« Il est grand temps que toutes les entreprises paient leur part de l’impôt »
On remarque les premiers signes de reprise de l’économie : il y a un regain de croissance et de l’optimisme parmi les consommateurs et les entrepreneurs. Edwald Pironet a rencontré Fons Verplaetse (ex-gouverneur), Luc Coene (ex-gouverneur) et Norbert De Batselier (ex-directeur), qui ont tous les trois dirigé la Banque Nationale de Belgique, pour leur demander ce qu’ils en pensaient de la crise.
Nous avons mieux traversé la crise que d’autres pays européens, mais si nous tenons compte du nombre d’habitants, notre prospérité n’est pas encore au niveau de 2007. La Belgique comptait alors 10,5 millions d’habitants pour un PIB de 378,7 milliards d’euros. Cela revient à une moyenne de 36.066 euros par habitant. En 2014, nous avions 11,1 millions d’habitants pour un PIB de 35.072 euros par personne. Ce n’est qu’en 2016 que nous aurons à nouveau un PIB par habitant du niveau de 2007. À cause de la crise, nous avons perdu neuf ans, c’est beaucoup. On peut vraiment parler d’une décennie perdue.
Quelles étaient les autres conclusions ?
Si on analyse la situation à travers la lorgnette du marché de l’emploi, nous avons bien traversé la crise, car le taux de chômage n’est passé « que » de 7.5 % à 8,5 %. Mais les différences régionales sont grandes : En Flandre, il n’est que de 5,1 % et en Wallonie il est de 11,8 % et monte même à 18,3 % à Bruxelles. Coene précise pour sa part que la Belgique est l’un des plus petits pays européens, mais qu’il n’y a nulle part ailleurs une telle différence entre les régions et provinces.
Derrière ces chiffres il y a aussi une tendance qui n’augure rien de bon : il y a aujourd’hui 179.000 emplois de plus qu’en 2007, mais quels sont-ils ? Dans l’industrie près de 74.000 postes ont disparu. Dans les services dits de marché comme les commerces, l’horeca ou les institutions financières, il y a 16.000 emplois supplémentaires. Dans le secteur privé par contre, 58.000 emplois ont été perdus. Ces nouveaux emplois sont donc des emplois payés par l’état ou largement subsidiés par ce dernier : dans les institutions étatiques, dans l’enseignement, dans les soins de santé et dans les services de société. Les titres services ont permis, à eux seuls, la création de 86.000 emplois, c’est la moitié des nouveaux emplois créer entre 2007 et aujourd’hui. Verplaets n’est pas tendre. « La création de nouveaux emplois se fait surtout sur le dos des finances de l’état, et ça va être très difficile de continuer comme ça. Créer de nouveaux emplois dans le privé et dans l’industrie est notre plus grand défi. »
Le coût salarial et le tax shift
Si les trois hommes n’arrivent pas à se mettre d’accord sur l’ampleur du handicap salarial, ils se rejoignent sur le fait qu’il faut un tax shift d’au minimum 10 milliards d’euros. Coene précise même que « le tax shift est même le plus grand défi politique du gouvernement Michel » . Mais les trois hommes doutent que celui-ci ait bien lieu. Verplaetse pense que l’économiste est bien impuissant face à la politique. « De façon rationnelle, les mesures à prendre sont évidentes, mais l’homme politique n’oublie jamais qu’il doit être réélu. Bien sûr qu’il doit y avoir un tax shift, mais qui va le payer ? En Belgique cela a souvent entrainé des compromis qui ont donné l’impression qu’il n’y avait que des gagnants. Les réformes de l’état par exemple sont toujours favorables à la Flandre et à la Wallonie, mais qui paye la facture ? L’état fédéral. Lorsqu’il y a des accords sociaux entre employé et employeur, les deux partis sont satisfaits. Mais pour qui est l’addition ? L’état. Les problèmes sont ici souvent résolus par du troc à la belge. Oserais-je le dire ? Nous vivons dans un pays irrationnel.
Subsides salariaux
Fons Verplaeste évoque aussi un contrôle plus strict des subsides salariaux. « L’an dernier, les entreprises ont reçu 12,1 milliards d’euros de subsides. La moitié était des subsides salariaux, par exemple pour le travail de nuit, mais ceux-ci ne sont pas repris dans les chiffres des coûts salariaux qui sont toujours publiés. En réalité, les coûts salariaux sont donc moins élevés. » Pour l’ancien gouverneur, les subsides représentent un montant plus ou moins similaire aux taxes payées par les entreprises. « On ne voit ça dans aucun autre pays. Toute la politique des subsides doit être réétudiée. Il est grand temps que toutes les entreprises paient leur part de l’impôt », insiste-t-il.
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