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Bienvenue en égocratie

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Rivalités et rancoeurs personnelles, guerre de positionnement, culte du pouvoir à tout prix: le système démocratique belge est malade. Voilà pourquoi la grève générale de lundi révèle un malaise profond.

Ce lundi 15 décembre, le pays sera à l’arrêt. Une grève générale sanctionne un début de législatures fédérale et régionale marqué par les confrontations politiques et sociales dans un climat délétère. Par-delà les invectives déchirant les partis ou le bras de fer pour obtenir le retrait du saut d’index, une lame de fond explique le blocage actuel: notre démocratie représentative et notre concertation sociale sont malades, minées par la crise et mangées par les ego qui se déchirent pour protéger leur parcelle de pouvoir.

Journaliste politique sur RTL-TVi, porte-parole du CDH pendant près de dix ans, Alain Raviart, aujourd’hui chroniqueur et responsable d’une société spécialisée dans la communication de crise, est consterné par le climat ambiant. « Le degré d’inimitié qui prévaut aujourd’hui dans la politique belge est interpellant, constate-t-il. Il y a des gens qui ne se parlent plus, qui se détestent prodigieusement, qui ont des rancoeurs et ne savent même plus cacher leurs sentiments. Il y a une forme de désinhibition: on peut pratiquement tout dire sur la place publique. »

« La polarisation actuelle n’est sans doute pas pire que celle à laquelle on avait assisté dans les années 1950 autour de la guerre scolaire, analyse Min Reuchamps, politologue à l’UCL. Mais on avait perdu l’habitude d’un conflit aussi ouvert. La confrontation, en Belgique, cela fait peur. Avec les jeux permanents de coalition, on avait l’impression que les grandes idées avaient disparu. On s’aperçoit soudain que ce n’est pas le cas. » Les partis, surtout du côté francophone, s’affrontent à grands coups de convictions sur un axe idéologique gauche-droite que l’on croyait désuet. Tandis que la majorité fédérale avance son désir de réformes structurelles, l’opposition de gauche dénonce une politique d’austérité injuste et à contretemps.

Chroniqueur au Vif/ L’Express, spécialisé en psychologie politique, Pascal De Sutter tempère cette dualisation. « Les politiques de rigueur menées sont somme toute assez semblables au fédéral et dans les Régions. La seule grande différence, c’est la présence de la N-VA. A défaut d’argument politique, on multiplie donc les attaques ad hominem contre Jan Jambon ou Charles Michel. C’est le réflexe d’une aristocratie politique – on est aujourd’hui responsable politique pratiquement de père en fils – qui estime que le pouvoir lui appartient et que les nouveaux venus de la N-VA sont illégitimes, d’autant plus qu’ils veulent remettre en cause le système. Le paradoxe de l’histoire, c’est qu’il y a eu davantage d’avancées communautaires et de concessions francophones dans le gouvernement précédent que dans celui-ci. »

« En coulisse, les conflits de personnes sont, en outre, bien plus virulents à l’intérieur de tous les partis », complète Alain Raviart. La guerre fratricide qui a déchiré le MR et les rancoeurs de Didier Reynders n’en finissent plus de laisser des traces. Dernier avatar en date? Frustré de ne pas avoir été désigné commissaire européen en raison du forcing du CD&V en faveur de Marianne Thyssen, le vice-Premier MR est bien décidé à ne rien laisser passer aux sociaux-chrétiens flamands, quitte à mettre « son » Premier ministre Charles Michel dans l’embarras. Voilà aussi comment il faut lire son refus catégorique de toute taxation du capital exprimé lundi dernier, en plein grève tournante bruxelloise, alors que le CD&V tente péniblement de relancer la concertation sociale.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec:

  • « Le pouvoir est une drogue, qui rend fou »
  • « Côté francophone, tout le monde se plaint, mais les partis traditionnels ont en réalité tous gagné »
  • « Nous avons quelques beaux ténors compétents, travailleurs. Mais au-delà de ceux-ci, le niveau est préoccupant »
  • « Cette notion de prise d’otages est une métaphore qui active un cadre conceptuel dans lequel les grévistes sont perçus comme des criminels »
  • « La concertation sociale s’est profondément transformée en conséquence de la crise économique et financière de 2008 »
  • « Seules d’autres formes de démocratie peuvent remplacer le vide actuel »

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