De g. à dr. : Maxime Prévôt (CDH), Pierre-Yves Dermagne (PS) et Paul Magnette (PS) : ex-ministres sous assistance. © BENOIT DOPPAGNE/Belgaimage

Ces ex-ministres qui se font toujours assister après leur mandat

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Ils ne manquent jamais de se faire assister d’un ou deux collaborateurs jusqu’à cinq ans après leur sortie de charge. Ils sont une trentaine à user de ce droit de tirage, dans une liberté fort peu surveillée. La dernière valse ministérielle à Namur relance les compteurs.

Un ministre qui cesse de l’être, ça ne s’abandonne pas brutalement au bord de la route, même pendant les vacances. Quelle que soit la raison qui le pousse ou le contraint à quitter son poste, il doit pouvoir tourner proprement la page. Un minimum d’appui logistique s’impose à lui, tant l’exercice d’une charge ministérielle laisse des traces qui ne s’effacent pas du jour au lendemain. Il restera toujours du courrier à digérer, des sollicitations à gérer, des prises de paroles à honorer.

Catherine Fonck (CDH), éphémère secrétaire d’Etat fédérale à la Mobilité en affaires courantes du 22 juillet au 13 octobre 2014, revendique une fonction ministérielle certes brève mais néanmoins intense.  » Elle a généré une charge administrative extrêmement importante : rien que le dossier du survol de Bruxelles vous inonde de mails.  » Assez pour mobiliser deux collaborateurs à temps partiel jusque 2019.

Ces ex-ministres qui se font toujours assister après leur mandat

Tout ex-ministre peut ainsi demander à rester entouré. Il se voit autorisé à emmener dans ses bagages jusqu’à deux collaborateurs qui feront un bout de chemin à ses côtés, durant cinq ans au maximum. L’un sera un conseiller dit de fond, de niveau universitaire ; l’autre un agent d’exécution. Plus qu’une faveur, c’est un droit que ne peut refuser chaque nouveau ministre à son prédécesseur sortant, pour autant que ce dernier ne rempile plus à une fonction ministérielle.

La formule est très courue. Pas un étage de la bâtisse institutionnelle belge qui ne l’ait l’adopté, non sans l’accommoder à son goût. Ainsi, l’échelon fédéral s’aligne sur le temps d’une législature (cinq ans) et remet tous les compteurs à zéro à chaque avènement d’un nouveau gouvernement. En Régions wallonne et bruxelloise, comme à la Fédération Wallonie-Bruxelles, la procédure d’assistance s’active à dater de chaque démission, pour une période minimale d’un an et maximale de cinq ans, modulée selon la durée de la fonction ministérielle.

Jacqueline Galant (MR), députée wallonne avec chauffeur payé jusque 2019 par le fédéral.
Jacqueline Galant (MR), députée wallonne avec chauffeur payé jusque 2019 par le fédéral.© Bert Van Den Broucke/PHOTONEWS

Une cinquantaine d’équivalents temps plein requis par les ex-ministres

User de cette latitude relève du réflexe quasi pavlovien. Rares, très rares, sont celles et ceux qui résistent à la tentation. De la gauche à la droite en passant par le centre humaniste et l’écologie politique, aucun parti n’enjoint à ses ministres sortants de s’abstenir.

Ça finit par faire du monde. Anciens ministres ou secrétaires d’Etat, ils sont actuellement 28 à exercer leur droit de tirage à l’échelle du pays (voir tableaux). Quinze d’entre eux émargent au budget fédéral, quatre à la Région wallonne, sept en Région bruxelloise, deux à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour un emploi total d’une petite cinquantaine d’équivalents temps plein. Et une masse salariale annuelle proche des 3,5 millions d’euros.

Ces ex-ministres qui se font toujours assister après leur mandat

Le mécanisme, il est vrai, s’est mis à ratisser large. Initialement réservé aux cas de démissions collectives de gouvernements, il a étendu ses bienfaits aux ministres qui rendent individuellement leur tablier, par volonté personnelle ou parce qu’ils sont gentiment poussés vers la sortie après une grosse bêtise.

Ce cercle élargi de bénéficiaires est assurément séduit par l’extrême souplesse de la formule. Pas de strictes conditions ni de contrôle digne de ce nom ne sont associés à l’affectation réelle des collaborateurs : un pur confort. L’ancien ministre a carte blanche. Entre le  » full option  » (deux collaborateurs temps plein), le recours à un seul temps plein, la combinaison de deux mi-temps voire de quatre quart temps, on ne sait plus trop au juste qui est où, qui fait quoi et qui sert exactement qui.

Habituée à s’émouvoir de ce désordre calculé, la Cour des comptes vient une fois encore d’en faire la cruelle observation au gouvernement wallon (PS-CDH) sortant :  » Les informations relatives au nombre de collaborateurs des ministres sortis de charge ne figurent pas dans les exposés justificatifs du budget ni dans des articles de base identifiables, ce qui nuit à la transparence.  » Ce qui incite à la consommation.

De Charles Michel au Parlement puis à Charles Michel : ping-pong

Sabine Laruelle (MR), ministre sortante partie vers le secteur privé avec deux collaborateurs mis au service du MR.
Sabine Laruelle (MR), ministre sortante partie vers le secteur privé avec deux collaborateurs mis au service du MR.© Dieter Telemans/ID photo agency

Malaise ? C’est l’impression que donne Charles Michel (MR), lorsqu’il lui arrive d’être relancé sur le sujet depuis les bancs exclusivement flamingants d’élus N-VA, Vlaams Belang ou par le duo d’élus indépendants Vuye & Wouters. L’actuel Premier ministre est allé jusqu’à se dire prêt  » à prendre durant cette législature des initiatives pour instaurer une autre règle lors de la législature suivante « . Etant entendu que ces nouvelles règles  » n’entreraient en vigueur qu’à partir de la prochaine législature  » puisque  » leur modification pendant la législature actuelle risquerait de donner lieu à une contestation en droit « . Il y a de ces droits acquis auxquels on ne touche pas sans y regarder à deux fois.

Mais comment faire enfin bouger les lignes là où, en 2011, un Premier ministre en affaires courantes, Yves Leterme (CD&V), s’était cassé les dents à vouloir resserrer les boulons ? Simple : en exploitant le besoin subit de renouveau politique pour refiler le brûlot au Parlement fédéral. Le groupe de travail commis par la Chambre à l’assainissement des moeurs politiques n’en a pas fait une fixation : classée à la rubrique  » divers  » de ses travaux, la question a débouché sur un banal constat d' » absence de consensus pour réformer le système « . Et sur l’idée, encore à concrétiser, de lancer un appel au gouvernement pour qu’il limite  » sensiblement  » le nombre de collaborateurs dévolus aux ex-ministres. Retour de la patate chaude à l’expéditeur. Les lignes ont bien bougé…

Ces ex-ministres qui se font toujours assister après leur mandat

Entichée de bonne gouvernance, la coalition MR-CDH qui prend ses quartiers en bord de Meuse ne se prononce pas non plus ouvertement à ce stade : sa déclaration de politique régionale n’en pipe mot. Rien ne dit que ce gouvernement wallon  » de rupture  » aura l’audace de son homologue flamand, qui a ramené la générosité à de plus saines proportions : un seul collaborateur, pour deux ans, accordé aux seuls ex-ministres et secrétaires d’Etat qui ne sont plus parlementaires.

Changement d’attelage et remaniement ministériel à Namur aujourd’hui, peut-être à Bruxelles demain. Exit Paul Magnette, Christophe Lacroix, Eliane Tillieux et Pierre-Yves Dermagne. Débarqués sans ménagement, quatre ministres socialistes vont charger la barque un peu plus encore. Probablement rejoints par le CDH Maxime Prévot, volontairement repassé de ministre à mayeur. Sans que ne pointe l’indice d’un renoncement, du style  » signal fort « . Et puis quoi encore ?

Ces ex-ministres qui se font toujours assister après leur mandat

Jacqueline Galant et ses quatre mousquetaires

Soucieux de son prochain, Jean-Luc Dehaene (CVP), Premier ministre, avait trouvé les mots justes pour justifier le programme d’assistance à ministre débarqué, mis en service par le niveau fédéral à l’été 1995 :  » L’expérience révèle que les ministres sortants demeurent confrontés un certain temps après la cessation de leurs fonctions ministérielles à une charge de travail supplémentaire découlant des fonctions exercées.  » L’expérience révèle aussi que la formule emprunte de curieux détours. En vertu de la règle enfantine qui veut que tout ce qui n’est pas interdit est permis.

Assez plaisanté.  » Mettre jusqu’à deux collaborateurs à disposition pour cinq ans, c’est ridiculement long. Un an suffirait pour assurer le suivi administratif d’une charge ministérielle « , admet cet ancien ministre, qui a souscrit à cette assistance jusque 2019. Seulement voilà : chaque sorti(e) de charge ministérielle a ses besoins. Ses envies de confort. Ou simplement le souci d’aider plus malchanceux que soi.

Mettre jusqu’à deux collaborateurs à disposition pour cinq ans, c’est ridiculement long

Contrainte de rendre son tablier de ministre fédérale de la Mobilité en avril 2016, au bout de dix-huit mois, Jacqueline Galant (MR) met le cap sur le parlement de Wallonie : un siège de députée l’y attend, synonyme de deux assistants à disposition. L’élue libérale améliore son ordinaire en gardant à son service un troisième collaborateur et un chauffeur, aux frais du budget fédéral jusqu’à l’été 2019. Solidarité dans l’adversité :  » Il faut penser aux gens de votre cabinet, qui se retrouvent subitement sans boulot lors de votre démission « , explique la députée avec chauffeur, enchantée de ce petit extra bien agréable  » pour travailler durant les trajets « .

Sabine Laruelle n’a jamais vu la couleur de ses deux collaborateurs

Isabelle Durant : en 2003, elle a utilisé une de ses collaboratrices comme femme de ménage.
Isabelle Durant : en 2003, elle a utilisé une de ses collaboratrices comme femme de ménage.© BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Cabinettard à la rue sans crier gare peut chercher reclassement, désespérément. Pierre-Yves Dermagne (PS), fraîchement viré du gouvernement wallon, ne se sent pas le coeur de larguer  » un collaborateur qui a abandonné un emploi dans le privé en mars dernier pour rejoindre mon cabinet « .

Hervé Jamar (MR), déjà preneur de la formule après un premier poste ministériel en 2007, a récidivé lorsqu’en septembre 2015, il lâche de son plein gré le Budget au fédéral pour les charmes du gouvernorat de Liège. Une fois encore, deux collaborateurs qui l’aiment le suivent :  » L’un fait office de dispatcheur en veillant à concilier mon devoir de neutralité avec le volet plus politique de mon action « , confie le gouverneur. Tandis que l’autre peut servir de doublure du chauffeur attitré ou assurer  » une sorte de conciergerie bien utile dans une maison aussi grande que le palais provincial de Liège. Mais toujours dans le souci du bien public.  »

Il arrive qu’un ex-ministre ne sache trop que faire de son personnel. Il peut alors toujours faire plaisir à d’autres. La section verviétoise du CDH apprécie le renfort du collaborateur que lui cède bien volontiers l’ex-secrétaire d’Etat Melchior Wathelet, reconverti depuis avril 2015 dans le privé. Sabine Laruelle (MR), à l’heure de tourner résolument le dos à la politique à l’expiration de son expérience dans le gouvernement Di Rupo, a prélevé son quota de deux collaborateurs.  » Je vous rassure : je ne les ai pas utilisés pour faire mon jardin ou mon ménage « , comme cela s’est déjà vu avec Isabelle Durant (Ecolo), ministre fédérale de la Mobilité, démissionnaire en 2003. Ils avaient mieux à faire : l’un a été derechef affecté à un autre ministre MR, l’autre mis à la disposition du parti.

Ces ex-ministres qui se font toujours assister après leur mandat

Tout ce manège peut déplaire. Il indigne Hendrik Vuye, professeur de droit public et député fédéral indépendant, qui réclame son abrogation pure et simple. Du chef de  » pratiques injustifiables « , d’avantages abusivement accordés à certains parlementaires et de  » financement illégal de partis politiques, puisque les moyens alloués sont détournés de leur but « . Rien que ça.

Est-ce très moral ?  » Tout est question d’éthique personnelle « , philosophe Jean-Pascal Labille (PS). L’ex-ministre fédéral des Entreprises publiques sous Di Rupo I, aujourd’hui secrétaire général de la mutualité socialiste Solidaris, a gardé de son passage au gouvernement une collaboratrice expérimentée.  » Elle est affectée à des tâches explicitement liées à mon action politique autour de l’enjeu de la sécurité sociale, ou à la fondation Ceci n’est pas une crise que je préside. Je peux comprendre le débat autour de ce type d’assistance, qui n’est pas absolument indispensable. Autres temps autres moeurs.  » Cela reste à vérifier.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire