, il aurait été mis sous pression jusqu’à tomber sur les rails. Qu’en penser? A vrai dire, il est tout simplement impossible de se prononcer tant que les faits ne sont pas éclairés, que l’enquête n’a pas eu lieu et, in fine, que l’on tente sereinement de prendre en compte toutes les dimensions d’un tel événement.

Pourtant, sur les forums en ligne, comme chaque fois qu’un tel fait divers vient émailler l’actualité de sa sombre réalité, les commentaires s’enflamment. Sur le site en ligne de Sudpresse, comme sur tant d’autres, la parole se délivre sans retenue. Extraits choisis et édulcorés: « s’il se barre, c’est qu’il a quelque chose à se reprocher.. Parce qu’il a le teint un peu foncé et qu’il se passe quelque chose, du coup c’est la police qui est responsable..S’il n’avait rien à se reprocher, il n’avait pas à fuir » ou « il suffit de regarder dans les mutuelles , chômage et hôpitaux publics comme Brugman , il y a 80 % de (mot injurieux) profiteurs ! ! ! » Réplique d’un internaute: « J ai honte des commentaires haineux… honte que personne ne filtre ces messages honte que vous vous cachiez derrière la liberté d expression pour cracher votre haine!!!!! »

Chaque jour, la haine et le racisme se déversent sans retenue. En ligne. Instantanément. Comme un flux continu de nos instincts primaires. Chaque jour, des citoyens expriment en réponse leur dégoût de voir proférer tout et son contraire sans la prudence la plus élémentaire, sans la moindre retenue ni la moindre pudeur. Un match nul, où les expressions contradictoires se renforcent les unes les autres.

C’est ce que la Commission contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe épingle dans son dernier rapport sur la lutte contre le racisme en Belgique. Si des progrès ont été accomplis au niveau législatif dans notre pays, il reste cette zone d’ombre sur internet qui ne cesse d’enfler. Le révélateur d’un malaise, d’une ère de crise sociale et morale, d’une inquiétude sourde teintée d’incompréhension. La marque indélébile d’une intolérance qui croît, aussi, par delà les statistiques démontrant que la criminalité ne croît pas forcément à la mesure de ce qu’une partie de l’opinion publique exprime.

Le problème est malheureusement trop connu. Sur internet, les voix les plus tranchées profitent de l’anonymat conféré ou de la distance virtuelle de l’écran pour exorciser leurs démons, des opinions minoritaires s’organisent pour paraître majoritaires… Bombardés d’expressions les plus diverses, les médias et les réseaux sociaux ne peuvent faire face à cette déferlante: moyens trop limités pour modérer les opinions, fermetures de forums rapidement considérées comme une atteinte à la liberté d’expression…

Attention, danger? Oui.

La ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation au sujet des dérives de la Toile, que ce soient les expressions racistes ou la propagation d’idées intégristes. Elle a diffusé en décembre une circulaire pour appeler à une collaboration étroite entre la police et la justice dans la lutte contre ce fléau. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a été invité à réagir plus promptement en cas de dérapage. Cette prise de conscience n’a pas encore porté ses fruits. Pourtant, dans les deux cas, des décisions s’imposent, pour illustrer clairement les limites à ne pas franchir.

Une ONG comme Amnesty international, qui se bat depuis des décennies en faveur de la liberté d’expression, a même imaginé créer des « brigades » d’internautes susceptibles de réagir aux diatribes inadéquates avec un argumentaire nuancé. Une intention louable, mais une goutte d’eau face à cette montagne que représente l’impunité sur internet.

C’est le combat de Don Quichotte contre les moulins à vent. Récemment, Jérôme Jamin, spécialiste des extrémismes et des populismes à l’université de Liège, soulignait combieninternet est devenu un vaste territoire incontrôlable sur lequel il fallait se résoudre à ne pas avoir prise. La vraie réplique, disait-il, passait par une éducation à la citoyenneté, un développement de l’esprit critique. Ce doit être, en effet, une priorité absolue!

A la lecture de cette opinion, certains lecteurs se sentiront peut-être bafoués dans « leur » vérité. La liberté d’expression serait un droit absolu, intangible. Faux: il existe des lois contre le racisme, la xénophobie et l’incitation publique à la haine. N’oublions pas que dans certains pays comme le Rwanda, ce sont notamment des paroles caricaturales martelées à longueur de journée sur Radio Mille collines qui ont transformé une partie de la population en génocidaires. Une comparaison caricaturale? Voire…

Une telle « police de la morale », pourrait-on aussi argumenter, nie les vrais problèmes, protège les profiteurs du système, occulte les tensions entre communautés et les violations de nos valeurs occidentales par des populations accueillies sur notre territoire. Faux, là encore. Il ne s’agit pas d’occulter les réalités, mais bien de les objectiver et d’y apporter les réponses adéquates, modérées, démocratiques. Sans que la haine et l’intolérance des justiciers de la plume ne contribuent à renforcer encore ce malaise, au risque qu’il ne devienne incontrôlable.

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