Thierry Fiorilli

De Wever for ever

Thierry Fiorilli Journaliste

« Bart est le président de parti qui a engrangé les plus grands succès depuis la Seconde Guerre mondiale. » La sentence est de Theo Francken, parlementaire N-VA peu médiatisé côté francophone mais parmi les plus zélés des élus nationalistes flamands.

Un futur ministre régional, c’est évident, dans une Flandre aux compétences toujours plus étendues, grâce aux différentes réformes de l’Etat belge, qu’elle a arrachées, avec les dents souvent, Bruxelles et la Wallonie n’étant toujours « demandeurs de rien » et considérant majoritairement que faire évoluer la structure institutionnelle du pays équivaut en substance à creuser la tombe des francophones.

Francken évoquait son patron, Bart De Wever, dans une interview accordée au Standaard, le premier week-end de ce mois d’août, après avoir clamé que, oui, un jour, « la Flandre sera indépendante, comme l’Ecosse ou la Catalogne ». Le député N-VA n’a pas tort : en termes de performances, politiques et électorales, De Wever est déjà l’une des plus grandes figures que la Belgique ait connues. Lorsque l’Histoire se déroule en direct, on a beau chausser toutes les lunettes, braquer toutes les caméras, répercuter en boucle le moindre mot, le moindre geste, le moindre rictus, on ne la saisit pas. Le nez collé à la vitrine, à l’événement, on s’égosille, on s’indigne ou on s’enflamme mais sans assimiler que, dans les faits, on assiste bel et bien au passage d’une époque à une autre, d’une réalité à une autre, d’un monde à un autre.

Or, depuis les régionales de 2004 (en cartel avec le CD&V) et plus encore depuis les législatives de juin 2010 (en solo), le grand manitou de la N-VA, au pouvoir ou non, est l’axe autour duquel tourne l’essentiel des décisions politiques prises aux niveaux fédéral ou régionaux. Le phare vers lequel converge la majorité des récits, commentaires et emballements médiatiques, le pôle le plus attractif pour les électeurs.

Dans son dernier ouvrage (La cérémonie cannibale – De la performance politique paru chez Fayard), Christian Salmon rappelle que, selon le philosophe Michel Foucault, « la performance politique est un dispositif qui permet à un énoncé de se réaliser ». Problème, avance l’essayiste : « Aujourd’hui, c’est devenu compliqué pour des hommes d’Etat d’exercer le pouvoir et d’incarner une quelconque légitimité. » Parce que, observe Salmon, « l’Etat fuit de partout : vers le bas, il abandonne ses compétences aux Régions ; vers le haut, il a cédé aux institutions européennes, aux multinationales, aux marchés financiers, aux agences de notation ». Résultat : « Le volontarisme impuissant. Cette posture, lorsque le pouvoir est privé d’agir. »

Chez nous, le gouvernement Di Rupo symbolise cette forme nouvelle qu’a prise la volonté politique : il clame son devoir de réformer, d’économiser, de durcir et de faire muer, puis il chante sur tous les toits ses mérites pour avoir atteint ses objectifs. Mais tous lui sont imposés par d’autres. Depuis l’extérieur, par une entité abstraite : « l’Europe ». De l’intérieur, par un homme, un seul : Bart De Wever. Celui qui incarne la performance politique comme définie par Foucault. Les faits le prouvent, jusqu’à la dernière réforme de l’Etat en date, bouclée cet été, qui rapproche encore la Flandre d’une autonomie totale, à défaut d’indépendance claire et nette. Et la tendance va s’amplifier, d’ici aux élections de 2014 et au-delà : les énoncés du chef nationaliste ne feront que se concrétiser, au fil du temps.

Theo Francken ne se trompe définitivement pas. Ni sur l’avenir de sa Région ni sur l’envergure de son guide.

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