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Comment bien mener sa barque de chauffeur de VIP

Le Vif

Objectif : amener d’un point A à un point B ses passagers prestigieux en toute sécurité, en veillant à un confort tout particulier. Reportage avec les pros du transport de luxe.

Rendez-vous sur le parking du Leonardo Hotel, à Wavre. Tous les formateurs annoncés ont répondu présent. Derrière eux, une Jaguar et plusieurs voitures allemandes. Noires. A vrai dire, sombres dans le froid mordant de ce dimanche de Pâques. Sombre aussi, la tenue stricte de ces professeurs : cravate, pli du pantalon à la verticale, veste sous le manteau de laine. On s’excuse, on remercie pour ce rendez-vous fixé en une date incongrue. « Aucun problème. Le métier veut que l’on soit disponible, parfois 24 heures sur 24 », rassure Robert, grand et fort gaillard.

Etre disponible : la qualité première du chauffeur de VIP, puisque telle est la profession que ces hommes – et cette dame – pratiquent au jour le jour, et qu’ils enseignent au sein de la SL Consultance en sécurité. Etre aussi à l’écoute, maîtriser son véhicule, faire preuve de retenue et de tact, veiller au grain… comptent parmi les conseils distillés à ceux qui, demain, auront peut-être à répondre de la sécurité des Very Important Persons. Chefs d’entreprise, diplomates, politiques… hommes et femmes labellisés de grande importance et de grande responsabilité.

« Beaucoup se conduisent comme des taximen »

Il y a trois ans, Stany Ledieu a lancé avec sa société SL Consultance en sécurité des cours de formation pour chauffeurs haut de gamme. « Lors de missions passées, je me suis aperçu que personne ne sait vraiment comment véhiculer un VIP. Beaucoup de chauffeurs de personnalités se conduisent comme des taximen. La majorité d’entre eux n’atteignent pas les 50 % lorsqu’ils doivent répondre aux critères que nous avons établis pour l’Otan. » Depuis, Stany Ledieu a formé les chauffeurs de plusieurs grands formats de la vie publique belge, dont des chauffeurs de gouverneur. Il n’en dira pas plus.

Qu’apprend-on lors de ces formations ? « Un chauffeur doit d’abord conduire, mais pas n’importe comment. Il doit s’inscrire dans le flux de la circulation en évitant au maximum de s’arrêter. Donc anticiper le trafic, les feux. Mener son véhicule sans à-coups afin que le confort de son passager soit optimal. Car, pour beaucoup de ces personnes pressées par le temps, la voiture est un second bureau. »

Comme il y a un savoir-vivre, il y a donc un savoir-rouler. Qui passe par une série de petits gestes simples, mais nécessaires au contentement du client. « Prévoyez une eau (mais de marque) au cas où votre passager aurait soif. Et une lingette détachante en cas d’incident vestimentaire. Et des chemises de rechange pour les messieurs mais un simple foulard – tact oblige – pour les dames. Et sachez l’accompagner avec un parapluie en cas d’intempéries entre le véhicule et son lieu de destination, une fois le débarquement effectué avec les précautions d’usage. »

Débarquer un passager « avec les précautions d’usage » est un moment important pour un chauffeur de VIP. Stany Ledieu conte la mésaventure survenue à Beyoncé, en 2010. La chanteuse s’apprêtait à descendre d’un véhicule pour faire un peu de shopping chez Harrods lorsque la porte de sa voiture a été percutée par un taxi londonien. Erreur majeure : son chauffeur l’avait laissée descendre côté chaussée. « Pour peu, elle aurait pu avoir une jambe arrachée. » D’où la consigne de « toujours débarquer son passager du côté trottoir et dans la mesure du possible au plus près de sa destination finale ».

Dans la mesure du possible ? Car il y a le trafic, mais aussi la sécurité – ou l’insécurité – ambiante. Stany Ledieu et ses formateurs évoquent plus d’une fois les alentours du The Hotel – l’ex-Hilton bruxellois – dédié au luxe et au confort qu’apprécient les VIP, mais qui attire aussi « une faune » qu’il convient d’éviter. « Il est important que le chauffeur puisse se départir de situations fâcheuses, différer le débarquement de son client s’il voit par exemple deux SDF se battre pour une canette de bière à proximité des portes de l’hôtel. »

« Le coup de poing, ce n’est pas notre job »

Ce conseil renvoie aussi à la dimension sécurité, sinon sécuritaire, du métier. Stany Ledieu est criminologue. Il est passé par la police criminelle où il a développé des techniques de combat à cheval, avant « de se lancer dans le métier de la sécurité » à destination du privé. Dans son équipe, on compte un ancien garde du corps et un spécialiste de la détection du mensonge. Tous insistent sur la nécessité d’être capable, pour un chauffeur, de bien s’inscrire dans une escorte, un exercice qui peut s’apparenter à du rodéo.

« Mais pas question de donner le coup de poing. Ce n’est pas notre job. L’essentiel serait plutôt d’éviter les problèmes. En particulier si les plaques d’immatriculation du véhicule que vous conduisez incitent à l’agressivité des autres usagers. Plaques diplomatiques, Otan, européennes, etc. » Sans oublier d’éventuelles filatures : « Dans ce cas, plutôt que d’essayer de semer celui qui vous suit, l’important est de tenter d’identifier son véhicule et d’en référer aux autorités compétentes. »

Les formations dispensées par Stany Ledieu attirent également celui qui cherche à améliorer son ordinaire. Tel le Dinantais Thierry Houba qui exerce, avec sa société Scenic Tours, le métier de chauffeur de VIP parmi une palette d’activités offertes à une clientèle étrangère. « Passer par ces cours m’a surtout appris à observer le contexte où j’évolue avec mes clients mais aussi un certain nombre de petites attentions qui font la différence. »

« Le salaire d’un chauffeur de VIP oscille entre 1 500 et 3 000 euros par mois, annonce enfin Stany Ledieu. Et même 5 000 euros pour l’un d’entre nous, qui travaille pour une ambassade bien lotie. » Roulez carrosses.

MARC NORAT

En pratique

Les cours dispensés par la SL Consultance en sécurité comprennent un module de base. Il se déroule en une journée, cours pratiques et théoriques. Prix : 420 euros. Des modules plus longs et plus spécialisés existent. A noter la présence d’une formatrice, Charlotte Catananti, juriste. Tous renseignements sur www.consultance- en-securite.be

PATIENCE, PATIENCE

Lorsqu’on demande aux formateurs de la SL Consultance en sécurité s’ils ont l’une ou l’autre anecdote, ils se retranchent derrière une réserve qui en dit long sur le nombre de secrets accumulés. De frustrations aussi. Stany Ledieu se lance : « Il y a quelques années, j’ai été employé comme garde du corps pour accompagner une princesse du Moyen-Orient et ses deux limousines. C’était à Düsseldorf. Deux chauffeurs étaient de la partie, mais ils n’étaient, disons, »pas top ». La princesse était flanquée de deux petits chiens. Un chauffeur a eu la mauvaise idée de refermer le coffre, laissant les clés à l’intérieur. Nous étions bloqués. Pour faire patienter la princesse, nous avons longuement cherché une marque de vêtements rarissime. Elle a dévalisé la boutique. Elle se prenait pour Britney Spears. Nos nerfs étaient sollicités. La princesse limogeait chaque jour l’un ou l’autre membre de l’équipe. Et comme elle s’ennuyait, je lui ai conseillé un survol de Namur à bord d’un hélicoptère. A son retour, les deux chiens, que les chauffeurs n’avaient pas sortis, avaient souillé la banquette de la limousine. » Et tout le monde, aux abris…

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