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Comment réagir face à un adepte des théories du complot ?

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Aurore Van de Winkel est Docteure en Information et Communication de l’UCLouvain et conseillère en gestion des rumeurs et en fake news. Pour LeVif.be, elle répond à nos questions sur les mécanismes à l’oeuvre dans les théories du complot actuelles.

Pourquoi cette résurgence des théories du complot ?

Les théories du complot ont toujours été plus visibles en temps de crise. Le discours venant des autorités n’est pas clair, les citoyens s’inquiètent pour leur santé. D’autres sujets d’actualité se rajoutent à la crise, comme le débat sur la 5G et créent l’amalgame. Les gens se demandent comment se profile l’avenir, une grande incertitude règne, la réalité est complexe. Les théories du complot débarquent alors avec leur explication simple et claire. Elles offrent une certaine maîtrise du monde qui rassure une frange de la population. Quand ces théories vont dans le sens de leurs croyances préalables, elles renforcent encore plus les convictions de certaines personnes. Pour d’autres, plus sensibles, ces informations permettent d’apaiser angoisse et anxiété (voir aussi l’encadré ci-dessous).

On a l’impression que les adeptes des théories du complot vivent dans une autre dimension médiatique…

Chacun est en quelque sorte « enfermé » dans sa propre bulle d’informations. Nous sommes conditionnés à penser d’une certaine façon. Sur Google ou Facebook, les informations qui nous arrivent sont dépendantes de nos choix politiques, de nos lectures, de nos achats, … On côtoie les personnes d’un même âge, d’une même idéologie, d’une même classe sociale,… Les adeptes les plus radicaux des théories du complot ne chercheront pas forcément à vérifier leurs « informations » dans des sources de vérification d’informations fiables que peuvent être Les Décodeurs du Monde, le fact checking de l’AFP, Checknews de Libération mais aussi sur des sites de fact checking indépendants comme les sites hoaxbuster, spokus, ou snopes… Ils les vérifieront sur des sites qui véhiculent des discours proches de leurs croyances. Il est alors bien difficile pour elles de prendre du recul et d’avoir un esprit critique. Ceci dit, le citoyen lambda ne le fait pas forcément non plus.

Comment peut-on se positionner face à une personne complotiste ?

Souvent, les adeptes des théories du complot sont extrêmement bien renseignés dans leur sphère d’investigation. Ces personnes vont être incollables sur un sujet donné car elles peuvent dépenser énormément d’énergie à rechercher des informations qui vont dans le sens de leur croyance. Elles pensent détenir la vérité, ce qui les valorise en quelque sorte dans leur cercle d’amis. Elles vont pouvoir répondre à toutes les questions posées par une personne qui découvre le sujet et qui aura bien du mal à contre-argumenter vu qu’elle sera vite limitée par sa propre connaissance. Si les arguments peuvent être intéressants dans un premier temps, on se rend rapidement compte qu’ils ne sont pas réalistes. Souvent, ces personnes ne se remettent pas en question. Ce qui peut être très fatigant pour l’interlocuteur.

Il peut alors être utile de les mettre face à leursincohérences, de leur donner accès à d’autres sources plus fiables dont celles que j’ai mentionnées afin de les ouvrir à d’autres arguments. Une autre stratégie sera de les faire parler de leur ressenti. Pourquoi est-ce si important pour elles de penser cela? Leur obsession pour ce genre de théories est peut-être révélatrice d’un stress, d’un mal-être, d’un besoin de valorisation, de comprendre ou d’une volonté de maîtrise sur le monde qui l’entoure. On peut aussi faire passer le message par quelqu’un en qui elles ont confiance et qu’elles jugent crédible pour avoir plus d’impact. Dans tous les cas, on n’arrivera pas à faire changer d’avis les plus convaincus, seulement les personnes qui doutent.

Quels réflexes avoir face à une théorie du complot supposée ?

Il faut rappeler que de véritables complots ont existé, on pense au Watergate par exemple. Même les Prix Nobel peuvent se tromper ! Il est important de garder du recul et un certain esprit critique face à des informations douteuses. Il faut être extrêmement vigilant et se poser les questions suivantes : quelle est la source de cette information ? Est-elle fiable ? Est-ce que d’autres sources en parlent ? De la même façon ? On peut aussi s’abonner à des groupes de fact-checking comme les zététiciens par exemple, qui pourront donner leur avis critique sur un sujet précis avec des sources scientifiques fiables, afin d’étendre ses connaissances sur des sujets plus complexes sur lesquels il est difficile de se faire une opinion éclairée. On peut aussi vérifier si une image présentée comme preuve correspond bien au sujet évoqué, en vérifiant sur Tineye et Goggle Images sa première apparition sur le web. Enfin, se rappeler que nul n’est à l’abri de l’erreur.

L’infodémie, grande source d’anxiété

L’épidémie actuelle de Covid-19 est accompagnée d’une infodémie, un flux d’informations (vraies et fausses) énorme et incessant, difficile à gérer pour les individus. Cette abondance d’information pose problème car elle peut générer une incompréhension du virus, de l’anxiété et empêcher l’adoption de pratiques efficaces de lutte contre la pandémie.

Selon une récente étude de l’UCLouvain, après deux à trois semaines de confinement, 1 Belge sur 4 éprouve un niveau d’anxiété élevé ou très élevé, particulièrement chez les – de 26 ans (1 jeune sur 3).

Les personnes qui perçoivent le virus comme une menace importante pour leur intégrité physique ou psychologique sont plus anxieuses, ainsi que celles qui estiment manquer d’informations pour comprendre les enjeux que pose la crise sanitaire.

Une plus grande confiance dans les mesures prises par le gouvernement pour faire face à l’épidémie ou le fait de croire que le virus est le fruit d’un complot politique est associée à un plus faible niveau d’anxiété. À l’inverse, une confiance plus importante dans les professionnels de la santé est associée à un niveau d’anxiété plus élevé.

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