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Collaboration : la vérité des historiens

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Loin des polémiques du monde politique, les historiens flamands et francophones tordent le cou aux idées reçues : ils dévoilent les vraies motivations des collabos flamands, ou encore le profil inattendu de la collaboration armée francophone.

Si l’amnistie des collaborateurs n’est plus revendiquée dans les grandes formations politiques flamandes, N-VA comprise, le débat reste passionnel et émotionnel, au détriment d’une vision historique des faits. Mais si le nord et le sud du pays n’ont pas forgé une mémoire commune de la collaboration, les historiens francophones et flamands, eux, s’accordent désormais sur l’essentiel. « Depuis vingtaine d’années, il y a un très large consensus parmi nous, marqué par la publication de plusieurs travaux de référence », confirme Chantal Kesteloot, historienne au Centre d’études et de documentation guerre et sociétés contemporaines (Ceges).

Quelques chiffres pour fixer l’enjeu : à l’issue de la guerre, entre septembre 1944 et fin 1949, 405 000 dossiers sont ouverts pour faits de collaboration. On en a immédiatement retiré les quelque 58 000 travailleurs volontaires, qui n’ont pas été poursuivis. Sept dossiers sur dix (228 000) sont classés sans suite, 15 % (59 500) débouchent sur un non-lieu et 14 % (57 000) entrainent des poursuites pénales. Au final, 53 000 citoyens belges sont condamnés pour collaboration : 1 247 sont condamnés à mort (et 1 693 par contumace), dont 242 seront effectivement exécutés (238 hommes et 4 femmes) ; et 1 839 sont condamnés à la perpétuité (et 501 par contumace). Parmi les exécutés, la célèbre Irma Laplasse, symbole des excès de l’épuration pour une partie de la Flandre ; ou Victor Matthijs, patron en titre de Rex pendant l’Occupation, et José Streel, idéologue du mouvement. Plus de 43 000 Belges perdent leurs droits civiques et politiques dans le cadre de l’épuration, tandis que des milliers d’ex-collaborateurs fuient en Allemagne, en France, en Espagne, en Afrique du Sud, en Amérique latine…

Les travaux des historiens permettent de tordre le cou à certaines idées reçues. Parmi elles, celle selon laquelle les poursuites ont été beaucoup plus systématiques en Flandre qu’en Wallonie. L’étude des extraits de jugements et d’arrêts révèle l’inégalité des poursuites et des peines d’un arrondissement judiciaire à un autre, mais pas d’une communauté linguistique à une autre. « Quelque 62 % des condamnés sont des néerlandophones, indique Chantal Kesteloot, l’historienne du Ceges. Or les Flamands représentent, à l’époque, 56 % de la population du pays. La surreprésentation flamande dans les condamnations n’est donc pas énorme. »

Le déséquilibre nord-sud est nettement plus flagrant si l’on ne prend en considération que la seule collaboration politique. Dans ce cas, qui exclut les collaborations militaire et économique, 72 % des condamnés sont néerlandophones. Et pour cause : une part considérable de l’élite politique et intellectuelle flamande est mêlée à la collaboration ; côté francophone, le phénomène est marginal. Pendant l’Occupation, le poids du Vlaams Nationaal Verbond (VNV), le mouvement nationaliste de Staf De Clercq, qui a absorbé le Verdinaso et le Rex flamand, est énorme. Fort de ses 50 000 membres, c’est un parti de masse, enraciné dans la société. Un bourgmestre de guerre sur deux, dans les communes flamandes, est un VNV. Côté francophone, Rex, le parti de Léon Degrelle, électoralement plus puissant que le VNV en 1936 (21 sièges à la Chambre contre 16), a perdu, dès 1939, la plupart de ses élus.

En 2012, la thèse de doctorat d’Aline Sax, à l’université d’Anvers (publiée chez Manteau sous le titre Voor Vlaanderen, Volk en Führer) a éclairé les motivations des collaborateurs flamands. L’historienne a épluché les dossiers pénaux de la justice militaire. Dans leurs témoignages, les détenus pour faits de collaboration ne se cachent pas derrière leur identité flamande pour mettre en oeuvre leur stratégie de défense. Certains évoquent des motivations personnelles, mais dans les deux tiers des cas, leur discours révèle un engagement idéologique profond : la fidélité à l’Allemagne nazie et au führer.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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