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Dix erreurs politiques que les francophones paient toujours : l’Islam de Belgique confié à l’Arabie saoudite

L’Arabie saoudite est soupçonnée d’avoir infusé durant de longues années son islam radical dans la communauté sunnite de Belgique. Comment limiter son influence sans renoncer aux pétrodollars ni fâcher un allié de longue date ?

Ceci n’est pas un réquisitoire. C’est un constat. Dans plusieurs secteurs, depuis des années, et parfois plus que ça, la réalité belge (surtout francophone) est au pire désolante au mieux problématique. De grands projets jamais aboutis, des difficultés budgétaires récurrentes, des modernisations inexistantes, des querelles de clocher, des communautés hermétiques les unes aux autres, des pléthores qui se transforment en manques, des politiques de mobilité catastrophiques, des stratégies énergétiques qui tournent au fiasco… Beaucoup de choses se réalisent, des progrès ont lieu, des initiatives positives se révèlent des succès mais, ne nous mentons pas, les raisons de s’arracher les cheveux sont nombreuses.

Ces situations sont souvent typiquement belges. Parce qu’elles résultent de décisions prises dans un contexte qui nous était tout particulier. Le Vif/L’Express en épingle dix. Dix décisions politiques, récentes ou lointaines, qu’on est en droit, aujourd’hui, de considérer comme mauvaises. Comme ayant provoqué les blocages, les échecs, les faillites, les casse-tête auxquels nous sommes confrontés au quotidien.

Nous les énumérons. Nous rappelons le contexte qui y a présidé. Nous en décryptons les conséquences. Et nous proposons la ou les solutions qui permettraient de ne plus en payer le prix.

Le contexte

Les attentats du 22 mars 2016 ont braqué les projecteurs sur l’acteur dominant de l’islam belge : la Grande Mosquée ou mosquée du Cinquantenaire, organisée sous la forme d’une asbl, le Centre islamique et culturel de Belgique, qui est également le siège européen de la Ligue islamique mondiale ou  » Rabita « . La Ligue a été créée à La Mecque, en 1962, sous l’impulsion, notamment, de Saïd Ramadan, gendre du fondateur des Frères musulmans, activiste international d’un projet panislamique totalitaire. Selon un ancien patron de la CIA, la Ligue aurait dépensé 90 milliards de dollars pour répandre son idéologie : le wahhabisme. Bruxelles a été sa première tête de pont en Europe, avec une telle continuité dans le prosélytisme que la commission d’enquête parlementaire sur les attentats s’interroge aujourd’hui sur son rôle dans le repli communautaire, voire l’extrémisme violent.

En 1967, le roi Baudouin promet au roi Fayçal d’Arabie saoudite la jouissance du Pavillon oriental, au parc du Cinquantenaire, afin qu’il puisse le transformer en mosquée. Deux ans plus tard, un bail emphytéotique de nonante-neuf ans assorti d’une convention formait la base légale de ce geste non dénué d’arrière-pensées économiques ou diplomatiques. C’était une autre époque. Le communisme était l’ennemi absolu tant à l’Est qu’au Sud, y compris sous sa forme laïque et socialiste dans certains pays arabes opposés aux monarchies archaïques du Golfe. Les Etats-Unis protégeaient l’Arabie saoudite et sa monarchie en vertu du pacte du Quincy, signé en 1945, en échange du pétrole. Ce pacte a été renouvelé en 2005 malgré les attentats du 11-Septembre, où étaient impliqués une majorité de ressortissants saoudiens. Notre pays a tiré des bénéfices secondaires de cette alliance en matière de contrats pétroliers et d’investissements. Mais personne ne s’est inquiété de l’impact que pouvait avoir à long terme l’influence saoudienne. En principe, un Etat qui prohibe toute autre religion que l’islam, pratique les châtiments corporels et traite les femmes comme des mineures à vie n’aurait pas dû être chargé de la vie spirituelle de musulmans européens. Mais ceux-ci, fin des années 1960, n’étaient pas encore très nombreux : des diplomates, quelques étudiants et fils de bonne famille, de rares réfugiés politiques. Les immigrés du travail d’ascendance maghrébine ou turque, porteurs de traditions plus modérées, viendront plus tard. La mosquée du Cinquantenaire ne fut inaugurée qu’en 1978 car les travaux de rénovation, à charge de l’Arabie saoudite, prirent du temps. Quatre ans auparavant, en 1974, l’islam avait été reconnu et devenait éligible au financement public. En théorie. Mais de quel islam s’agissait-il ? Avec quel représentant ( » organe chef de culte « ) ? Le Vatican wahhabite – La Mecque – avait les réponses.

Le constat

L’islam sunnite n’est pas monolithique. Outre ses diverses origines ethno-nationales, il se décline en quatre écoles juridiques dont le hanbalisme, la plus fermée, est celle dont se revendiquent l’Arabie saoudite et le Qatar, Al-Qaeda et l’Etat islamique. Le régime saoudien est profondément bicéphale : si le pouvoir religieux appartient à la famille Aal ash-Shaykh, héritière d’Abdelwahhab, le pouvoir politique, lui, est aux mains des Saoud, plus pragmatiques. Le wahhabisme se définit par six principes : monothéisme intransigeant, horreur de l’innovation, loyauté exclusive à l’égard des coreligionnaires et rejet des non-musulmans, excommunication des mécréants et des musulmans déviants (soufis, chiites), promotion de la lutte armée. Cette idéologie s’est répandue dans le monde entier, grâce aux pétrodollars.

Personne ne s’est inquiété de l’impact que pouvait avoir à long terme l’influence saoudienne

L’Arabie saoudite revendique ouvertement le droit, et même le devoir, de convertir le reste du monde à l’islam ou à sa vision de l’islam. Sharia4Belgium et le parti Islam n’ont rien inventé. A peine ouverte à Bruxelles, la Grande Mosquée ne faisait pas mystère, dans des tracts en arabe, de sa volonté de faire flotter bien haut le drapeau de l’islam. Cette institution ouvertement prosélyte et réactionnaire est dirigée de l’extérieur : le conseil d’administration du Centre islamique et culturel de Belgique est composé des ambassadeurs des pays musulmans en poste à Bruxelles et toujours présidé par celui de l’Arabie saoudite. A ses débuts, elle était chargée de représenter les musulmans auprès des autorités belges et de désigner les professeurs de religion islamique dans les écoles primaires et secondaires. La nature de son enseignement se révéla contre-productive pour l’intégration. En 1990, la Grande Mosquée perdit son statut d’interlocuteur privilégié des autorités. S’ensuivit la longue recherche d’une représentation plus fidèle de la communauté musulmane, donnant naissance à l’Exécutif des musulmans de Belgique. La  » Rabita  » ou Ligue islamique mondiale n’a pas renoncé pour autant à ses ambitions missionnaires.

L’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam) observe qu’un nombre croissant de mosquées et de centres islamiques, notamment à Bruxelles, Anvers et Malines, ont adopté l’islam salafiste d’inspiration wahhabite. Un certain nombre d’associations bruxelloises ont été créées avec le soutien financier de la fondation saoudienne al-Haramain, pointée par les Américains pour son rôle dans le financement du terrorisme international. Depuis, l’Arabie saoudite a mis de l’ordre dans ses fondations officielles, mais les dons privés affluent toujours du Moyen-Orient. L’administrateur général de la Sûreté de l’Etat, Jaak Raes, a indiqué devant la commission d’enquête parlementaire que la Grande Mosquée avait dépensé 500 000 euros en 2012 et 1,2 million d’euros en 2015, doublant son effort financier pour rémunérer le personnel affecté à la diffusion de son idéologie. Il est prouvé que de futurs djihadistes ont transité par ses locaux et au moins un transfert d’argent vers la Syrie a été repéré.

Officiellement, l’Arabie saoudite réprouve la violence. Pourtant, dès 2012, de hauts dignitaires saoudiens ont encouragé la  » guerre sainte  » en Syrie et certains d’entre eux ont signé la Déclaration du Caire, qui rendait le djihad obligatoire pour tous les musulmans valides. Un brûlot ! Membre peu actif de la coalition internationale contre Daech, l’Arabie saoudite fait la guerre au Yémen depuis 2015 pour écraser une rébellion chiite soutenue par l’Iran. Avec des armes wallonnes, qui sait.

Les solutions

En 2015, le client saoudien représentait 60 % des licences d’exportation d’armes wallonnes (575,8 millions d’euros). En 2016, notre pays a vendu pour près de 1,7 milliard d’euros au royaume des Saoud. Comment déplaire à un tel partenaire commercial, soutenu de surcroît par les Etats-Unis ? Plusieurs pistes sont à l’étude pour reprendre le contrôle d’un champ religieux ayant conduit à d’évidentes dérives :

1. Interdire le financement étranger des lieux de culte. 2. Revoir la convention liant l’Etat et le Centre islamique et culturel de Belgique. 3. Confier la Grande Mosquée à l’Exécutif des musulmans de Belgique…

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