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Catch 22 : Que vont devenir les Soudanais qui se trouvent en Belgique?

Muriel Lefevre

Ils ne peuvent être renvoyés, ne veulent pas d’un permis de séjour et ne pourront bientôt plus être gardés dans un centre fermé. Une situation kafkaïenne qui ne risque pas de s’améliorer.

Les semaines à venir, de nombreux Soudanais devront quitter les centres fermés où ils sont cantonnés. La loi prévoit en effet qu’ils ne peuvent être maintenus dans ces centres qu’avec la perspective d’une expulsion. Or celle-ci est suspendue pour un temps indéterminé suite au remous politique des dernières semaines et de l’enquête en cours. Ils ne veulent pas plus d’un permis de séjour puisque la plupart d’entre eux souhaitent poursuivre leur route. C’est ce qu’on appelle un « catch 22 ». Ce terme est utilisé en référence au roman de Joseph Heller pour désigner une situation où un individu ne peut éviter un problème en raison de la contradiction des règles ou des contraintes.

En ce moment, il y aurait 35 Soudanais enfermés dans un centre fermé dit De Standaard. Vingt d’entre eux vont suivre ce qu’on appelle la procédure de Berlin qui consiste à les renvoyer vers le premier pays européen où ils ont été enregistrés. Les 15 autres sont en attente d’un rapatriement direct vers le Soudan. Un rapatriement actuellement suspendu. Ce flou ne veut pas dire pour autant que ces derniers doivent être relâchés. Pour le spécialiste des migrations de l’université d’Anvers, Dirk Vanheule, interrogé par le Standaard « les expulsions ne sont que temporairement suspendues, le temps de boucler l’enquête. Le gouvernement a promis de faire aussi vite que possible. On avance la date de la fin janvier. Ce qui reste raisonnable. »

Libération sur ordre d’un juge

La chambre du conseil de Bruxelles a ordonné mercredi qu’un migrant soudanais de 25 ans, placé dans le centre fermé de Steenokkerzeel, devait être libéré. Il a séjourné au centre pour illégaux à Vottem, où, avec d’autres compatriotes, il a obtenu d’un juge liégeois d’interdire son expulsion. Il a ensuite été déménagé vers Steenokkerzeel. C’est donc dans la capitale que sa demande de libération vient d’être examinée et acceptée. Son avocat a plaidé que l’enfermement ne se justifie plus, puisqu’un rapatriement à brève échéance est exclu, sauf à violer l’article trois de la convention européenne des droits de l’Homme, que le migrant ait demandé ou non la protection. Si cette décision est symbolique, elle n’augure cependant pas une libération en masse. D’abord parce que l’Office des étrangers a fait appel de la décision ensuite parce que , selon Vanheule, toujours dans le Standaard, il a peu de chance que la décision de la chambre du conseil de Bruxelles soit suivie par d’autres tribunaux. « A cause de l’enquête en cours, beaucoup de juges autoriseront tout de même l’enfermement. Tout va cependant dépendre de la durée de l’enquête. Si celle-ci s’éternise, ces derniers vont se montrer plus sévères envers les autorités et exigeront la libération. »

Depuis décembre, 5 Soudanais seulement ont pu quitter leur centre fermé. Trois sur décision de justice précise-t-on à l’Office des étrangers. Les deux autres parce que le délai légal de maximum cinq mois d’enfermement était dépassé. Ce chiffre va cependant augmenter puisque de nombreux Soudanais qui sont encore aujourd’hui en centre fermé y sont depuis le mois de septembre suite à la mission d’identification au parc Maximilien. L’office des étrangers confirme dans De Standaard qu’effectivement beaucoup de Soudanais quitteront ce mois-ci leur centre fermé.

Plongeon dans les limbes

Lorsqu’ils quittent le centre fermé, les Soudanais sont toujours sans papier jusqu’à ce qu’ils soient repris et remis en centre fermé. « Ils se retrouvent dans les limbes. Dans un No man’s land administratif » selon l’avocat des sans-papiers Luc Denys.

« Ils sont de façon illégale dans notre pays, mais on ne peut les expulser. Ils ne peuvent pas non plus trouver un travail ou obtenir une allocation. Ils vont partie de cette masse de gens dont nous savons qu’elle est là, mais dont nous ne savons que faire » dit encore Vanheule.

« Notre législation part du principe que ceux qui veulent rester ici en font la demande. Si les gens refusent de le faire, le système se retrouve dans une impasse. La politique migratoire européenne vise à éviter à tout prix ces situations anarchiques, mais elles subsistent dans de nombreux pays et la Belgique ne fait pas exception. En sachant que c’est aux réfugiés à faire le pas et à s’inscrire pour demander l’asile et sortir de l’illégalité, il est assez logique que le gouvernement ne distribue pas de son propre chef des papiers », conclut Vanheule.

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