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Bruxelles : « Gare à l’apartheid social ! »

Pour Didier Gosuin (FDF), la communautarisation de domaines clés – soins de santé, allocations familiales…- voulue par la N-VA et le CD&V conduirait à instaurer des sous-nationalités à Bruxelles. Avec de vives tensions à la clé.

Le Vif/L’Express :Les Flamands mettent la pression pour que Bruxelles soit désormais cogérée par la Flandre et la Communauté française. Les négociations en cours devaient fatalement bloquer sur le sort de la capitale ?

Didier Gosuin (chef de file MR au Parlement bruxellois et bourgmestre d’Auderghem) : Le scénario est écrit depuis les réformes de 1980. A la demande des Flamands, on a alors créé le concept de Communauté. Le « confédéralisme à la flamande » implique plus de transferts de compétences aux Communautés au détriment de l’Etat fédéral. Moi, c’est le concept de fédéralisme radical des années 1960, axé sur le régionalisme, qui m’a fait adhérer au FDF et entrer en politique. Je combats donc toute exigence nouvelle qui communautariserait davantage notre société.

Quelles seraient les conséquences de la communautarisation de secteurs clés comme les soins de santé, les allocations familiales ou la politique de l’emploi ?

A Bruxelles, où deux communautés s’enchevêtrent, cette évolution institutionnelle serait pernicieuse et néfaste. Pour toucher leurs allocations familiales, les parents devraient s’affilier auprès d’une mutuelle francophone ou flamande. Pour se faire rembourser des soins de santé, les patients devraient opter pour le régime flamand ou son équivalent francophone… Les Bruxellois ne seraient donc plus égaux entre eux, puisqu’ils bénéficieraient d’avantages différents, selon le régime linguistique choisi. Chacun, à Bruxelles, peut à tout moment se déclarer francophone ou Flamand. Bon nombre de Bruxellois, en particulier les populations à faible revenu, d’origine étrangère notamment, rejoindraient dès lors le régime social flamand, s’il est plus avantageux, et se rendraient dans les hôpitaux flamands, si les remboursements y étaient plus élevés.

Quel est l’objectif poursuivi par les partis flamands ?

Leur stratégie vise à changer le rapport de forces dans la capitale. Mais la coexistence de droits différents sur un même territoire est un déni de démocratie. Créer deux systèmes de gestion risque de déboucher sur du racolage, des injustices et des tensions sociales. La Communauté française aura-t-elle les moyens de financer un système aussi généreux que celui de la Flandre ? Sinon, comment justifier que sur un même palier, à Bruxelles, une famille de même statut recevrait plus d’allocations qu’une autre en fonction de son appartenance linguistique ? Pire encore, au sein d’une famille recomposée, les enfants d’un couple mixte, nombreux dans la capitale, seraient traités différemment. Ce serait intolérable et ingérable ! Comment, dans ces conditions, développer encore un projet urbain commun réconciliant ville et habitants ? Adieu aussi l’ambition d’affronter, de concert, le défi social bruxellois : un taux de chômage de plus de 20%, 40% de jeunes chômeurs sans qualification valable, un enseignement professionnel déficient…

N’y a-t-il pas déjà des disparités communautaires à Bruxelles ?

Bien sûr, et c’est regrettable ! Les personnes âgées bruxelloises qui adhèrent à la zorgverzekering de la Communauté flamande bénéficient d’interventions financières mensuelles de quelque 150 euros par mois pour la couverture de leurs soins à domicile ou de leurs frais d’hébergement en maison de repos. De même, les jeunes Bruxellois inscrits dans des écoles flamandes ont, jusqu’il y a peu, payé leurs abonnements annuels de transport en commun beaucoup moins cher que les étudiants des écoles francophones. Ces disparités menacent la cohésion sociale. Quand les citoyens ont des droits fondamentaux différents sur un même territoire, on crée des sous-nationalités, on glisse vers un régime d’apartheid social. Ubuesque, non?

Un entretien d’Olivier Rogeau

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